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22 décembre 2024 14:35
Ils sont au bout du rouleau. Aujourd’hui, pour beaucoup d’entrepreneurs, ne pas mettre la clé sous le paillasson relève d'un vrai parcours du combattant. En plus de la rude concurrence, du manque de main-d’œuvre et du marché qui est en pleine mutation depuis la Covid-19, il y a aussi le stress des frais qui ne cesse d’augmenter, l’endettement qui ne laisse aucun répit et l’épée de Damoclès des augmentations salariales imposées par le gouvernement. Face à une période de crise qui se prolonge, de nombreuses petites et moyennes entreprises, lasses de tirer la sonnette d’alarme, semblent être prises dans un cercle infernal.
Le paiement du 14e mois, promesse électorale devenue réalité avec la décision du gouvernement, le 13 décembre, d’accorder ce bonus à ceux touchant moins de Rs 50 000, représente un obstacle de taille. Il faut aussi compter la compensation salariale de Rs 610 qui sera payable à partir de janvier 2025. Même si le gouvernement a promis un support financier d’environ 2,3 milliards aux PME et autres entreprises en difficulté, l’angoisse et l’incertitude gagnent du terrain parmi les entrepreneurs qui sont toujours dans le flou quant aux modalités de cette aide.
Cette nouvelle charge financière qui intervient dans un contexte financier déjà sombre n’augure rien de bon pour la suite. Au sein de la communauté des PME, le moral est à zéro et on peine à entrevoir l’avenir de manière positive. Selon Georgina Ragaven, directrice de Star Connexxions, il y a actuellement un sentiment général de ne pas être entendu, de ne pas être compris au sein des micros et petites entreprises. «Comme tout employeur attentionné ou micro-entrepreneur, je suis très heureuse de soutenir tous mes collaborateurs dans différents projets et nous devons les payer pour le service qu'ils fournissent. C'est très bien d'augmenter les salaires, les matières premières et autres, mais comment nous, les entrepreneurs, pouvons récupérer cela ? Combien devons-nous répercuter sur les clients ? Certains d’entre nous ne gagnent pas de quoi se payer un 13e mois et maintenant, une augmentation de salaire et un 14e mois au personnel ?» Pour l’entrepreneure, il faudrait que les PME puissent décider quand ils peuvent augmenter les salaires et donner d’autres avantages à leur personnel. «Cette année est particulière car elle a été très stressante pour beaucoup d’entre nous. Je lance un appel aux autorités : s’il vous plaît, permettez aux micro-entrepreneurs de faire entendre leur voix à l’avenir. Nous n’appartenons pas tous aux grandes institutions comme Business Mauritius.»
En effet, loin des grandes promesses faites par les politiciens, la réalité des PME, qui ont tenté tant bien que mal d’amorcer les différentes augmentations salariales de ces dernières années, dont la hausse du salaire minimum, est tout autre. Avec une santé financière sous respiration artificielle, trouver le juste équilibre entre faire tourner son affaire et répondre aux attentes des employés qui comptent tous sur une entrée d’argent supplémentaire est extrêmement difficile. Si pour Sadjid Taujoo, directeur de Brandline Media, les employés méritent à juste titre ce 14e mois, voire plus, il admet que sa mise en application n’est pas simple. «Sans les employés, il n’y a pas d’entreprise et sans entreprise, il n’y a pas d’emploi. S’ils le méritent amplement, ce genre d’initiative demande, à mon sens, une communication préalable d’au moins un an afin de nous permettre de mettre de côté une partie des revenus mensuels spécifiquement pour payer le 14e mois. Si cela avait été le cas, le paiement de ce 14e mois ne serait pas, aujourd’hui, une charge soudaine et difficile à gérer.»
Si cette initiative vise à valoriser les employés, Sadjid Taujoo estime qu'elle n’aide pas à désamorcer la mort lente des PME. «C’est une mesure qui reconnaît leur rôle central dans le succès des entreprises, et cela me paraît juste. Toutefois, il est important de trouver un équilibre afin que ces avantages puissent être accordés sans mettre en péril la stabilité financière des PME qui ont souvent des marges plus limitées. Le gouvernement est à l’écoute et agit de bonne foi, car il cherche à soutenir les entreprises en général. Une solution envisageable serait de permettre le paiement du 14e mois en deux tranches semestrielles. Il serait aussi pertinent que le gouvernement réinvente et renforce le rôle de la DBM afin qu’elle propose des financements plus accessibles et adaptés aux réalités des PME.»
Avec un fardeau déjà bien lourd à porter, se retrouver ainsi devant le fait accompli est une nouvelle douche froide pour les entrepreneurs. Karine Wade de W Foodies Ltd essaie tant bien que mal de tenir le coup : «La situation est très difficile car le salaire minimum n’a pas cessé d’augmenter durant l’année. Personnellement, mon chiffre d’affaires pour décembre est plus bas et ce que nous avions budgétisé pour l’EOY n’est plus le même. Néanmoins, il faut faire face, être courageux et, surtout, ne pas abandonner.»
Même si elle tente de rester positive, il est difficile, confie Nikita Anodin de Little Oven, de garder le sourire dans une telle conjoncture. «La situation est très difficile en ce moment, surtout pour les petites entreprises comme la mienne. Avec toutes les indemnités, les coûts plus élevés et maintenant le 14e mois de salaire, ça devient de plus en plus difficile à gérer. Pour moi, le plus grand défi est de gérer toutes les dépenses tout en rémunérant équitablement les employés et en assurant le bon fonctionnement de l'entreprise. Ce n’est pas facile à suivre.» L’inquiétude et le stress sont omniprésents. «Je demande aux autorités de nous aider. Un soutien financier adéquat ferait une grande différence. Les petites entreprises sont très importantes pour l’économie et nous avons besoin d’aide pour survivre.»
Néanmoins, bien que les temps soient durs, estime Kartigayen Pillay Iyaloo de The Entrepreneurs Collective Ltd, les entrepreneurs doivent plus que jamais rester positifs et flexibles. «Avec la hausse des coûts, les nouvelles dépenses comme le 14e mois et les défis soulevés par nos institutions depuis les élections, les PME, qui constituent l’épine dorsale de notre économie, ont besoin de plus de soutien pour rester à flot. L’augmentation des prix semble être la seule solution, mais elle réduit les capacités de fidélisation de la clientèle. Au lieu de cela, les entreprises devraient se concentrer sur la recherche de moyens pour travailler plus efficacement, offrir de meilleurs produits ou services et maintenir la valeur au centre de tout produit ou service proposé.»
Aujourd’hui, ajoute-t-il, défendre les intérêts des PME est essentiel. «Le gouvernement peut aider en introduisant des mesures telles que des allègements fiscaux, des subventions ou un accès plus facile aux prêts pour les PME sans garanties, ni exigences étouffantes. En travaillant ensemble, nous pouvons promouvoir des changements qui profitent aux entreprises. Même si le chemin à parcourir n’est pas facile, c’est une chance de s’améliorer et de grandir. En réduisant le gaspillage, en améliorant ce que nous proposons et en faisant équipe avec d’autres, les entrepreneurs mauriciens peuvent relever ces défis de front et en sortir plus forts.» C’est comme ça, dit-il, que les PME pourront mieux naviguer entre les grosses vagues.
Le paiement du 14e mois pour ceux touchant moins de Rs 50 000 se fera en deux fois. La première moitié sera payable ce mois-ci et l’autre tranche en janvier 2025. Le Special Allowance Bill a été voté avec deux amendements le vendredi 20 décembre à l’Assemblée nationale. À ce jour, 17 000 retraités ont déjà touché leur 14e mois. Intervenant sur le sujet, le ministre du Travail Reza Uteem a affirmé que l’Alliance Lepep n’a jamais eu «l’intention de payer». Il s’agissait juste, selon lui, d’une tentative désespérée de l’ancien Premier ministre. «Le changement veut dire être transparent. C’est venir dire la vérité sur l’état de l’économie.» Prenant la parole, Adrien Duval a affirmé que c’est la promesse du 14e mois et l’affaire Missie Moustass qui ont mené à la victoire de l’Alliance du changement, argument auquel Navin Ramgoolam n’a pas manqué de répliquer en expliquant que si tel était le cas, c’est l’Alliance Lepep qui aurait dû remporter les élections. «Lorsqu’ils ont dit qu’ils paieront le 14e mois, nous nous sommes dit que nous pourrons payer également», a-t-il déclaré avant de rappeler que les chiffres ont été manipulés : «Nous ne pouvons pas donner l’argent que nous n’avons pas.»
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