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3 décembre 2023 16:52
Ce dossier a toujours été cœur de leurs revendications. Et dans ce combat qui n’a pas toujours été des plus simples, la décision de revoir à la hausse le montant du salaire minimum représente aux yeux des syndicalistes une grande victoire. En effet, alors que le National Wage Consultative Council (NWCC) devait soumettre ses recommandations en 2025, il a décidé de se réunir plus tôt que prévu pour revoir le montant du salaire minimum. C’est le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, lui-même qui a annoncé la nouvelle alors que la rumeur enflait depuis quelques jours. Face à la presse le vendredi 1er décembre, il a ainsi confirmé que le salaire minimum sera désormais de Rs 15 000 plus les Income Allowances payées par la Mauritius Revenue Authority (MRA) ce qui fait qu’un employé bénéficiera d’un revenu minimum garanti de Rs 17 000. 141 700 travailleurs des secteurs public et privé sont concernés par cette annonce qui a été accueillie positivement par les syndicalistes et les Mauriciens en général.
Pour le ministre, il s’agit d’une augmentation de l’ordre du «jamais vu» : «au sein du gouvernement, nous avons senti que c’était le bon moment pour revoir le salaire minimum. Avant l’introduction du salaire minimum, un employé du secteur privé touchait en moyenne Rs 6 500 par mois alors qu’aujourd’hui, c’est une augmentation à hauteur de 161 %. C’est du jamais vu en l’espace de 6 ans seulement. C’est la preuve que ce gouvernement a à cœur l’intérêt des travailleurs». Ce dernier a également annoncé une réforme dans la Workers Rights Act pour que le National Wage Consultative Council et le National Remuneration Board puissent déterminer le salaire dans le secteur privé en relation avec le poste qu’occupe un employé peu importe son secteur d’activité.
Actuellement à Rs 11 575, le nouveau salaire minimum sera payable à partir de janvier 2024. La Confédération des Travailleurs des Secteurs Publics et Privés (CTSP), qui avait fait de ce dossier son cheval de bataille et qui a milité pendant des années pour l’instauration d’un salaire décent pour les plus petits travailleurs, ne peut qu’accueillir cette nouvelle favorablement. Face à cette annonce, Jane Ragoo ne peut s’empêcher de saluer le combat acharné mené par les travailleurs et les syndicats. «Aujourd’hui, nous assistons à la concrétisation d’une demande de la CTSP. Cette réussite, c›est grâce au combat de tous les travailleurs et des syndicats donc nous dédions cette victoire aux plus petits travailleurs. Nous avons commencé à Rs 9 000 et aujourd’hui nous en sommes à Rs 15 000. C’est une somme qui garantira une sécurité alimentaire et permettra à de nombreuses familles de ne pas tomber dans la malnutrition. Il y a des combats que nous menons à court, moyen et long terme et nous avons commencé celui-là il y a des années de cela maintenant», dit-elle.
Si le résultat de ce combat de longue haleine est sans équivoque, il est important, précise la syndicaliste, que les conditions entourant cette décision soient mises noir sur blanc. «C’est le salaire minimum pour ceux qui se trouvent au bas de l’échelle, maintenant il faut build-up là-dessus. Ça ne veut pas dire que tous ceux qui commencent à travailler quel que soit le métier doivent recevoir ce salaire. Les patrons doivent bien comprendre cela. Le ministre doit bien préciser à quelle catégorie de travailleurs s’applique ce salaire minimum afin qu’il n’y ait pas d’abus comme c’est le cas maintenant.»
Pour Radhakrishna Sadien de la State Employees and Other Federations, cette hausse dans le revenu minimum n’aurait pas été possible sans le travail des syndicats au sein du NWCC, mais aussi de la volonté du gouvernement. Si le nouveau montant du salaire minimum est une très bonne nouvelle, il est important, souligne le syndicaliste, que certaines conditions soient respectées. «Il faudra un contrôle sévère parce qu’à la fin de la journée les entreprises vont venir dire qu’elles ne pourront pas payer et vont solliciter l’assistance du gouvernement en terme de contribution et c’est l’argent du contribuable qui va y passer. La MRA et le ministère des Finances devront veiller au grain. Les entreprises, principalement les plus grandes, devront honorer leur obligation et ne doivent pas trouver de subterfuge.»
Radhakrishna Sadien milite également pour un contrôle des prix dans le commerce et un réajustement des salaires entre ceux qui débutent et ceux qui ont de l’expérience afin de prévenir l’illusion monétaire. «À la fin du jour, oui on a des sous en plus, mais il faut se demander combien de choses nous pourront acheter avec cette somme. Quand on regarde les prix qui sont pratiqués et la cherté de la vie, ça ne représente pas grand-chose. Il faut remettre sur pied le Profiteering Court et accentuer la protection des consommateurs.»
Tout comme les autres syndicalistes, Jack Bizlall ne peut que saluer cette décision qui est, dit-il, synonyme de l’effort entamé depuis 2018 avec la mise sur pied du NWCC et le travail de la classe syndicale pour que le salaire minimum évolue graduellement pour permettre à une famille de mener une vie décente. Cependant, une fois l’effet de l’annonce passée, il est important, précise le syndicaliste, de rester prudent. «Il faudra un espace pour juguler l’inflation, car c’est un exercice contradictoire quand le gouvernement augmente le revenu en appliquant une politique économique inflationniste pour gagner du financement à travers l’inflation directe. Ça crée un gros problème.» Ce faisant, le gouvernement s’attaquera à une autre catégorie de travailleurs qui devra payer plus cher ses commodités. «Ce n’est pas une politique que nous pouvons accepter en soi comme étant isolée de la politique inflationniste.»
Alors que les syndalistes se réjouissent du nouveau montant du revenu minimum, c’est le choc et l’inquiétude chez les petites et moyennes entreprises qui se demandent comment elles vont faire pour survivre à ce nouveau coup dur. Maya Sewnath, vice-présidente de SME Chambers, ne cache pas sa déception et son amertume face à cette décision. «Pour nous, c’est une douche froide. On avait entendu des rumeurs, mais la confirmation de cette décision a été un choc, car cela va entraîner la mort lente des PME. Il n’y a aucune philosophie d’aider les entrepreneurs et de voir émerger des nouveaux. C’est déjà difficile pour nous et maintenant le gouvernement vient mettre un fardeau supplémentaire sur le dos des entrepreneurs.» Selon cette dernière, l’augmentation du salaire minimum aura un effet boule de neige sur le dos des petits patrons. «Tout est lié. Nous allons devoir payer plus pour le salaire, payer les local et sick leaves, les congés publics, les contributions à la CSG. Le bonus va augmenter, les overtimes seront basés sur le nouveau salaire minimum. Tout va augmenter et alourdir notre fardeau.»
Si le ministre Soodesh Callichurn a annoncé la mise sur pied d’un mécanisme pour les entreprises ayant des difficultés à payer leurs employés, Maya Sewnath reste sceptique. «Nous avons de nombreuses questions. Comment ça va se faire, est-ce que ce mécanisme sera adapté ? On attend pour voir. Cependant, ils avaient dit la même chose après l’augmentation du prix du diesel et ça ne fonctionne pas.» Pour Maya Sewnath, tout cela ne fait que mettre à genoux les petits entrepreneurs.
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