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5 janvier 2016 14:09
2015 pour vous : une bonne ou une mauvaise année ?
Quand on marche dans la vie, on rencontre sur sa route quelques cailloux, quelques épines, mais on aperçoit aussi, au détour d’un chemin, de beaux paysages, quelques fois immenses, quelques fois petits, qui nous apaisent et rallument en nous l’espérance. Ainsi, durant l’année 2015, plusieurs personnes ont été affectées par l’écroulement du groupe BAI. Certains ont perdu leur emploi, d’autres les économies de toute une vie et cela nous a laissé comme un goût amer. Les accidents de la route qui se sont multipliés ont laissé beaucoup de blessures dans les corps comme dans les cœurs. Malheureusement, le commerce de la drogue continue à faire des victimes chez les jeunes et à causer beaucoup de souffrance dans les familles.
Par contre, il y a eu aussi quelques belles échappées en 2015. Par exemple, des initiatives de soutien aux plus démunis jaillissent de part et d’autre. Il y a des projets de grande envergure comme certains projets CSR ou Love Bridge,mais il existe aussi des actions plus discrètes au niveau des familles en faveur des sans-abri, ou dans les hospices et orphelinats, qui montrent que la solidarité n’est pas un vain mot dans l’île Maurice d’aujourd’hui. Ou encore beaucoup de personnes qui prennent conscience de l’importance de travailler à l’accompagnement des prisonniers et à la réhabilitation des ex-détenus pour leur donner une seconde chance. Le témoignage de cette femme détenue en dit long : «Je ne me sens plus emprisonnée, car je suis en paix.»
Plus largement, que retenez-vous de cette année sur le plan local ?
J’ai noté avec plaisir un genre de consensus pour dire que le moment était venu de prendre le chemin d’une vraie réforme de l’éducation. Même si l’on peut discuter sur les détails de la mise en application du nine-year schooling, je pense que ce plan contient les bases pour à la fois adapter le système éducatif aux besoins divers des enfants mauriciens et viser l’excellence pour ceux qui en ont les capacités intellectuelles.
L’arrivée au Réduit d’Ameenah Gurib-Fakim a été, à juste titre, bien accueillie. Depuis, j’ai pu apprécier le style avenant, courtois et d’une belle simplicité de la présidente. Elle a à cœur les dossiers vraiment mauriciens, comme le dialogue interculturel et interreligieux, la protection et la mise en valeur de notre environnement ainsi que l’attention aux plus démunis. En même temps, elle ouvre des pistes intéressantes concernant l’investissement dans la recherche scientifique.
La société civile s’est aussi manifestée avec l’initiative originale d’illuminer Port-Louis et de remettre en valeur des sites qui nous étaient tellement familiers que nous n’en apprécions plus la beauté et le charme à leur juste valeur. L’île Maurice dans toute sa diversité a vibré à l’unisson l’espace d’un week-end. Un coup d’accélérateur a aussi été donné à la production des énergies renouvelables. Il n’est pas seulement question de la quantité de nouveaux panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes, mais surtout de l’évolution d’une mentalité plus soucieuse de prendre part à l’effort mondial pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Tout en saluant ce pas en avant, je ne peux m’empêcher de déplorer un manque de sensibilité des Mauriciens pour la propreté à maintenir dans les espaces publics, sur nos routes, sur nos plages, au bord des rivières, dans nos jardins publics, etc. Être vraiment mauricien, c’est être fier de son pays et de son environnement, comme on aime sa maison et son petit jardin. Autant nous savons entretenir et fleurir notre cour, autant nous affichons une désinvolture affligeante envers notre environnement. Il est temps que nous nous ressaisissions.
Politiquement parlant, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Avec les résultats surprenants des dernières élections générales, les Mauriciens ont exprimé clairement leur désir de prendre un nouveau départ. Même si l’on peut évaluer avec différentes nuances les divers aspects de ce nouveau départ pris par le nouveau gouvernement, il faut reconnaître qu’il y a une volonté de combattre la corruption et la drogue, de remettre de l’ordre dans les villes, de donner un nouvel élan à la création d’emplois et de soutenir les petites entreprises. Même si nous en sommes encore aux balbutiements, ces initiatives me paraissent porteuses d’espoir pour le pays et pour les gens qui ont des idées, mais pas toujours les moyens de les exploiter.
Quels conseils donneriez-vous aux autorités pour l’année qui commence ?
Je n’ai pas de conseils à donner aux autorités, mais il me semble que l’Église peut attirer leur attention sur certaines aspirations du peuple. Par exemple, devant le chômage qui se maintient au taux de 8 % et qui touche environ 45 000 personnes, surtout des femmes, je crois qu’il y a un équilibre à trouver entre l’accueil encore nécessaire d’une main d’œuvre étrangère et l’investissement essentiel dans la formation de la main d’œuvre locale. Dans la lutte contre la pauvreté, qui est une des priorités du gouvernement, je pense que nous devons porter une attention particulière à l’habitat. Il s’agit non seulement de la dimension des logements sociaux, qui doivent être adaptés aux besoins humains des familles, mais aussi du soin à apporter à l’environnement des nouveaux lotissements créés. Les gens ont besoin de fonds, mais aussi d’un accompagnement humain qui leur permettra de reprendre confiance et d’assumer eux aussi leurs responsabilités.
L’Église vient d’entamer l’année de la Miséricorde. Qu’est-ce que cela implique ?
Remettre la miséricorde au centre de l’action de l’Église contribue à rétablir un certain équilibre dans ce qu’on appelle la position de l’Église sur différents sujets. L’Église n’est pas seulement une enseignante, mais aussi une maman, c’est-à-dire que les positions qu’elle prend ne doivent pas seulement consister à annoncer la vérité de l’Évangile sur ce qui peut faire le bonheur de l’homme. Cela est nécessaire, mais l’Église doit aussi traduire l’Évangile dans des attitudes de compassion, de miséricorde, de patience envers les personnes qui se trouvent dans des situations difficiles et qu’il faut accompagner sur leur chemin.
Pour nous, cette année de la miséricorde coïncide avec l’aboutissement du projet Kleopasqui cherche à réunir les conditions et trouver les moyens d’une annonce de l’Évangile plus adaptée à l’île Maurice d’aujourd’hui. Ce jubilé nous rappelle que cette annonce ne peut se contenter de rappeler les exigences de l’Évangile, mais doit aussi témoigner du visage maternel de l’Église.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué sur le plan international ?
Les attentats meurtriers de Paris nous ont tous bouleversés. Beaucoup de Mauriciens qui ont des amis ou des parents à Paris ont été touchés de près. Il y a aussi l’ampleur que prend Daech au Moyen-Orient et en Afrique. La peur que ces phénomènes engendrent ne doit pas pour autant créer un genre d’islamophobie qui peut devenir destructeur. Il y a chez les musulmans comme chez les chrétiens et les agnostiques des hommes de bonne volonté qui veulent travailler pour la paix.
Ces guerres qui traînent en longueur et ces menaces d’attentats qui nous tiennent en haleine créent une situation qui force des familles entières à fuir et à devenir migrants sur les routes du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Europe. Mais au milieu de toutes ces souffrances, il y a aussi de beaux exemples d’accueil des migrants, comme en Allemagne, en Turquie et en Jordanie.
Plus récemment, l’accord historique auquel est parvenu la COP21 est un signe d’espérance, surtout à cause de la prise de conscience qu’il faut protéger l’environnement pour les générations futures. Les actions les plus porteuses d’espoir sont toujours des actions gratuites qui ne rapportent pas immédiatement, mais qui sont posées au milieu de nous comme des semences de paix.
Que souhaitez-vous au pays pour la nouvelle année ?
Je souhaite qu’au-delà de toutes les initiatives programmées par le gouvernement et des projets envisagés par les entreprises, la société civile se réveille et s’engage elle aussi à faire exister une solidarité concrète envers les plus démunis, un rapprochement fraternel et un dialogue de paix entre les différentes religions et cultures de l’île Maurice, pour promouvoir ainsi ce que le pape François appelle une «culture de la rencontre». En nous rappelant avec gratitude ce que nous avons reçu des autres, ayons à cœur nous aussi de donner gratuitement.
Pour son homélie lors de la messe du 1er janvier, dans le cadre de la 48e Journée mondiale de la paix, le père Jean-Maurice Labour s’est inspiré du message du pape François : «Gagne sur l’indifférence et remporte la paix.» Voici quelques extraits.
«La paix est l’un des biens les plus précieux de l’humanité, aussi bien au niveau personnel et familial qu’au niveau social, local et international. La personne humaine vit en paix quand elle entretient des relations de dépendance et de responsabilité harmonieuses avec elle-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (…) Nous voyons bien que l’indifférence a aussi bien une dimension individuelle que sociale, économique et même politique. Elle s’insinue aussi dans la religion avec ‘‘d’excellentes’’ raisons. Il s’agit bien d’une mondialisation de l’indifférence devenue une culture mondiale. J’entends dire, par exemple, que des patrons étrangers, européens ou non, sont en train d’introduire à Maurice une culture d’entreprise qui détruit un style mauricien de relations humaines dans des entreprises jadis dirigées par les Mauriciens. L’économie néolibérale est en train de se fonder de plus en plus sur une indifférence par rapport à l’humain sous prétexte d’efficacité financière.»
«N’y a-t-il pas une culture politique d’indifférence par rapport à Agaléga qui attend depuis vingt ans son désenclavement par une piste d’atterrissage ? Peut-être même que notre fameuse coexistence pacifique cache une culture d’indifférence par rapport à une connaissance réelle et profonde des autres religions de notre arc-en-ciel.»
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