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6 octobre 2024 16:05
Martin France, dont le père est né dans les îles Salomon : «Je souhaite que le gouvernement nous implique dans les travaux d’études...»
«Pendant 60 ans, nous nous sommes battus pour nos îles et beaucoup de natifs sont décédés sans avoir eu la chance d’y remettre les pieds. On a maintenant plus d’espoir que jamais que ce rêve pourra se réaliser. Nous espérons que le gouvernement mauricien tiendra les promesses faites dans le communiqué, en vue d’établir un plan de resettlement et d’infrastructures pour ceux qui veulent retrouver leurs îles natales ou y retourner. Nous avons aussi beaucoup d’expertises, de qualités et de personnes avec une vision dans la communauté et je souhaite que le gouvernement nous implique, nous consulte et donne priorité à nos idées dans les travaux d’études et nous donne la chance de pouvoir agir en étant partie prenante dans la reconstruction de nos îles.»
ChristJo Ancrasamy, Crawley, Grande-Bretagne : «Un deal qui n’a pas encore été signé»
«Je ne suis pas d’accord avec cette décision. La majorité des Chagossiens qui vivent en Angleterre ne veulent pas que Maurice ait la mainmise sur les Chagos. Ma femme qui a travaillé aux Chagos et qui a fait ses études en biologie marine dit toujours que les Chagos sont magnifiques, et comme beaucoup, nous avons envie d’y aller, mais certainement pas pour y vivre. Nous sommes très bien en Angleterre. Aller sur les Chagos ? Oui, mais à quel prix ? Maurice, une fois la souveraineté acquise, va mettre en place un resettlement scheme ? Non. Ce dont nous avons besoin, c'est une structure avec un leader qui nous représente dans notre ensemble. Olivier Bancoult ne représente en aucune manière la communauté chagossienne d’ici. Pour nous, c’est un pion de Pravind Jugnauth. Quand il parle, qu’il ne le fasse pas en notre nom. Ils ont drafté un deal qui n’a pas encore été signé. Avant de parler de la souveraineté, il y a beaucoup de choses à éclaircir. Est-ce une tactique politique pour Jugnauth, car ce qui s’est passé n’a aucun sens.»
Laura Antoinette Begue, Crawley, Grande-Bretagne : «Nous avons été trahis»
«Nous sommes loin de nous réjouir de cette nouvelle. C’est même tout le contraire. Ça nous met en colère et nous sommes déçus. Nous avons le sentiment d’avoir été trahis, car nous n’étions pas d’accord avec le fait que Maurice reprenne les Chagos. Je ne comprends pas pourquoi Olivier Bancoult se permet de parler en notre nom. Pas une fois il n'a fait une réunion avec toute la communauté, ici, en Angleterre, pour nous demander ce que nous voulons, alors que toute la communauté est concernée. Le gouvernement mauricien ne peut même pas s’occuper de son pays et de son peuple. Vous pensez qu’il va s’occuper mieux de nous ? Nous ne voulons pas avoir affaire avec Maurice.»
Liseby Elysé, née à Peros Banhos : «Plus que jamais, je pense à l'enfant que j'ai perdu après que nous avons été déportés»
«Je suis très contente de pouvoir vivre ce moment. Je l’ai vécu comme une surprise qui est arrivée dans ma vie. Je suis heureuse que ça arrive enfin. Je suis en route pour le caveau du bienheureux Père Laval (NdlR : au moment de l’interview) pour lui adresser une prière et des remerciements par rapport à ce que nous sommes en train de vivre. La bataille a été longue et enfin notre peuple déraciné pourra retourner dans ses îles. Bien évidemment, je me sens prête à retourner vivre à Peros Banhos où je suis née. Notre douceur de vivre là-bas m'a toujours manqué. Je ne pourrais pas retravailler comme avant parce que je suis maintenant âgée, mais j'ai vraiment hâte de retourner là-bas pour y vivre. J'avais 20 ans, quand j'ai quitté notre archipel et aujourd'hui, j'ai 71 ans. J'ai cinq enfants et mon grand désir, c'est qu'ils puissent découvrir les Chagos, là où je suis née et où ils ont leurs racines. Person pa konn laba. Ziss mo tousel. Monn anvi ki zot konn nou zil. Cet accord me fait revivre le moment très fort que j’ai vécu quand j’ai témoigné devant la Cour internationale de justice en 2018 et je suis heureuse de savoir que mon témoignage a touché et a fait le tour de monde. J’avais parlé avec le cœur et raconté mon histoire. La communauté s’est bien battue pour le droit des Chagossiens et je dis un grand merci à Olivier Bancoult qui n’a jamais baissé les bras. Aujourd’hui, plus que jamais, je pense à l’enfant que j’ai perdu, après que nous avons été déportés car j’étais alors enceinte. Je me dis toujours que si je n’avais pas été déportée, j’aurais aujourd’hui encore mon enfant. C’était une fille et j’avais prévu de l’appeler Lisette. Bizin remersie Bondie. Nounn pass par tro bokou leprev...»
Maude Alexis, native de Diego Garcia : «C’est le gouvernement qui est gagnant»
«Je suis la fille de Charlesia Alexis et je peux vous dire qu’elle n’aurait jamais été satisfaite de ce qui s’est passé. Elle disait que sa signature, à l’époque, il avait été impossible de la retirer, lalwa dan zot lame ! Elle pensait qu’il fallait, au moins, que les natifs obtiennent quelque chose. Ça n’a jamais été le cas. Et cet accord ne change rien. Les natifs n’obtiennent toujours rien ! Je ne vois pas ce qu’il y a de positif dans tout cela. Ek bann natif, nou pe fini em, pena enn mo pou nou. Je suis née sur Diego Garcia et il n’y a aucune allusion à nous dans cet accord, notre île ne compte pas. Ki nou ete nou ? Que ceux qui veulent aller vivre à Perhos et à Salomon y aillent, moi c’est à Diego Garcia que je suis née. Il n’y a rien à apprécier dans cet accord. Comme d’habitude, c’est le gouvernement qui est gagnant. Moi, je vis en Angleterre, je préfère ma vie là-bas plutôt qu'à Maurice (je suis ici en ce moment pour des démarches suite à la mort de mon époux).»
Marie Jamie Langevin, Crawley, Grande-Bretagne : «Un coup de poignard dans le dos»
«Nous avons beaucoup de mal à croire et à accepter cette décision. En tant que Chagossiens, nous nous sentons trahis par le gouvernement britannique qui aurait dû nous consulter avant de faire un quelconque deal qui concerne la communauté chagossienne. Pour moi, c’est comme un coup de poignard dans le dos. Nos voix n’ont pas du tout été entendues, mais nous ne resterons pas silencieux. Nous demandons à faire partie des discussions et à être impliqués dans la prise de décision. Nous avons déjà eu une réunion avec un avocat ici et nous comptons aller de l’avant pour contester cette décision.»
Madeline Yardin, fille de native des Chagos : «C’est une victoire…»
«Ma maman était native de Diego Garcia. Elle vient de décéder, elle est partie le 17 septembre. Quand j’ai entendu la nouvelle, j’ai ressenti une immense tristesse. Un grand chagrin de savoir qu’elle n’était pas là pour vivre ce moment. Elle disait dans ces derniers moments de demander à Bancoult de gaygn enn bato pour l’emmener dans les îles. C’était son souhait. C’est dommage qu’elle ne soit plus là pour vivre ce moment incroyable. J’ai grandi à ses côtés et avec ses histoires de la vie dans les îles. Moi, je suis satisfaite de cet accord. C’est une victoire. Un travail long et ardu de la part de nos combattants. Li pann fasil pou ariv la ! Je fais partie du Group Refugiés Chagos et je sais qu’il y a d’autres choses qui viendront ; les Chagossiens seront partie prenante des discussions. Je suis confiante ki pou ena bann bon kiksoz pli divan. Bann zafer ankor so ! Et quand cela sera possible, j’aimerais pouvoir vivre aux Chagos. À Diego Garcia, ça aurait été le rêve, malheureusement, ce n’est pas possible. Mais je sais que nous aurons le droit de visite et le droit d’y travailler.»
Megan Mandarin, Crawley, Grande-Bretagne : «C’est honteux»
«Je ne suis pas choquée que Pravind Jugnauth et Olivier Bancoult aient agi dans le dos du peuple chagossien pour tirer bénéfice de cette situation. Ils n’ont en aucun cas pensé à ceux qui ont lutté pour la communauté. Il y a ceux qui ont vendu les Chagos et empoché de l’argent pour cela, alors que les natifs ont été forcés de partir. Olivier Bancoult n’a jamais été notre porte-parole. Il sait très bien que s’il y avait eu un vote au sein de la communauté chagossienne, la majorité aurait exprimé leur désaccord et aujourd'hui, il n’y aurait pas eu d’accord entre Maurice et le Royaume-Uni. C’est honteux. »
Pascalina Nellan dont sa grand-mère vivait aux Chagos : «Nous faisons, à nouveau, les frais d’un deal»
«C’est un accord qui a été fait sans consultation et sans implication du peuple chagossien. Nous faisons à nouveau les frais d’un deal. Certains Chagossiens, spécialement à Maurice, pensent que c’est une très bonne chose, parce qu’ils se disent que l’essentiel, c’est de rentrer chez eux, mais je pense qu’il faut voir plus loin. En quoi priver les natifs de Diego Garcia de l'accès à leur terre ancestrale est-il bénéfique ? N’oublions pas l’étude de faisabilité qu’avait mentionnée le Premier ministre, qui ne garantit en aucun cas le retour des Chagossiens chez eux. (...) Les Chagossiens en exil aux Seychelles sont, comme d’habitude, mis de côté et ont la crainte que cela perdure sous la tutelle de Maurice. Nous entendons parler de l’argent qui sera remis au gouvernement mauricien, mais rien pour compenser les Chagossiens. Soyons réalistes et écoutons nos frères et sœurs de Rodrigues, quand ils parlent de leur autonomie en carton, des Agaléens qui galèrent et qui militent toujours pour qu’on leur offre certaines commodités et facilités, qui sont privés d’un droit de sol lorsqu’ils sont obligés de donner naissance à Maurice, par exemple, ou qu’on leur refuse d’avoir un lopin de terre qui leur appartiendrait. L’autorité mauricienne a tenté à plusieurs reprises d’effacer l’identité des Chagossiens et de nous réduire au silence : où est l’avantage dans tout cela ?»
Il était l’un des premiers à avoir la nouvelle. Ce 3 octobre, le leader du Grup Refugiés Chagos, Olivier Bancoult, était au Prime Minister’s Office où il a pris de l’accord entre le Royaume-Uni et Maurice. «Le gouvernement britannique a enfin reconnu l’injustice envers les Chagossiens (…) C’est un jour historique pour l’île Maurice et la communauté chagossienne. On parle non seulement de reconnaissance de la souveraineté de l’île Maurice sur le Chagos mais aussi du droit des Chagossiens à venir revivre sur la terre», a déclaré Olivier Bancoult, qui a aussi souligné qu’il discutera pour permettre l’accès des Chagossiens à Diego Garcia, qui reste une base militaire américaine. Il a également annoncé plusieurs réunions avec le comité du Groupe, tout en soulignant qu’il est «très satisfait du combat, une lutte de près de 40 ans, pensons aux Chagossiennes qui ont commencé ce combat». Il a, par ailleurs, annoncé des hommages dans les cimetières dans les jours à venir et précisé que le Grup Refugiés Chagos sera partie prenante des discussions à venir dans le cadre de cet accord. Dans un post Facebook ce samedi, Olivier Bancoult a invité tous les Chagossiens à une Assemblée générale au Centre Chagossien Marie Lisette Talate, à Pointe-aux-Sables, le dimanche 13 octobre, à 10 heures. «Nou invit twa vine ekoute ek vinn dir si to dakor ek vinn pran to desizion...»
C’est la fin d’un combat vieux de près de 60 ans. Pourtant, si certains se réjouissent de cette victoire, pour d’autres, cette annonce suscite colère et inquiétude. En Angleterre, où vit une grande partie de la communauté chagossienne, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe chez ceux qui ont toujours été opposés à ce que Maurice reprenne le contrôle de l’archipel des Chagos. La communauté chagossienne, déjà divisée sur la question de la souveraineté entre la Grande-Bretagne et Maurice, semble aujourd’hui encore plus fragmentée. Ces derniers jours, de nombreux Chagossiens ont pris la parole pour s'exprimer.
Sur sa page Facebook, Misley Mandarin, militant de la cause chagossienne, affirme que cette décision n’a rien de légitime tant que le traité n’a pas officiellement été signé, et il la considère comme une simple manœuvre politique en vue des prochaines élections. Il critique également le Trust Fund qui sera mis en place pour regrouper les aides financières offertes par le gouvernement britannique, destinées à des paiements annuels et des investissements dans les infrastructures, mais qui sera géré par l’État mauricien. «Pour le moment, les Chagos appartiennent toujours aux Anglais. Ce n’est peut-être qu’un coup politique pour booster Pravind Jugnauth. Si un Trust Fund doit être créé, il doit l’être en Angleterre, pas à Maurice. Nous voulons que les Chagos restent Britanniques, et nous ferons tout pour cela.»
Pour Jean-François Nellan, des Chagossian Voices, il ne s’agit pour l’instant que d’une déclaration d’intention. Le fait que la communauté chagossienne ait été exclue des discussions entourant cet accord est, selon lui, ahurissant. «L’injustice persiste en excluant la communauté chagossienne des négociations. Le point de vue des Chagossiens a été systématiquement et délibérément ignoré. Nous exigeons leur inclusion totale dans la rédaction du traité.» Jean-François Nellan affirme également que les Chagossian Voices feront tout pour empêcher la réinstallation des Chagossiens sur l’archipel sous le gouvernement mauricien. D’ailleurs, les Chagossian Voices tiendront une manifestation ce lundi 7 octobre, à midi, au King George V Statue en face du Palace Yard de Westminster, à Londres pour protester contre cet accord, au moment où le ministre David Lammy fera une déclaration au Parlement. Une rencontre avec un avocat a également eu lieu vendredi soir pour explorer les options légales disponibles.
Malgré ces oppositions, il n’y a pas que des contestations. Il y a aussi une immense joie et un sentiment de retrouver enfin ce qui est à soi. En effet, d’autres groupes de soutien à la cause chagossienne, tels que le Chagos Islanders Movement et le Chagos Refugees UK Group, célèbrent l’aboutissement d’un long combat et le retour à leur terre natale. À l’annonce de cette nouvelle, Marie Sabrina Jean a eu du mal à cacher son émotion. «En tant que militante du Groupe Réfugiés Chagos depuis l’âge de 15 ans et désormais présidente du UKCRG en Angleterre, ma fierté est immense. Notre souffrance et notre patrie ont été reconnues. Concernant Diego Garcia, c’est un peu triste, mais dans certains pays où il y a des bases militaires, il y a aussi des habitants.»
Désormais, dit-elle, la balle est dans le camp du gouvernement. «Si le gouvernement britannique avait vraiment voulu garder la souveraineté sur les Chagos, il aurait pu le faire, mais il nous a encore montré qu’il ne s’intéresse pas à nous. Aujourd’hui, je sais que si le gouvernement britannique me met à la porte, j’ai mon pays d’origine, Maurice, mais mon père, né à Peros Banhos, n’aurait nulle part où aller. Aujourd’hui, je peux dire avec une grande joie : “Papa, tu vas pouvoir rentrer chez toi.”»
Isabelle Charlot, présidente du Chagos Islanders Movement, ne peut contenir ses larmes de joie. «C’est ce que nous avons attendu pendant des années. Si vous me dites de monter dans un bateau demain et de retourner sur les Chagos, je le ferai sans hésitation.» Car, avoir un chez-soi, confie-t-elle, est un sentiment qui n’a pas de prix.
Textes : Stephane Chinnapen, Amy Kamanah-Murday, Yvonne Stephen et Christophe Karghoo
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