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25 avril 2022 18:24
D’un côté, il y a un peuple à bout de souffle qui, face à cette avalanche de montées de prix, peine à garder la tête hors de l’eau. Partout, ce sont les mêmes sentiments qui reviennent. L’incompréhension. La colère. L’inquiétude. En face, il y a un gouvernement qui blâme la Covid-19, le coût du fret, la guerre Russie-Ukraine et la dévaluation de la roupie. Un gouvernement qui, face au cri du cœur de sa population, affirme que la situation est inévitable et que malgré tout, nous sommes mieux lotis que d’autres pays.
Pourtant, pas une semaine ne passe sans qu’il n’y ait une nouvelle augmentation. Les produits alimentaires, le carburant, le gaz ménager, le budget familial explose. Jamais auparavant, les Mauriciens de tout bord, de toutes les couches sociales, ne se sont autant plaints du coût de la vie qui étrangle et asphyxie. La situation est bien plus chaotique pour ceux qui travay gramatin pou manze tanto. Une souffrance qui a mené à des débordements et des affrontements entre la police et les civils cette semaine.
Tous les observateurs s’accordent à dire que la situation n’est pas à prendre à la légère. Le pays se retrouve aujourd’hui en pleine crise sociale. Les tensions qui ont éclaté depuis le 20 avril ne sont que le reflet de cet état d’esprit et témoignent du ras-le-bol de la population. Pour l’observateur Faizal Jeeroburkhan, ce soulèvement était prévisible. «C’est intenable pour les Mauriciens, surtout ceux au bas de l’échelle. Les forces vives et les associations n’ont pas arrêté de tirer la sonnette d’alarme. Nous sommes habituellement un peuple mouton qui ne proteste pas. Là, la dernière augmentation du prix du carburant et du gaz ménager a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.»
En effet, il y a, selon Manisha Dookhony, économiste et observatrice politique, une vraie souffrance chez la population, un mal-être qui ne doit pas être sous-estimé. «Il faut écouter la colère de la rue. La solution n’est pas l’oppression. Avec la situation économique difficile, particulièrement pour les ménages les plus fragiles, les gens ont du mal à joindre les deux bouts. Il y a des gens qui doivent choisir les dépenses. Cette colère n’est pas uniquement à Camp-Levieux, mais partout à Maurice.»
Ces débordements, estime pour sa part Suttyhudeo Tengur de l'Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs, démontrent clairement que la population est au bout du rouleau. «Jamais dans l’histoire du pays, il n’y a eu tant d’augmentations en si peu de temps. Il fallait s’attendre à ce genre de démonstrations. Toutefois, si la population veut manifester, il faut que ça se fasse dans les limites de la loi.»
Ce qui exacerbe encore plus la colère des Mauriciens, lance Faizal Jeeroburkhan, c’est d’avoir en face de soi un gouvernement qui fait la sourde oreille. «Aujourd’hui, les gens sont informés. Ils voient très bien ce qui se passe et peuvent se faire une opinion. Vous avez des ministres qui voyagent, qui achètent des berlines. On dépense des milliards dans des gros projets qui ne rapportent rien. Le gouvernement semble être déconnecté et impassible face à la souffrance des gens qui se rendent compte que ce n’est pas correct.»
Si ça continue comme ça, estime Faizal Jeeroburkhan, la situation risque de s’envenimer : «Quand on touche à la nourriture, au gagne-pain des gens, ça devient imprévisible en termes de réactions.» Prendre des mesures urgentes est donc primordial. «Il faut instaurer un comité national avec le gouvernement et l’opposition pour trouver des solutions. On peut penser à des bons d’achat pour ceux au bas de l’échelle, à baisser la TVA sur des produits essentiels. Il faut aussi revoir le Negative Income Tax. Il faut trouver une stratégie ensemble. Ce n’est pas le moment de se bagarrer sur des peccadilles.»
Revoir les structures de prix est primordial, souligne Suttyhudeo Tengur. «Je l’ai dit et je le répète. Il faut absolument revoir les structures du prix du carburant. Il y a trop de taxes. Plus les prix augmentent, plus le gouvernement obtient de l’argent. J’ai entendu de la part du directeur de la State Trading Corporation que cet organisme a dû réduire les subsides sur le carburant et le gaz ménager. Au contraire, il faut augmenter les subventions, non seulement sur ces deux produits, mais également sur ceux considérés comme essentiels.»
Pour Manisha Dookhony, il y a un vrai besoin aujourd’hui d’être à l’écoute des gens et «pa zis koup riban». «Il faut comprendre les souffrances et les difficultés. Ce n’est qu’en étant à l’écoute que le gouvernement pourra prendre les mesures appropriées.» Le gouvernement, dit-elle, devrait revoir la composition du prix à la pompe. «Sur le prix que nous payons, il y a à peu près la moitié qui n’est pas lié directement à l’achat, le stockage et la vente de l’essence. Il y a plusieurs taxations qui font une grosse différence et une marge sur laquelle le gouvernement a le pouvoir d’agir.» Ce qu’il ne faut pas oublier, rappelle notre interlocutrice, c’est que le gouvernement a demandé à la population de faire un effort sur les deux dernières années à cause de la crise liée à la Covid-19 et que celle-ci a joué le jeu.
Il y aussi, estime-t-elle, un ciblage sur la taxation à faire par rapport à certains produits de consommation. «Qu’est-ce qui est taxé et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Il y a des produits qui n’étaient pas de consommation courante il y a 20 ans et le sont aujourd’hui. Les pâtes, par exemple, sont sujets à 15% de taxe, ce qui fait que lorsqu’il y a une augmentation, le prix grimpe encore plus alors que c’est quelque chose que tout le monde mange. On peut penser à différents barèmes de TVA. Par exemple, les produits les plus luxueux peuvent être taxés à 15% et ceux les plus consommés entre 0 et 5%.» Ce sont là, lance Manisha Dookhony, des pistes à étudier pour essayer de soulager le fardeau des Mauriciens.
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