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Post-Budget : ces espoirs tombés à l’eau

16 juin 2024

Un goût ni amer, ni sucré. Le Budget présenté le 7 juin par le ministre des Finances Renganaden Padayachy n’a pas eu l’effet escompté au vu du contexte électoral qui entourait cet exercice tant attendu puisqu’il est le dernier du mandat du gouvernement MSM avant les prochaines législatives. Si les mesures budgétaires annoncées ont plus ou moins satisfait de nombreuses personnes, certains Mauriciens restent sur leur faim, oscillant entre déception et découragement. Les premiers à clouer ce Budget au pilori sont les membres de l’opposition qui estiment que celu-ci est «trompeur, décevant et réchauffé». Le leader de l’opposition, Arvin Boolell a, lors d'une conférence de presse il y a quelques jours, pointé du doigt «l’irresponsabilité» du gouvernement qui a proposé, selon lui, des mesures irréfléchies qui auront des conséquences désastreuses sur l’avenir du pays.

 

Tout au long de la semaine, avec les débats budgétaires qui se sont enchaînés au Parlement, les critiques se sont multipliées à l’encontre du gouvernement. Durant leur intervention à l’Assemblée nationale, les membres de l’opposition n’ont pas manqué d’égratigner le ministre des Finances et son Budget. Si Kushal Lobine des Nouveaux Démocrates a déploré le manque d’initiatives pour retenir les jeunes à Maurice et l’absence de mesures pour revaloriser la force policière, Osman Mohamed du Parti Travailliste est, lui, d’avis que le Budget reflète le sentiment de panique du gouvernement à l’approche des élections. «Ils donnent des cadeaux et après, c’est la population qui paie avec les intérêts. Demain s’annonce sombre.» Si pour Franco Quirin du MMM, ce Budget n’est qu’une illusion pour «donn enn dizef pou pran de bef ek so zenis», pour son collègue Rajesh Bhagwan, le gouvernement n’a tout simplement rien donné à la population.

 

Un effet boomerang

 

Il faut dire que beaucoup de Mauriciens nourrissaient de grands espoirs face à ce Budget. Ils espéraient retrouver un tant soit peu leur pouvoir d’achat avec des baisses concrètes sur les produits de première nécessité ou encore sur les médicaments dont les prix ont pris l’ascenseur ces derniers temps, plongeant de nombreux Mauriciens dans le désarroi. Au Parlement, pour justifier l’absence de mesures sur le prix des médicaments, le ministre de la Santé Kailesh Jagutpal a expliqué que c’est le manque d’ingrédients primaires utilisés dans la fabrication de médicaments sur le marché mondial qui engendre cette augmentation.

 

L'absence de mesures en ce qui concerne les medicaments, affirme Ashwin Dookun, président de la Pharmaceutical Association of Mauritius, n'est pas étonnante : «Le fait qu’il n’y ait aucune provision en ce qui concerne les médicaments n’est pas une surprise pour nous, les pharmaciens. Cela fait deux ans que nous sommes déçus. Une déception qui fait suite à l’annonce du ministre en 2022 de mettre en place un regressive mark-up sur les prix des médicaments, mesure qui a pris effet le 1er juillet 2023. Pour nous, c’est du pur bluff car aucun gouvernement ne peut contrôler le prix des médicaments car cela dépend de la disponibilité des ingrédients pharmaceutiques actifs. C’est de l’offre et de la demande tout simplement. Ils ont appliqué un semblant de regressive mark-up. C’est comme pour le Metro Express. C’est un tram que nous appelons métro.»

 

Au final, estime Ashwin Dookun, la situation s’est détériorée. «Ça a eu un effet boomerang à cause du système qu’ils ont mis en place et les prix des médicaments ont augmenté de 27 à 40%. Les techniciens du ministère sont coupés de la réalité. Quand la ministre du Commerce vient dire au Parlement que 80% des médicaments ont baissé, je me demande si nous vivons dans le même pays. C’est un gros mensonge. Le gouvernement doit améliorer son service à l’hôpital pour que les Mauriciens ne se rendent pas dans le privé. Un système de subside pour les personnes âgées afin qu’ils puissent acheter leurs médicaments n’est pas une mauvaise idée non plus.»

 

Pas de baisse sur les produits de consommation ni sur les médicaments, mais sur la bonbonne de gaz. Bien que cette baisse reste appréciable, avance Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), d’autres mesures plus importantes étaient attendues, notamment sur le prix des denrées de base et sur le carburant. «C’est clair que baisser la TVA et les taxes sur les produits alimentaires et sur les produits pétroliers n’est pas la priorité du gouvernement. Nous avions demandé une baisse de l’intérêt sur le Hire Purchase, mais cette demande est restée vaine.»

 

Après les allocations offertes et la hausse des pensions, Jayen Chellum est d’avis que cela va se répercuter sur l’inflation. «Je pense que les Mauriciens sont assez perplexes et se demandent comment le gouvernement va bien pouvoir financer ces allocations alors qu’il n’y a aucune nouvelle industrie. Avec la masse d’argent dans le circuit, l’inflation va grimper et ils vont vouloir subventionner ça avec la taxe et la surtaxation des produits pétroliers.» Si les allocations sont une bonne chose, il estime qu’il aurait fallu un meilleur ciblage afin d’avoir un meilleur équilibre. «On ne peut pas donner la même somme à tout le monde. Certains ne dépendent que de leur pension alors que d’autres ont plusieurs sources de revenus en plus de leur pension. Il n’y a pas de justice sociale.»

 

S’il y a un autre point sur lequel le gouvernement était attendu lors de cet exercice budgétaire, c’est bien la relativité salariale. Le fait que le ministre des Finances ait totalement occulté cette attente reste une pilule difficile à avaler pour de nombreux travailleurs même si les autorités ont donné l’assurance qu’un travail est en train de se faire. Pour Ivor Tan Yan de Linion Moris, la relativité salariale aurait dû faire partie intégrante du grand oral de Renganaden Padayachy. «C’est irresponsable de la part du ministre. De l’année dernière à maintenant, le salaire minimum a augmenté d’environ 50% pour les salaires en dessous de Rs 20 000. Un superviseur aujourd’hui est en train d’encadrer des gens qui touchent presque le même salaire que lui. Ça crée un déséquilibre et des frustrations. L’État n’a pas le droit d’oppresser les hauts salaires. Les gens attendaient ça depuis janvier.»

 

Lors d’une conférence de presse de Linion Moris le 13 juin, Ivor Tan Yan a sommé le gouvernement de prendre ses responsabilités. «On ne peut pas monter tous les petits salaires, mais ne rien faire pour ceux qui touchent plus de Rs 20 000. C’est son devoir d’assurer l’ordre et la rationalité dans les salaires.» Aujourd’hui, malgré l’assurance du ministre Soodesh Callichurn, qui a une fois de plus, lors des débats budgétaires, affirmé que le réajustement salarial sera une réalité cette année, la frustration et le découragement habitent de nombreux travailleurs.

 

S’il y a bien un autre secteur qui se sent délaissé et désappointé, c’est bien celui des PME. Au niveau de la SME Chambers, la déception est en effet grande après qu'elle a nourri beaucoup d’espoir, déclare Maya Sewnath, suite à la rencontre avec le ministre des Finances. «Nous sommes choqués et notre déception est terrible. Nous avons le sentiment de vivre un cauchemar et ce Budget est pour nous, les petites et moyennes entreprises, un coup de massue sur la tête. On se retrouve avec rien, si ce n’est plus de lourdeur. Malheureusement, le ministre n’a pas de cœur pour les PME.»

 

Pour Maya Sewnath, le Budget n’est qu’une action électoraliste qui met encore plus de plomb dans l’aile des petites et moyennes entreprises. «Il a donné à tout le monde sauf à nous. 21 millards au MCI pour write-off les dettes, ça s’adresse aux grandes entreprises. On se retrouve avec encore plus de fardeau à porter. Avec le salaire minimum et le CSG que nous devons honorer, les Utility Bills qui ne cessent d’augmenter, le coût de production qui grimpe, notre situation est difficile. Comment voulez-vous qu’on mène nos entreprises à bon port dans ces conditions ?» se demande notre interlocutrice.

 

Aujourd’hui, les PMEs redoutent le réajustement salarial promis par le gouvernement. «Nous allons devoir payer, mais comment, on se le demande. Ce Budget ne comporte aucune relance économique pour les PME. Pour le gouvernement, c’est comme si on n’existe pas. It’s either we adapt or we perish.»

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