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30 avril 2023 14:56
Une affaire qui fait des vagues
L’affaire a éclaté en début de semaine au Parlement maldivien. Le leader de l’opposition des Maldives, Adam Shareef Umar, accuse le président Ibrahim Mohamed Solih d’avoir reçu un pot-de-vin de 500 millions de dollars américains pour qu’il change de position en faveur de Maurice sur le dossier Chagos. Cette affaire a même fait l’objet d’une motion d’urgence adoptée par le Parlement maldivien le lundi 24 avril, avec 23 votes pour et 19 votes contre. À savoir que tout au long du combat mené pour récupérer l’archipel des Chagos, les Maldives n’ont jamais soutenu Maurice. En 2019, devant l’Assemblée générale des Nations unies, les Maldives faisaient notamment partie des six pays à avoir voté contre. Cependant, quelques mois plus tard et contre toute attente, le pays était revenu sur sa position, décidant de soutenir Maurice dans sa revendication sans pour autant en faire mention au Parlement.
Et c’est justement ce changement de fusil d’épaule soudain qui intrigue. «Nous soupçonnons qu’il y a eu beaucoup d’influence et de fraude. Ce changement de position des Maldives en faveur de Maurice par rapport à l’archipel des Chagos n’a certainement pas été discuté devant le Parlement. Ce fut un choc pour la plupart des habitants des Maldives. Il s’agit d’une affaire sérieuse et nous attendons avec impatience l’évolution d’une enquête. Nous sommes déçus que des informations importantes n’aient pas été partagées. Nous voulons savoir pourquoi les Maldives ont soudainement changé de position. Nous avons demandé au gouvernement de divulguer les discussions entre le gouvernement des Maldives et celui de Maurice et d’au moins partager le contenu de la lettre envoyée au Premier ministre de Maurice afin que nous puissions comprendre», a expliqué Adam Shareef Umar.
Bien que le ministre des Affaires étrangères des Maldives ait fermement démenti ces allégations, l’opposition réclame la publication des correspondances échangées entre l’État mauricien et les Maldives sur le dossier Chagos dont la lettre envoyée à Pravind Jugnauth par le président des Maldives en août dernier.
Le litige territorial
Cela fait un moment que Maurice et les Maldives s’affrontent sur la délimitation des eaux territoriales entre nos deux pays se trouvant dans la région des Chagos, plus particulièrement au nord de l’archipel. Le désaccord autour de la délimitation des frontières maritimes affecte particulièrement les droits de pêche des deux pays dans cette zone. Alors que les Maldives ont fait état de leurs revendications sur la ligne de démarcation de leur zone économique exclusive, Maurice avait fait appel en 2010 au Tribunal international du droit de la mer (TIDM) qui a finalement statué sur cette affaire. Et c’est finalement le vendredi 28 avril qu’il a rendu son verdict. Dans celui-ci, l’instance internationale a décidé de rejeter la quatrième objection soulevée par les Maldives, choisissant ainsi de ne pas procéder à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins entre Maurice et les Maldives.
Pravind Jugnauth : «Un jugement historique»
Si beaucoup estiment, après avoir vu ce jugement, qu’il n’est ni en faveur ni en défaveur de Maurice, le Premier ministre, lui, dans une brève déclaration télévisée suivant cette décision, a estimé que ce verdict est «historique». «La Chambre spéciale a établi une ligne de démarcation entre les Maldives et Maurice, qui nous donne la juridiction sur la mer en tant que Zone économique exclusive sur une superficie de 45 331 km2. C’est un jugement final et binding. C’est-à-dire que le monde entier a une obligation légale de respecter cela. C’est une nouvelle étape dans le combat sans relâche de la décolonisation de Maurice et cela vient confirmer notre souveraineté sur tout l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia.»
Selon Pravind Jugnauth, ce verdict va encore plus loin car il vient établir une frontière maritime permanente par rapport à l’archipel des Chagos et vient consolider le statut de Maurice comme un État côtier souverain. «J’espère que nous pourrons travailler avec les Maldives pour protéger et préserver l’environnement marin dans la région des Chagos. Cela va aussi nous permettre de travailler sur un plan pour le relogement aux Chagos afin que les compatriotes puissent retourner y vivre.»
Les compagnies de pêche pointées du doigt ?
Si c’est motus et bouche cousue du côté du gouvernement concernant les allégations de corruption, Alan Ganoo, ministre des Affaires étrangères, n’a eu d’autre choix que de répondre vaguement à une question de la presse sur le sujet lors d’une de ses sorties cette semaine. S’il dit avoir pris connaissance de ces allégations dans la presse, mais qu’il ne peut pas interférer dans les affaires maldiviennes, il souhaite attendre une copie des travaux parlementaires maldiviens avant de faire plus de commentaires. Toutefois, Alan Ganoo a déclaré que si certains accusent le gouvernement mauricien d’avoir payé ce pot-de-vin, d’autres pointent du doigt les compagnies de pêche qui opèrent dans la zone concernée. Suite à cette déclaration, la Sustainable Tuna Association a sorti un communiqué pour nier toute implication dans cette affaire.
Ces allégations de pot-de-vin interviennent alors que Maurice et les Maldives sont pris dans un contentieux sur la délimitation des eaux territoriales. Quel regard jetez-vous sur cette affaire ?
Il s’agit d’accusations d’une extrême gravité, d’une corruption très élevée. Il y a des éléments très troublants : d’abord, c’est une accusation visant le gouvernement de Maurice par des hommes politiques étrangers. On ne prend pas à la légère les dirigeants d’un autre pays. Les faits ont été dénoncés à la justice maldivienne et ont aussi été portés à la connaissance du Tribunal international du droit de la mer. À ma connaissance, l’auteur des accusations n’a pas été poursuivi pour diffamation ou propagation de fausses nouvelles. Les faits n’ont pas été démentis par les principaux protagonistes de l’affaire. Et l’accusation de corruption donne une explication à un changement drastique de position du président maldivien, changement qu’on pourrait difficilement expliquer par une autre logique.
Quelles répercussions peuvent avoir ces allégations de «secret deal worth USD 500 millions» sur Maurice ?
Pour l’image de Maurice, c’est catastrophique. La communauté internationale est silencieuse mais regarde et se fait une idée, indépendamment de la justice.
Le Premier ministre ne devrait-il pas s’expliquer sur ces accusations ?
Pravind Jugnauth donne l’impression qu’il ne peut s’expliquer sur cette affaire de peur d'entrer en contradiction avec ce que le président maldivien pourrait déclarer dans son pays. Le droit au silence est hélas retenu contre la personne qui l’exerce dans le monde politique.
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