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Par Yvonne Stephen
16 mai 2025 19:38
Son engagement auprès du Kolektif 420 est le résultat d’un long parcours de vie. Avec une extrême pudeur, il en parle…
Il y a eu des vagues. Elles ont déferlé sur sa vie, se sont écrasées, se sont retirées. Elles ont parfois caressé son rivage, parfois mordu son existence. Mais elles ont souvent balayé ses acquis, ses certitudes. Il y a eu des marées hautes et d’autres tellement basses. Et c’est avec la mélodie de l’océan qu’Azaria Topize parle. Ses mots flottent dans l’air et on sent qu’ils ont fait un long voyage intérieur avant de franchir ses lèvres, avant d’arriver à bon port. Le jeune homme, dont le surnom vous parle forcément et vous ramène à celui de Joseph Reginald dit Kaya, a décidé de s’engager auprès du Kolektif 420 pour la dépénalisation/légalisation du gandia à Maurice afin de contrer la marche lugubre des drogues dures et synthétiques. Le collectif organise un rassemblement le dimanche 1er juin. Rencontre avec celui qui est un des visages de ce mouvement.
C’est pour parler de cet engagement public – il a fait la demande pour le rassemblement – qu’il accepte le jeu des questions-réponses, un peu sur la retenue. Quand on lui demande d’évoquer ces moments de vie qui ont fait de lui l’homme qu’il est, ses pensées font naufrage. «Il y en a trop. Mo pa kone», lance cet habitant de Bambous. Alors, il faut le suivre sur les voies navigables : «J’ai rencontré beaucoup de gens. Mais aussi beaucoup d’obstacles, j’ai dû les traverser. C’est ce qui m’a fait avancer.» C’est aussi ce qui lui a fait avoir une compréhension du monde, ses courants dangereux, ses lames de fond. Mais aussi, et surtout, ses profondeurs qui interrogent, connectent et qui apaisent. C’est en ayant cette conscience du soi à vivre auprès des autres, de la nature, que le fils de Kaya a répondu à l’appel du Kolektif : «J’ai étudié le gandia : mo pena okenn problem ar li.* Par contre, j’ai eu beaucoup d’amis sous influence ; j’en ai perdu beaucoup avec les drogues chimiques et les psychotropes. C’est pour cela que j’ai décidé de faire entendre ma voix.»* Il ne peut, explique-t-il, rester insensible aux ravages du simik.
Aux crimes, à la souffrance. Aux familles brisées. Aux individus en perdition. «Il y a beaucoup de dégâts, La société est malade. En tant que citoyen, je ne peux pas dire que je suis dans l’ignorance ou dans l’égoïsme. J’ai besoin de faire face et de faire un pas.» Pour la société, pour le monde dans lequel il vit, celui qui est actuellement peintre en bâtiment (mais qui a fait de nombreux métiers) a décidé d’être dans l’action : «Je suis sensible à ce qui se passe. Je suis connecté à ce qui m’entoure. Je ressens la société.» Pour lui, pas de doute, «*vo mie gandia ki simik». «J’entends des gens qui disent tou sa bann zafer-la parey. Mais nous qui connaissons la vie. Nous qui avons vu ses nuances. Nous pouvons dire que ce n’est pas vrai.»
Nier le besoin de s’évader de l’humanité, ce serait de l’hypocrisie, estime celui qui pratique la musique quand il n’est pas engagé sur des chantiers : «Le cerveau humain est ainsi : il va chercher quelque chose pour se faire du bien. Pour certains, c’est le sucre, non ? Concernant les ravages provoqués par la drogue, je pense que le gandia peut apporter un soulagement. Car il est naturel, bizin pa gagn lefe par lamin enn zom, bizin al ver natirel.» Son discours est bien ancré, tourné vers le cœur du monde : la nature. Il espère le faire voler comme un drapeau pour la guérison de la société. C’est son message à lui. Sa carte qu’il dessine. Ce besoin de s’engager est-il porté par celui de son père ?
La question est légitime. Sa réponse touche au cœur. On y entend la longue construction sans ce père devenu symbole qu’il a perdu alors qu’il avait 8 ans. Cet apprentissage de la vie d’homme qu’il a fait à l’ombre des souvenirs avec lui, avec en voile de fond, cet héritage musical de sagesse et d’engagement qu’il a laissé : «Être son fils n’est pas le principal moteur de cette décision. Agir, s’engager : ce sont des décisions personnelles. Ou fer li selon ou mem.»
Même s’il reconnaît que la mort de Kaya (c’est ainsi qu’il nomme son père pour parler de lui en public mais dans l’intimité c’est «Pa») est «lie ar sa deba-la». Et que son père a laissé en lui des graines de sable d’une réflexion et d’une manière de vivre qui le mènent à ce moment de sa vie. Comme une voie… marine : «Je me souviens de la façon dont il parlait, ses mimiques, sa gestuelle. Des gens comme lui, c’est rare. Il avait des valeurs, une droiture. Il a toujours été responsable. Il était pour un système anti-pollution, un système de courtoisie. Si on jetait un bout de plastique, il passait derrière nous pour le ramasser. Il m’a éduqué par ses gestes, sa façon d’être. Il m’a éveillé, comme beaucoup d’autres, avec sa musique.» Des paroles et des rythmes qui font encore frissonner. Qui résonnent, aujourd’hui encore, avec tellement de justesse.
Avec les événements liés à la mort de son «Pa», il a dû mettre de la distance : «Je ne sais pas ce qui est arrivé. L’enquête n’a jamais abouti. On n’a pas situé les responsabilités. Je me rappelle les moments qui ont suivi son décès. Dimounn ti anflame, dimounn ti transforme. Ti ena enn anvi lager san kone kifer bizin lager.» S’éloigner pour se construire tant bien que mal, pour se définir, pour trouver son chemin. Pour faire grandir la sagesse et le lien avec la nature, et le nourrir. Pour être, tout simplement. Parce que même si la mort détruit et dévaste, la vie perdure, surtout quand on a 8 ans. Alors, il faut la prendre avec ses vagues…
Pour faire avancer la cause
Se faire voir, se faire entendre. Mobiliser, conscientiser. Après deux marches à Rose-Hill (d’abord contre les drogues dures/synthétiques, ensuite, pour la dépénalisation/légalisation du gandia), le Kolektif 420 propose un rassemblement le 1er juin à partir de 11 heures à la Place d’Armes, Port-Louis. Une façon de faire avancer la cause car, pour l’instant, il n’y a pas eu de retour de la part des autorités. Pour Azaria Topize, c’est un sujet qui concerne tout le monde. Chaque personne peut se mobiliser «dans le respect et dans la foi dans l’essence même de l’être humain», précise-t-il. «Tout se fera dans le calme, sans dérapage. Dans la propreté aussi : pa zet salte ! Nous coopérons avec l’État. Il n’y a pas besoin d’avoir peur de bouger, si konportman korek, tou pou korek.»
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