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Pricila Iranah : «Le projet Maurice Île Durable mériterait d’être ressuscité»

31 mai 2016

Pricila Iranah : «Le projet Maurice Île Durable mériterait d’être ressuscité»

Que représente pour vous la Journée mondiale de l’environnement ?

 

C’est le jour idéal pour mettre l’accent sur l’éducation et la sensibilisation à toutes les formes de protection des ressources naturelles. C’est aussi l’occasion de reconnaître les liens unissant les citoyens du monde et d’accepter de faire un effort collectif pour lutter contre la diminution des réserves d’eau, la déforestation et le réchauffement climatique. Cependant, la gestion de notre environnement naturel doit être au centre de notre quotidien. Nous nous devons d’aller au-delà du once-a-year-only. Les campagnes de nettoyage et les plantations d’arbres doivent se faire toute l’année. À l’échelle individuelle, il faut que le recyclage, l’achat de produits non polluants et peu emballés, les économies d’eau et d’énergie deviennent des habitudes aussi naturelles que s’habiller, se doucher et prendre son café le matin. 

 

Croyez-vous que les Mauriciens soient bien conscients des problématiques environnementales ?

 

Les Mauriciens sont conscients. Ils sont témoins des inondations, de l’érosion des plages, du changement de température en été comme en hiver, de la baisse de fertilité des terres agricoles, des dommages causés aux coraux, de la disparition d’espèces animales, etc. Il faut bien comprendre que le réchauffement climatique est un cycle naturel, mais qu’il est amplifié et précipité par des activités humaines. La pollution, elle, est générée exclusivement par l’homme. En avoir conscience et prendre possession de sa part de responsabilité sont deux choses différentes. On peut dire à quelqu’un que jeter ses ordures n’importe où est mauvais ; il répondra sans doute : «Oui, c’est mauvais.»La vraie question est de savoir ce qui motivera la personne à éliminer ses mauvaises habitudes pour adopter les bonnes, et ce dans un cours délai. Si un enfant se soumet aux ordres des adultes, peu d’adultes réagissent positivement aux mêmes formes de directives, même si l’intention est bonne. Il faut donc trouver la bonne façon d’inciter la population à changer ses habitudes. Dans l’idéal, il faudrait réussir à faire évoluer les mentalités au point que chacun perçoive la pollution, la déforestation ou la disparition d’une espèce comme un crime contre l’humanité.

 

Quel constat faites-vous de la situation dans notre île ?

 

On peut s’attarder sur les problèmes, mais il ne faut pas non plus oublier les succès et les opportunités. Maurice est parmi les pays qui ont une législation solide en matière de protection de l’environnement. L’État mauricien a même mis en place certaines mesures écologiques avant des pays développés. Plusieurs programmes et projets, au niveau national ou à plus petite échelle, méritent d’être reconnus et applaudis. Je pense notamment aux accomplissements de Mission Verte pour le recyclage et au projet Manze partazequi offre un moyen durable d’éliminer le gaspillage de nourriture (dans les décharges, les déchets alimentaires constituent l’une des sources principales de méthane, un gaz à effet de serre). Le ministère de l’Agro-industrie procède en ce moment à la réactualisation du National Biodiversity and Strategy Action Plan,un programme incontournable pour tout pays signataire de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies.  Je pense aussi aux actions bénévoles de bon nombre de citoyens.

Cependant, Maurice peine à développer un réel programme de gestion des ressources naturelles. Par exemple, l’utilisation de sources d’énergie renouvelable comme les panneaux solaires est un fait, mais que fait-on des déchets toxiques, riches en métaux lourds ? Comment gérer l’approvisionnement en eau sans s’attarder sur le rôle des forêts comme capteurs de pluie ? Comment éliminer l’envasement et la pollution des lagons sans parler des pratiques de gestion des terres en hauteur ? Comment encourager le tri des déchets sans moyens efficaces de collecte des matériaux recyclables, et sans permettre aux entreprises de recyclage d’être compétitives et profitables ? Le projet Maurice Île Durable mériterait d’être ressuscité.

 

Selon vous, ce qui doit être fait pour protéger notre environnement est-il fait ?

 

Avec suffisamment de temps, d’imagination et de participation, l’île peut se créer une vision d’avenir utopique et détaillée. En réalité, nous devons en permanence faire des compromis et nous prenons occasionnellement de mauvaises décisions. Il n’empêche que le développement en lui-même est un processus. L’évolution de ce processus, surtout pour le développement durable, demande l’innovation et un apport solide de la recherche. Ajoutez à cela que nos institutions souffrent toujours du problème de silo thinking, dans le sens où chacun a son mandat, ses priorités, son budget, son territoire, et résiste au changement. Pouvoir dépasser cet état de business-as-usualpour mettre en place un système intégré de gestion des ressources naturelles est primordiale pour s’assurer d’un futur durable. Il faut aussi pouvoir impliquer le public et les acteurs socio-économiques dans des discussions franches, ouvertes et fréquentes sur cette problématique. Enfin, nous devons impérativement établir des objectifs précis à atteindre, quels que soient les changements sur le plan politique.

 

Quelle serait la priorité dans notre île ?

 

Maurice est en quatrième position au classement des îles tropicales les plus densément peuplées.  Notre espace et ses écosystèmes sont un privilège, nous en dépendons, l’économie du tourisme également. Gérer cet espace est un projet majeur qu’on peut visualiser sous la forme d’une bulle.  Cette bulle intègre la gestion des déchets avec une pollution minimale, la restauration et la préservation des forêts et des zones humides, une vision différente de l’habitat et de la construction, la réduction des importations au bénéfice des industries locales (surtout pour les produits alimentaires), entre autres. Tout cela est interconnecté et implique le besoin d’éduquer le Mauricien afin qu’il devienne un consommateur averti et responsable.

 

Maurice accueillera le Women’s Forumdu 20 au 21 juin. Lors de cette conférence, l’accent sera mis sur le climat, les ressources naturelles et l’énergie. En quoi ce genre de forum peut-il aider à la protection de l’environnement ?

 

Chaque grand projet a besoin d’un cheerleaderqui a pour rôle de rallier les troupes. Prenons par exemple la récente conférence COP21 à Paris, qui a réussi à mettre les réalités climatiques des îles océaniques sur une échelle mondiale et prioritaire. De même, le Women’s Forumpourra aider à mettre l’accent sur des thèmes essentiels au développement durable, comme la protection de la santé des enfants, l’équité dans la distribution des ressources, le rôle des femmes dans la recherche et la politique environnementale, entre autres.  Ce type de conférence est aussi un  moyen d’encourager de nouveaux partenariats et l’échange de connaissances entre acteurs internationaux.

 

Bio express

 

Pricila Iranah estResearch Assistant dans le département des sciences de la terre et de l’environnement de la Montclair State University, dans le New Jersey. Après sept ans au Queen Elizabeth College, elle a passé un BSc (Honours) en biologie à l’université de Maurice. Après une maîtrise en gestion environnementale obtenue en Angleterre, et un passage à la Zoological Society of London, elle a été la Conservation Coordinator de la Vallée de Ferney pendant trois ans. Elle y a développé le programme Adopt a treeet une station d’étude sur le site : «Depuis presque quatre ans, je poursuis des études pour avoir ma licence de doctorat aux États-Unis.»

 

Quelle actualité à Maurice a retenu votre attention dernièrement ?

 

L’abattage des chauves-souris décidé par le gouvernement m’a profondément bouleversée.  Même si je peux comprendre la peine des producteurs fruitiers et de certains citoyens, les chauves-souris ont un rôle crucial au sein de notre écosystème forestier. Faire de la chauve-souris le bouc-émissaire des pertes de fruits démontre un manque de compréhension de notre environnement naturel. 

 

Et sur le plan international ?

 

Outre le théâtre politique actuel aux États-Unis, le ralliement contre l’utilisation des combustibles fossiles a fait le tour des premières pages. L’engouement pour encourager les entreprises et gouvernements à ne plus investir dans les combustibles fossiles est impressionnant. Sur un second plan, je ne peux pas ignorer les tragédies humaines suite aux conflits au Moyen-Orient et en Afrique. Il est important aussi de rappeler que la guerre est une source majeure de pollution : les armes et les bombes laissent beaucoup de produits chimiques toxiques et de métaux lourds dans la nature.

 

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