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Par Elodie Dalloo
14 mars 2023 03:55
Ses vêtements sont quasiment neufs. Sa poussette, il ne l’a jamais utilisée. Il a des jouets qu’il n’a même pas encore eu le temps de déballer. Mais tout cela ne veut rien dire comparé à toutes ces choses que le petit Mathis Winsley Kurdy Maylone Appou ne pourra jamais vivre. Il commençait à peine à gazouiller, à réagir au son de la voix de ses parents, ou à les imiter en faisant des signes de la main lorsqu’ils lui chantaient «ah, la belle menotte». D’après sa mère Elleza Ami, 27 ans, et son père Hansley Appou, 24 ans, le nourrisson «n’avait que trois mois mais donnait l’impression d’en avoir le double car il était vraiment gaillard». Ils ne se seraient donc jamais imaginés le perdre à cet âge, d’autant que le petit garçon n’avait aucun problème de santé. Néanmoins, ce mercredi 8 mars, c’est dans des circonstances subites, tragiques et inattendues qu’il a perdu la vie. Cela faisait à peine deux semaines que le couple l’avait placé dans une crèche, à Triolet, et c’est en ces lieux qu’il est mort étouffé après qu’une baby-sitter lui a donné son lait. Si cela peut être considéré comme un malheureux incident, un dramatique moment d’inattention ou une faute non-intentionnelle, reste que c’est toute une famille qui est brisée derrière.
Lorsqu’Elleza et Hansley se sont connus, la jeune femme avait déjà un fils, issu de sa première union. En apprenant, l’an dernier, qu’elle était enceinte et qu’elle allait offrir un premier enfant à son compagnon, c’était le bonheur. «Nous étions aux anges. Nous étions impatients de l’accueillir», relate-t-elle. Elle se remémore toutes ces nuits où elle n’a pas fermé l’oeil pendant sa grossesse. «Comparée à la première, ma deuxième grossesse était très difficile. J’ai eu des complications de santé jusqu’au dernier moment.» Elle a tout de même pu mener cette grossesse à terme et a mis au monde le petit Winsley par césarienne le 23 novembre 2022.
«C’était mon bébé miracle. Après autant de problèmes de santé, notre fils est venu au monde en pleine forme. Il n’est jamais tombé malade les mois suivants, si ce n’est qu’il a eu une légère fièvre à une seule reprise», confie Elleza. Elle poursuit avec émotion : «La naissance de cet enfant a apporté un bonheur immense à nos familles respectives.» Kersley, le père d’Hansley, le confirme : «Monn vinn granper laz 43 an, monn ere, li ti koumadir monn sot enn letap dan mo lavi.»
Lorsqu'Elleza a dû reprendre le travail, le 1er mars, se séparer de son enfant a été difficile. «Je l’avais inscrit dans une crèche à Triolet une semaine plus tôt pour pouvoir être à ses côtés durant la période d’adaptation. J’avais choisi cette garderie parce que mon premier enfant y avait été et aussi parce qu’elle avait une bonne réputation. C’était la meilleure dans la localité ; du moins, c’est ce que je pensais», explique la jeune femme. La première semaine, elle ne leur avait confié l’enfant que pendant quatre heures quotidiennement et c’est lorsqu’elle a repris son travail que l’enfant a commencé à y passer toute la journée. Comment pouvait-elle s’imaginer alors que son fils finirait par être victime d’«une terrible négligence» en leur absence ? Elle n’oubliera jamais cet appel l’informant que son fils était «très malade», en ce mercredi 8 mars, ne lui laissant d’autre choix que de quitter son lieu de travail précipitamment pour se ruer vers la Mediclinic de Triolet.
Le temps pour Elleza de trouver un véhicule pour la conduire jusqu’à cet établissement médical, elle en avait informé son compagnon, qui était en congé, afin qu’il puisse s’y rendre. Il est le premier à avoir rejoint les Caregivers à la clinique. «Kan monn zwenn bann miss-la, bebe ti lor enn latab dan enn lasal. Mon enfant avait été placé sous respiration artificielle et un médecin tentait de le réanimer. Il lui a fait un massage cardiaque mais Winsley ne réagissait toujours pas. Ler li finn tir li dan laparey, li finn dir mwa ki finn tro tar, ki nepli kapav fer nanye», raconte Hanley. D’une voix tremblante d’émotion, il poursuit : «Monn esay pran mo zanfan dan mo lebra enn dernye fwa, monn sakouy li. Il a recraché du sang en rendant son dernier souffle dans mes bras. Monn vinn fou dan sa ler la, mo pa ti pe le konpran seki ti pe arive.» Le cas ayant été référé à la police, une autopsie a dû être pratiquée sur le corps du nourrisson. Celui-ci a conclu qu’il avait succombé à une «asphyxia due to aspiration of stomach content».
Dans le cadre de cette enquête, la gérante de la crèche a été interrogée par la police de Triolet. Elle a expliqué aux officiers que cela fait neuf ans qu’elle gère cette garderie et qu’elle dispose de tous les permis nécessaires pour opérer. Elle a actuellement 38 enfants âgés de 3 mois à 3 ans à sa charge. Le jour fatidique, a-t-elle déclaré, les parents du petit garçon l’ont déposé à 7h30. Puis, à 8h45, une baby-sitter lui aurait donné le biberon et l’aurait placé dans un berceau pour qu’il fasse la sieste 45 minutes plus tard, soit après lui avoir fait faire son rot. Ce n’est qu’aux alentours de 11h30, lorsqu’une autre baby-sitter serait allée changer la couche du nourrisson, qu’elle aurait constaté des traces de sang près de ses lèvres et l’aurait aussitôt conduit à la clinique. La baby-sitter qui aurait nourri le bébé a été appréhendée par la police le lendemain, soit le jeudi 9 mars, sous une accusation provisoire de négligence. Mais selon Elleza, la mère du nourrisson, «madam kinn arete-la, se pa li ki abitie okip zanfan. Li abitie fer lakey ek netwaye. Mo demann mwa si lekol-la pa pe rod fer li pran responsabilite enn lot dimounn». Interrogée par les enquêteurs, cette femme leur a, cependant, donné la même version que celle avancée par la gérante. Après sa comparution devant le tribunal, elle a été libérée contre une caution de Rs 20 000. Outre la police, le ministère de l’Égalité des genres a également initié une enquête en ce sens.
Alors que les funérailles du petit Winsley ont eu lieu le jeudi 9 mars, ses parents peinent à reprendre le cours de leur vie. Ils se demandent s’ils le pourront un jour. «Nous ne dormons plus, ne mangeons plus ; nous allons tous vraiment mal depuis. Nos vies sont bouleversées à jamais. Nou ti fini gagn labitid dormi aswar avek somey leze parski nou kone kiler nou abitie leve pu donn li so bwar, pou gete ki li pe fer, sa labitid-la ankor la.» Pour Elleza, ces trois mois passés avec son fils la marqueront à vie. «Li pa ti enn bebe kontan lame. Ou poz li lor lili, li pa plore, li zwe, li riye. Li ti bien gayar. Ce qui m’attriste le plus, c’est qu’il n’était pas malade. D’ailleurs, je n’aurais jamais envoyé mon fils à la garderie s’il avait des problèmes de santé. Nous avons perdu notre enfant parce que nous avons placé notre confiance en des personnes qui sont soi-disant qualifiées pour s’en occuper. Li pa fasil ki zordi ou trouv ou zanfan an plenn form ek so landime, ou trouv li dan so serkey.» Partagée entre tristesse et colère, elle se pose aussi une multitude de questions. «Kifer apre ki mo bebe finn mor, bann miss-la inn donn mwa enn version diferan sakenn ? Il y a beaucoup trop de zones d’ombre dans cette affaire.»
Comme tous les membres de leur entourage, Elleza et Hansley n’ont à présent plus qu’un souhait. «Que la police enquête en profondeur sur cette affaire et qu’il n’y ait pas de cover-up. Nous voulons que ceux responsables du décès de notre enfant paient pour leur négligence.» Ils comptent consulter un homme de loi incessamment avant d’aller de l’avant avec cette affaire. «Nous ne voulons pas que d’autres parents subissent le même sort à cause de l’incompétence des employés de cette crèche. Si zot pa kontan zot travay, zot bizin aret fer li. Azordi, nounn perdi nou zanfan; nanye pa pou kapav ramplas li», lâchent-ils, effondrés.
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