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Par Yvonne Stephen
28 décembre 2020 12:56
Il est venu, il a tout chamboulé. Il a semé le trouble dans l’ordre des vagues, brouillé les couleurs du camaïeu de bleu qui s’étendait à perte d’horizon. Apporté dans son sillage tristesse, désolation et colère (de nombreuses personnes estiment que le gouvernement a fait preuve de négligence). Mais aussi un sentiment incroyable ; celui de la solidarité. Avec Rezistans ek Alternativ, sur le Mahebourg Waterfront ou ailleurs (suite à des initiatives d’individuels ou alors d’entreprises), les Mauriciens ont travaillé d’arrache-pied pour retenir la marée noire, ont coupé leurs cheveux, ont donné de leur temps et de leur énergie pour faire reculer le cauchemar qu’était le Wakashio. Dans ce tourbillon de jours désespérés, la flamme ne s’est pas éteinte, elle a brillé encore plus fort malgré le brouillard des incertitudes, des accusations et des zones d’ombre, qui n’ont pas encore vu la lumière.
Mais la brise de malheur n’a pas cessé de souffler : le tragique naufrage du Sir Gaëtan coûtant la vie à des Mauriciens et la découverte de cadavres de cétacés sur la côte sud-est ont apporté désolation et tristesse. Aujourd’hui, de nombreuses restrictions ont été levées sur plusieurs régions, les autorités assurent que tout va bien, que le lagon est praticable (alors que les experts de l’environnement sont plus prudents), l’enquête se poursuit, les demandes de dédommagement pleuvent sur le gouvernement japonais et le mystère est toujours entier… Sur la côte sud-est, le lagon a pu retrouver ses belles couleurs mais le quotidien est difficile pour certains. Témoignages…
Elle opère, avec son époux, le centre de plongée du Preskil et parle de l’étouffante angoisse dans laquelle elle se retrouve. Et elle l’assure, elle n’est pas la seule à ressentir cela.
Avec la levée des restrictions, pouvez-vous opérer ?
Nous sommes toujours fermés. Malgré l’ouverture de plusieurs restricted zones, il y a un criant manque d’informations. Blue-Bay et l’Île-aux-Aigrettes seraient désormais accessibles. D’accord. Mais sur la première plage, il y a un gros panneau qui en interdit l’accès. Et la NCG intervient lorsque des personnes sortent dans le lagon aux alentours de l’Île-aux-Aigrettes. Il y a un grand manque de communication. Il est temps que la NCG et le gouvernement accordent leurs violons. Alors, je n’ai toujours pas le droit de sortir. De plus, l’hôtel d’où j’opère est un centre de quarantaine… Je n’y ai pas accès comme je le souhaite. Sans touristes, d’ailleurs, c’est très difficile.
Les hôtels et guest houses misent sur la clientèle mauricienne. Et vous ?
Le scuba diving, ce n’est pas une activité-phare pour les Mauriciens. J’aurais adoré partager ma passion pour mon métier, mon amour pour le lagon… Mais la plongée n’est pas très populaire. Je pense qu’on a peur ici. J’étais à un salon pour les artisans locaux, j’étais en train de market mon produit, avec tout mon enthousiasme, ma passion, et c’est ce que j’ai compris. Pourtant, les tarifs sont sympas, ça ne coûte pas un bras. Je leur disais : il y a des gens qui viennent de l’autre bout du monde pour faire de la plongée ici, pour vivre ces moments exceptionnels… C’est dommage que ça n’intéresse pas vraiment les locaux.
Comment vous en sortez-vous ?
Mon mari fait des petits boulots à droite et à gauche pour pouvoir survivre. En ce moment, il fait partie de l’équipe de nettoyage de Polyeco. Moi, j’ai pris un job en part-time, sans pouvoir m’engager totalement car j’ai quand même besoin de gérer mon entreprise. Moralement et financièrement, je me devais de le faire, j’ai toujours été active, j’ai toujours rapporté de l’argent pour la famille. Il y a quelque temps, j’ai demandé la permission d’entrer dans mon local au sein de l’hôtel, j’avais des choses à récupérer. Me tenir là dans mon lieu de travail, sur la plage, c’était beaucoup d’émotions ; j’en avais les larmes aux yeux. Ma vie d’avant, mon boulot… Tout ça me manque ! Je veux retrouver cette vie-là. Vous savez que notre centre de plongée, à mon mari et à moi, c’est toute une vie de sacrifices. Ce n’est pas arrivé comme ça, on n’a pas claqué des doigts. Aujourd’hui, on n’arrive pas à faire face…
Comment faites-vous pour tenir le coup ?
Comme de nombreux opérateurs du Sud-est : on ne s’en sort pas ! On a, tous, en nous une immense frayeur : plus les jours passent, moins notre situation s’améliore. On a tous une famille, des enfants qui sont à l’école, des dettes personnelles et d’autres qui sont liées au business. Ces dernières années, nous avons tous fait beaucoup d’investissement. Mon entreprise est jeune ; j’ai passé toute l’année 2019 à investir. Mon mari et moi, on a utilisé toutes nos économies, notre famille et nos amis nous ont prêté de l’argent. Nous n’avons pas vraiment de fond, aujourd’hui, nous vivons au jour le jour ! Nous avions une vie avant et nous avons travaillé dur pour l’avoir. On est des jeunes avec beaucoup d’ambition et on s’est investis pour l’avenir. Aujourd’hui, on ne sait plus quoi faire. Moi, je ne sais plus, je ne sais pas….
Avec les fêtes, ça ne doit pas être facile…
Nous avons deux filles. On essaie de faire de notre mieux pour rendre ces fêtes joyeuses. Elles sont au courant de ce qui se passe mais ne connaissent pas la difficulté de notre situation. On veut juste qu’elles soient heureuses, que ces problèmes ne gâchent pas leurs moments festifs. C’est vraiment dur parce que derrière nos sourires se cachent cette angoisse qui ne nous quitte pas. Mais j’essaie d’avoir le bon état d’esprit, c’est pour cela que je dis à tous les Mauriciens : passez des moments inoubliables avec vos familles, c’est bien ça le plus important.
2021, porteuse d’espoir ?
J’ai hâte que 2020 se termine. C’était une année de merde ! Ce n’est pas pour autant que j’ai envie de voir 2021. Je ne suis pas pessimiste d’habitude – je dirais même que je suis plutôt positive ! – mais là, je ne peux que m’attendre au pire. La situation se dégrade dans le monde. Sur le vaccin, il y a un gros point d’interrogation. Si jamais il y a un miracle ; tant mieux ! On attend à bras ouverts la clientèle étrangère. J’aimerais les rassurer : le lagon est praticable selon les autorités. Mais ce serait important de circuler les résultats d’analyses pour plus de transparence. Lors d’une réunion avec les autorités, j’ai appris que, désormais, nous, les détenteurs d’une Tourism Operation Licence, nous aurons enfin accès à la Wakashio Solidarity Grant. Nous en avons été privés mais ça devrait changer. Nous sommes en discussion pour obtenir une maintenance fee parce que, sans revenus, c’est difficile d’entretenir nos équipements. Mais aussi pour l’extension du scheme d’aide aux salaires au-delà de décembre ; cet argent, même si ça n’a rien à voir avec nos revenus d’avant, nous permet de manger et de vivre, et même si les restrictions sont levées, la situation ne changera pas du jour au lendemain.
Elle était là. Sur le Waterfront, pour repousser la marée noire. En combinaison, faisant le va-et-vient entre la côte et le lagon pour poser les booms artisanaux. Et l’engagement de Sandy Monrose, travailleuse sociale de Mahébourg, n’a pas faibli. Aujourd’hui, elle tente de venir en aide à ceux et celles dont la vie n’est plus la même depuis le naufrage du vraquier : «Les gens de Bambous-Virieux et de Grand-Port vivent des moments vraiment difficiles. Surtout ceux qui ne sont pas enregistrés comme pêcheurs. Ils n’ont aucune aide.» Alors, au quotidien et grâce à l’aide d’organisations comme Eco Sud ou Caritas, elle distribue des food packs, des vouchers… Mais malgré toute sa bonne volonté, ça ne suffit pas forcément : «C’est la misère dans de nombreuses familles, le mari était pêcheur, la femme grat-grate pour trouver coquillages et palourdes, et, désormais, ces gens n’ont plus rien.» Pour elle, il ne suffit pas que le gouvernement s’assure que les skippers soient employés par Polyeco, que les pêcheurs enregistrés reçoivent une allowance, il est temps que le gouvernement s’attèle à une social assessment afin de venir en aide aux familles qui en ont besoin. Elle et tous les bénévoles de la région font leur part du boulot ! D’ailleurs, en ce moment, Sandy accompagne un groupe de femmes, qui suit une formation à la FAREI afin de pouvoir se lancer dans l’agriculture sur un terrain mis à disposition par le groupe Ciel.
Mer, amère. Depuis le naufrage du Wakashio, rien ne va plus pour ce pêcheur de Mahébourg : «Ça ne va pas du tout. Les allocations ne sont pas encore payées. Ou elles sont payées de façon sporadique. Nous, on ne s’en sort pas.» Si les interdictions sont levées dans plusieurs régions, la pêche n’est pas, pour autant, aisée : «Les pêcheurs sont à terre. La mer est mauvaise. Ce n’est pas évident.» Pour s’en sortir, l’aide de la famille mais aussi beaucoup de tras-trase : «On va dans les champs pour planter un peu. On chasse quand on peut. Le principal est d’arriver à nourrir la famille.» Jonathan Ramchurn a une vie en sursis depuis le confinement et le naufrage du vraquier. Il était l’un des premiers à rejoindre l’équipe de Rezistans ek Alternativ sur le Mahébourg Waterfront, mobilisée afin de repousser la marée noire. Néanmoins, des mois après, ce héros ordinaire vit dans la misère. Pendant cette période festive, alors que l’île est en mode shopping et good feeling, Jonathan se désole de ne pas pouvoir offrir cela aux siens mais accepte la situation avec défaitisme, faute de pouvoir rêver de mieux : «On ne peut rien faire. On va laisser l’eau couler sous les ponts…» En espérant le meilleur… peut-être.
Des milliers de personnes à l'unisson. Sur la côte sud-est mais aussi partout dans l’île. À créer des booms artisanaux, à donner leurs cheveux, à apporter leur aide de différentes façons. Avec un but dans le cœur : protéger ce si beau lagon. Parmi, Chetan Gukhool, jeune homme engagé dans le social et écrivain qui revient sur cet élan de solidarité… mais pas que : «Après le naufrage du Wakashio, les gens de la localité, plusieurs ONG et les activistes ont averti à maintes reprises les autorités que c’était un gros danger pour notre environnement maritime. 13 jours après, il y a eu l’oil spill. Au lieu de nous plaindre, nous nous sommes immédiatement rendus sur place avec des amis de toutes les communautés pour confectionner les boudins artisanaux ou pour aider ceux qui le faisaient. Les Mauriciens étaient proactifs et ils ont utilisé tous les moyens pour limiter les dégâts, même s’ils ne prétendaient pas être des zexper. Un élan fortement patriotique avec ce merveilleux amalgame de couleurs. Nous ne connaissions pas forcément le nom de notre voisin/e qui était en train d’enfiler l’aiguille pour coudre, ni celui qui était en train de crier ‘‘sizo, sizo’’ ou celle qui partageait le pain et de quoi boire. Je m’étais assis, entouré des étrangers d’hier mais des amis d’aujourd’hui, unis par la patrie, et j’ai contemplé mon entourage coloré. C’est ce que je veux retenir de ce drame ; cet élan hors pair de tout un chacun, tout en espérant que justice sera faite, tôt ou tard.»
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