Publicité
3 novembre 2024 17:38
C’est une date qui restera à jamais gravée dans la mémoire des Mauriciens et dans notre histoire comme un jour sombre pour notre démocratie. Le 1er novembre, Maurice se réveille et découvre avec stupeur que l’accès aux réseaux sociaux a été bloqué jusqu’au 11 novembre. Une décision radicale qui intervient dans le cadre du scandale Missier Moustass. La nouvelle est confirmée dans un communiqué de l’opérateur téléphonique Emtel, qui soutient qu’il est contraint de respecter les directives données par le régulateur, soit l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) qui affirme que cette décision intervient après la diffusion de bandes sonores illégales qui «constituent une grave menace pour la sécurité nationale et la sécurité publique». L’instance s’appuie sur la section 18(1)(a) de l’Information and Communication Technologies Act de 2001.
Du jamais-vu ! L’accès aux réseaux sociaux Facebook, YouTube, LinkedIn et TikTok est banni, suscitant un tollé énorme. Partout, les citoyens crient leur colère, leur indignation et leur inquiétude. Si ces plateformes digitales sont sources de divertissements, elles représentent aussi bien plus que ça, puisque beaucoup de personnes et de nombreuses entreprises utilisent les réseaux professionnellement. Au-delà de tout cela, c’est la liberté d’expression, le droit à l’information et la démocratie qui prennent un sale coup. Plusieurs organismes, comme Transparency Mauritius, Mauritius Internet Governance Forum et Internet Society, prennent position pour dénoncer cette tentative dangereuse de bâillonner la liberté d’expression et le droit à l’information.
Un désordre infernal. C’est ce à quoi ressemble cette folle journée. La toile prend feu, la panique gagne les entreprises, la presse et l’opinion publique s’affolent, et c’est le branle-bas de combat au PMO. Face à la révolte et à l’incompréhension généralisée, les autorités se retrouvent face à une pluie de critiques incendiaires. Des réunions ont lieu dans les ambassades, une rencontre de crise est organisée par l’Alliance du Changement et Pravind Jugnauth organise une réunion d’urgence. Pour essayer de colmater les dégâts, ils annoncent, après plusieurs heures de suspension, que la situation devrait revenir à la normale dans les heures qui suivent, mais en vain. Au même moment, le public apprend que plusieurs arrestations ont eu lieu dans le sillage de l’affaire de phone tapping de Missier Moustass. Jameer Yeadally, Kaviraj Ramjhuria, Nadeem Varsally, Leevy Frivet et Sherry Singh sont arrêtés par la Special Striking Team et passeront la nuit en cellule.
Le Monde, Radio France International, Le Figaro, 20Minutes, Channels TV. L’affaire est reprise dans les médias internationaux que ce soit en France, en Angleterre ou dans les pays du continent africain. Bien plus qu’une simple restriction, les répercussions de cette décision dépassent largement le cadre de Maurice. Elle touche au secteur professionnel et des affaires, à l’économie touristique principalement et à la diplomatie. La plateforme de voyage eTurboNews alerte les voyageurs potentiels dans un article intitulé «Scream for Mauritius! Tourists Wake Up to a Spooky Social Media Ban». Un titre témoignant de l’image de Maurice mise à mal.
Officiellement, le blocage des réseaux sociaux ne dure pas plus de 24 heures. Officieusement, elle prend fin au bout d’une heure maximum. Face à la censure, les internautes font preuve d’ingéniosité et de résilience. Pour contourner le blocage, les réseaux virtuels privés (VPN) font rapidement surface et sont massivement partagés, permettant aux Mauriciens de se reconnecter assez vite sur les réseaux, à tel point que tout le monde n’a que le mot VPN à la bouche. Face au backlash de cette décision et au fait que finalement, malgré la restriction, tout le monde est malgré tout connecté et les autorités n’ont eu d’autre choix que de faire marche arrière. Au courant de la matinée, le PMO fait savoir que «tous les efforts sont en train d’être consentis pour un prompt retour à la normale», mais ce n’est qu’à 10h45 ce samedi que cette suspension a été levée.
Peu avant midi vendredi, plusieurs membres de Linion Reform, menés par Nando Bodha et Me Kailash Trilochun, se rendent à la Cour suprême pour déposer une injonction contre l’ICTA qui, estiment-ils, est allée à l’encontre de la Constitution et de la liberté d’expression, mettant en péril la tenue de free and fair elections. «C’est le dernier acte désespéré d’un régime en déroute et ça sent la fin du règne de Pravind Jugnauth qui s’attaque de manière frontale aux droits fondamentaux des citoyens garantis par la Constitution», affirme Nando Bodha. Devant le Parlement, ils manifestent, pancartes en main, pour dénoncer un «hold-up de la communication» et le musèlement de l’opinion publique. Entre-temps, Rama Valayden affirme avoir alerté les chancelleries et les organisations internationales sur cette situation grave et dangereuse. L’affaire, qui devait être entendue le samedi 2 novembre, prend finalement fin avant même d’avoir commencé puisque la levée de la suspension des réseaux sociaux est annoncée. Dans un communiqué, l’ICTA explique que cette décision fait suite à une évaluation de la situation et à des consultations avec les autorités compétentes et réitère son «engagement à assurer la sécurité nationale, tout en garantissant un accès réglementé aux services de communication». Me Kailash Trilochun retire donc la demande d’injonction qu’il avait déposée.
«Mo kapav konfirme ki se bien mo lavwa. Par kont, mo pa kapav konfirme ki se bann propo atribie a mwa-la li genuine.» Encore aujourd’hui, les Mauriciens ont du mal à comprendre ce que Pravind Jugnauth a voulu dire par là. Lorsqu’il convoque la presse en urgence dans l’après-midi de ce vendredi 1er novembre, il tente de justifier la suspension des réseaux sociaux, expliquant qu’il y a un vrai risque que la ligne de téléphone fixe du PMO ait été illégalement placée sur écoute et que le pays ait été victime d’une attaque cyber-terroriste. «C’est très grave car cela compromet non seulement la sécurité nationale, mais également l’intégrité de notre pays. C’est un acte prémédité dans le but de nuire à la sécurité de notre pays pour des motifs purement politiques», dit-il avant de garantir un retour à la normale dans les plus brefs délais. Samedi matin, il prend une fois de plus pris la parole après une cérémonie de dépôt de gerbes à l’Aapravasi Ghat, pour commémorer le 190e anniversaire de l’arrivée des travailleurs engagés à Maurice, indiquant que l’enquête initiée sur Missier Moustass progresse grandement et que d’autres personnes pourraient être impliquées. Pour lui, il s’agit d’une «attaque sans précédent» menée par «des terroristes qui manigancent avec l’opposition». Commentant les nouvelles bandes sonores sorties ce samedi matin, notamment sur la mort de Soopramanien Kistnen, Pravind Jugnauth affirme qu’elles ne comportent aucune allégation grave et démontrent, au contraire, qu’il a toujours voulu faire la lumière sur cette affaire.
Publicité
Publicité
Publicité