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L’horrible séquestration de deux frères à Mont-Roches

6 avril 2015

Satiaven et Batmavadee Teeroovengadum ont été arrêtés et répondent d’une accusation provisoire de séquestration.

Il est des cas où la réalité dépasse la fiction. L’horrible séquestration des frères Kevin et Yovem Teeroovengadum, âgés de 25 et 20 ans respectivement, est de ceux-là. Le calvaire de ces deux jeunes hommes n’aurait sans doute jamais éclaté au grand jour sans l’enquête minutieuse de la journaliste Selvanee Vencatareddy de l’express (voir hors-texte), qui a finalement mené à leur libération après plusieurs articles parus dans ce quotidien.

 

Pendant plus de 10 ans, Kevin et son cadet Yovem ont été retenus prisonniers par leurs parents. Souvent ligotés nus sur leur lit, nourris avec de la nourriture pour chat, les jeunes gens vivaient dans des conditions de vie inhumaines dans une maison complètement dépourvue d’hygiène. Leurs droits constitutionnels étaient totalement bafoués.

 

Libérés depuis le mercredi 1er avril, ils ont été admis à l’hôpital psychiatrique de Brown-Séquard pour des soins. Ils ne pouvaient pas marcher, étaient d’une maigreur affolante et tout sales. Un choc pour tous ceux qui ont assisté à la scène. Leurs parents, Batmavadee et Satiaven Teeroovengadum, âgés de 60 et 62 ans, ont été présentés en cour de Rose-Hill et maintenus en cellule policière, la police ayant objecté à leur remise en liberté conditionnelle. Ils répondent d’une charge provisoire de séquestration. Mais comment en sont-ils arrivés là, alors que leur avenir s’annonçait si prometteur ?

 

Ligotés et maltraités

 

Satiaven Teeroovengadum, originaire de Belle-Rose, est âgé d’une vingtaine d’années lorsqu’il est recruté par le ministère de la Santé comme infirmier. Selon son entourage, c’est ce métier qui l’amènera à rencontrer Batmavadee, en poste à la pharmacie d’un dispensaire à Avenue Ollier. Commence alors l’idylle entre Satiaven et Batmavadee, qui se marient quelque temps plus tard. «Ils n’avaient pas de maison et devaient en louer une. Ils ont habité dans plusieurs localités de Rose-Hill. Entre-temps, les enfants sont nés. Yovem avait une malformation au niveau du bras. Mais il pouvait marcher et parler correctement», raconte un membre de la famille.

 

Aujourd’hui, il constate avec beaucoup de chagrin l’état de santé de Yovem qui ne fait que répéter «donn enn ti bout dipin, donn dite» à chaque individu qu’il voit et ne peut plus se tenir sur ses jambes. «À mon avis, à force d’avoir été ligoté, d’être resté allongé 24h/24 et d’avoir été maltraité, son état s’est empiré et il ne sait plus comment marcher. Il souffre maintenant de problème psychiatrique alors qu’avant, il était un petit garçon tout à fait normal, mise à part une malformation au niveau du bras.»

 

À l’époque, poursuit ce proche, Satiaven postule pour un emploi à l’état civil, qu’il décroche sans grande difficulté. Son épouse et lui finissent par poser leurs bagages à Bambous après un long périple dans les faubourgs de Rose-Hill. Mais le propriétaire des lieux, un policier, n’a eu d’autre choix que de les mettre à la porte, car l’endroit était devenu insalubre. «Ils ont toujours eu un problème avec l’hygiène. On n’a jamais pu comprendre comment et pourquoi. Après Bambous, ils ont loué une autre maison à Camp-Levieux et ont exercé beaucoup de pression sur nous pour qu’on leur cède la maison de nos grands-parents à Beau-Bassin. Toute la famille a fini par accepter, principalement à cause des enfants qui étaient ballottés de maison en maison.»

 

Aucune action concrète

 

On est alors en 2001. Au départ, tout se passe bien, à en croire les voisins qui apercevaient les enfants jouant dans la cour avec leurs parents. Kevin, adolescent bien de son temps, est admis au collège Eden de Rose-Hill après avoir réussi son Certificate of Primary Education (CPE) à l’école primaire Philippe Rivalland, à Beau-Bassin. Mais alors qu’il est en Form IV, il arrête subitement d’aller à l’école. «Mo ti malad. Mo ti pe gagn vertiz», nous a-t-il confié lorsque nous l’avons rencontré à l’hôpital Brown-Séquard vendredi après-midi, avec l’autorisation d’un officier du ministère de la Santé.

 

Depuis, sa vie n’a jamais été la même. Il est à ce moment-là âgé de 14 ans et son frère de 9 ans. Morghen, un voisin, raconte : «À un moment, on a cessé de voir les enfants. On demandait toujours aux parents où ils étaient et comment ils allaient. Le père disait que l’aîné était à l’étranger pour des études et que le petit souffrait d’une maladie.» Lorsqu’il entend hurler «enn ti bout dipin», il n’en fait pas grand cas, se basant sur les dires des parents de Yovem et de Kevin.

 

Qu’en est-il de l’entourage familial des Teeroovengadum ? Savait-il que les enfants étaient séquestrés ? Non, à en croire un proche. «À chaque fois qu’on les visitait, ils nous empêchaient d’entrer dans la maison. Ils nous recevaient dehors. On a beau essayé de leur venir en aide, en vain. Au final, on a cessé d’aller les voir.»

 

Mais en 2008, lorsqu’un incendie éclate au domicile des Teeroovengadum, c’est le choc. «Les parents étaient absents et on a vu de la fumée qui s’échappait de la maison. On a fait appel aux pompiers qui ont dû défoncer la porte. Après, ils nous ont dit qu’ils avaient trouvé les enfants nus et ligotés sur des lits. Nous avons averti la police et la Child Development Unit (CDU), mais aucune action concrète n’a été prise», explique un voisin, partagé entre révolte et tristesse.

 

Selon notre interlocuteur, une équipe du poste de police de Cité Barkly avait fait une descente des lieux par la suite, sans pour autant réussir à prouver quoi ce soit. L’accès à la maison leur étant refusé par les parents. Cependant, selon la police, un rapport en ce sens a été envoyé à la CDU sans que cela n’aboutisse à quelque chose. Interrogé à ce propos, un haut cadre du ministère de l’Égalité du genre et du développement de l’enfant affirme haut et fort que les officiers ne sont en présence d’aucun dossier et d’aucune information concernant Kevin et Yovem Teeroovengadum.

 

Quoi qu’il en soit, selon les proches de Batmavadee, cette dernière aurait été elle aussi maltraitée par son mari qui aurait un penchant pour les jeux d’argent. «C’est à cause de Satiaven qu’aujourd’hui cette famille en est arrivée là. Il a un sérieux problème avec les jeux d’argent. C’est lui qui a entraîné sa femme dans l’enfer de la sorcellerie», fait ressortir un proche. Les voisins abondent dans le même sens et affirment que chaque soir, bougie en main, Batmavadee faisait le tour de sa maison en parlant dans une langue qu’elle seule comprenait.

 

Une femme mystérieuse

 

Autre fait troublant. Chaque matin, toujours selon les voisins, la femme répétait toujours la même scène. «Dès que son mari allait travailler, elle se mettait à courir derrière lui et hurlait “li gard fam li gard fam”. Alors, l’homme se mettait à courir à son tour pour échapper à sa femme.» Employé à l’état civil, Satiaven a célébré le mariage de nombre de ses voisins de Mont-Roches, à l’instar de la fille d’Antonio Ah-Tong. Ce dernier témoigne. «Il était très professionnel le jour du mariage de ma fille. Il n’avait rien d’un monstre. C’est incroyable. On le voyait souvent avec son registre sous les bras. Pour le mariage de ma fille, on lui avait remis la somme de Rs 2 000 pour la célébration du mariage à domicile. Le matin, lorsque je le croisais, il était toujours bien habillé. Je me demande comment ses vêtements étaient propres, contrairement à l’état de sa maison.»

 

Batmavadee, elle, plus mystérieuse, avait fini par gagner la sympathie des habitants de sa localité, à en croire nos témoignages. «Elle croyait bien faire pour ses enfants. C’est une mère. Elle n’est pas méchante», lâche une voisine. Alors qu’un autre habitant de la localité, qui lui a déjà rendu service dans le passé, parle d’elle comme d’une femme qui était prête à tout pour que son fils Yovem retrouve la santé. «Elle m’a sollicité à deux reprises pour l’emmener à Terre-Rouge dans ma voiture et une autre fois à Ollier. Elle était allée voir des guérisseurs pour soulager son fils», avance Kallee.

 

Elle semblait même, à en croire certains, dépassée par les événements et par l’état de sa maison depuis quelque temps. Elle aurait d’ailleurs supplié Barlen Kitsnen de repeindre entièrement sa maison il y a trois semaines. «J’ai refusé de peindre l’intérieur à cause de l’odeur nauséabonde qui s’en dégageait. Elle m’a supplié de lui rendre ce service. Mais je ne pouvais pas. J’ai dû porter un masque pour peindre l’extérieur de la maison. Et après chaque 15 minutes, j’entendais le jeune fils réclamer à manger», témoigne-t-il.

 

Pour l’heure, le personnel soignant de l’hôpital psychiatrique de Brown-Séquard fait tout ce qui est en son pouvoir pour rendre à ces deux jeunes hommes leur dignité. Ils seront bientôt examinés par un panel de médecins qui évalueront leur état de santé moral et physique. Par la suite, des soins appropriés leur seront consacrés. Pourront-ils un jour retrouver une vie normale, se reconstruire ? Car il est des blessures qui ne cicatrisent pas avec le temps. Surtout lorsqu’une partie d’une vie a été volée et détruite.

 

Les frères Teeroovengadum admis à l’hôpital psychiatrique

 

Véronique Aurel du ministère de la Santé : «Leur bien-être avant tout»

 

Assis sur une chaise, vêtu d’un T-shirt rouge et d’un pantalon marron, Kevin Teeroovengadum a l’air traumatisé. Le jeune homme a le regard fuyant et masque son visage d’une main. Il fait peine à voir. Nous sommes à l’hôpital Brown-Séquard, à Beau-Bassin, le vendredi 3 avril. Ayant fait le déplacement, Anil Gayan, le ministre de la Santé, s’entretient avec Kevin, mais n’arrive pas à tirer grand-chose de celui-ci.

 

«Je veux rentrer chez moi», lui lance Kevin avant d’ajouter que chez lui, il était bien traité par ses parents qui lui donnaient «du poisson, du poulet, du briani et du burger écrasé» à manger. Kevin, moustache épaisse et cheveux partiellement blanchis, n’a gardé presque aucun souvenir de sa vie passée. Son frère Yovem, alité, fait également peine à voir. La seule phrase qu’il répète est «enn ti bout dipin, enn tigit dite».

 

Véronique Aurel, Constituency Clerk au ministère de la Santé, déclare que tout est mis en oeuvre pour que les frères se sentent bien. «Leur bien-être passe avant tout. Ils ont vécu des situations inhumaines. Le ministère de la Santé et celui de la Sécurité sociale travaillent en étroite collaboration pour que ces deux jeunes se rétablissent et trouvent leur place dans la société. Ce sont des citoyens à part entière.»

 

Réaction de Selvanee Vencatareddy, la journaliste qui a révélé l’affaire

 

Sans sa persévérance, Kevin et Yovem seraient, à l’heure actuelle, toujours prisonniers de leurs parents. C’est par Selvanee Vencatareddy, journaliste de la rédaction de l’express, que cette affaire de séquestration des frères Teeroovengadum a éclaté au grand jour. Son enquête sur le terrain a duré deux semaines avant qu’elle ne décide de publier un premier texte dans l’édition du samedi 28 mars.

 

«J’ai des parents qui vivent non loin de cette maison. À chaque fois que je leur rendais visite, j’entendais des cris bizarres et toujours cette voix qui réclamait à manger. Alors qu’une autre personne demandait toujours qu’on cesse de la ligoter. J’ai alors compris qu’il y avait deux personnes dans cette maison qui vivaient une situation des plus mystérieuses», explique la journaliste.

 

Il y a deux semaines, alors qu’elle passe quelques jours chez ses proches, elle décide de mener l’enquête pour en savoir plus sur cette maison où semblent se passer des choses très louches. «J’ai commencé à interroger les voisins et mes proches. Puis, je suis allée au poste de police de la localité. Les policiers m’ont appris qu’ils se sont déjà présentés là-bas à diverses reprises, sans pouvoir entrer.» Après plusieurs jours d’enquête dans le voisinage et après avoir aperçu les enfants ligotés à travers une vitre, elle publie un premier texte, puis un deuxième et un troisième qui mènera à l’arrestation des parents et à la libération des deux frères.

 

«Au début, certaines personnes disaient que j’avais tout inventé. Mais j’ai prouvé le contraire. J’ai pleuré lorsque j’ai vu ces enfants ligotés vivant entourés d’ordures. C’est une partie de leur vie qui a été volée. Je suis d’autant plus triste que l’aîné a seulement une année de moins que moi.» Selon Selvanee, il n’y a pas que les enfants qui ont besoin d’un soutien psychologique, mais les parents aussi.

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