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Par Yvonne Stephen
6 septembre 2018 13:24
Embarquez votre âme. Pour un voyage riche en émotions. Pour cela, suivez-nous. Grimpez les marches qui mènent à la salle d'exposition du Groupe Réfugiés Chagos, à Pointe-aux-Sables, où a eu lieu un partage sur la culture des Chagossiens. Et oubliez le temps maussade, le bruit des voitures et votre position géographique. Laissez votre cœur s'imprégner des lieux. Oui, vous pourrez presque sentir le parfum du coco frais. Et la caresse d'un soleil d'ailleurs. L'oreille se prend même à rêver de sons : la mélodie de l'océan, la symphonie d'un coco sur la mythique râpe, la cacophonie des éclats de rire et de conversation. Mais aussi ce tempo entêtant de ce sega des Chagos qui, comme l’indiquent les panneaux informatifs de cette exposition, bat en 6/8 lor lapo tanbour. Vos yeux scintilleront peut-être devant un tourbillon de couleurs de la danseuse de ce sega, avec zipon et konde (fichu)…
Cette exposition-testament, qui a duré une semaine, raconte la vie dans les Chagos. Cette île envie comme pour «envie d'y retourner». Mais également une île en vie car sa culture est restée vivante à travers les Chagossiens et leurs enfants malgré le déracinement. Dans les témoignages, les explications, les objets, les vidéos et les photos exposées : la somme d'une série de sessions de partage intergénérationnel, dans le cadre du Chagos : cultural heritage across generations, organisé à Maurice et à Crawley, là où vit une importante communauté de Chagossiens. Les «anciens» ont alors appris aux plus jeunes les différents aspects de cette culture riche : du sega tambour à la cuisine, en passant par l'artisanat et les plantes médicinales. Pour comprendre et partager, des films ont été réalisés et des sessions photos organisées. Des «pancartes» explicatives ont aussi été préparées par deux anthropologues, les Dr Laura Jeffery et Rebecca Rotter, traduites en kreol par le Professeur Vinesh Hookoomsing. Vous avez manqué l'exposition ? Vous pouvez retrouver toutes les informations ici : http://chagos.online.
N'hésitez pas à y jeter un coup d'œil. Elle en vaut le coup. On y entre comme dans une histoire. D'ailleurs, la première pancarte conte le récit d'un peuple : à la fin du XVIIIe siècle, des colons français, puis anglais, firent venir des esclaves et des travailleurs engagés, principalement de l'Afrique de l'Est et de Madagascar, sur l'archipel des Chagos afin qu'ils travaillent dans les plantations de coco. Récit d'un déracinement de 1965 à 1973, et d'une vie d'exilés de tout un peuple. La douleur, la colère, la tristesse.
Mais aussi la richesse d'une reconstruction hors de son sol, racontée à travers quelques objets ramenés de là-bas : une chaise longue, des coquillages, un panier nommé kapas et une rap koko traditionnelle. Lapay, bros et lakord du cocotier content l'artisanat local. C'est aussi vers la noix que se raconte l'histoire culinaire riche en saveurs. On y parle de seraz : une sauce faite à base de lait de coco et qui sert à cuire l'ourit, le poisson, le poulet, les légumes ou les fruits. De roti dile koko, le farata de lait de coco, de doulpiti (un pudding), de mouf (gâteau coco-banane) et de matouftwa (gato koko).
On tombe aussi, lors de cette immersion, sur des gens qui sont venus faire vivre l'exposition. Aujourd'hui, Ton Mico a fait le déplacement pour «pas la zourne». De Sainte-Croix à Pointe-aux-Sables, il a pris son autobus et son temps. À 81 ans, il s'offre ce luxe. Parce que la vie n'a pas été facile, explique-t-il : «Inn pas boukou mizer.» Né aux Chagos, à Peros Banos, pour être plus précis, il a vu sa vie changer drastiquement à l'âge de 19 ans. Il est à Saint-Brandon, où il travaille, quand il apprend que ni lui ni son épouse, qui est venue en vacances à Maurice, ne pourront rentrer à la maison. À l'époque, Solange, qui est encore une adolescente, et lui ont déjà deux enfants.
Les années suivantes, le couple aura 16 enfants (il n'en reste que huit) : «Oui, ounn bien tande : 16 ! Anplis ek mem madam.» Pour faire vivre cette famille à Maurice, il a fallu enchaîner les petits boulots – «Rs 3 par zour kuma lenfle kamion» – et tirer le diable par la queue. Aux Chagos, la vie était beaucoup plus simple, raconte-t-il, dans la plantation de coco. On bossait, oui, mais dès jeudi, c'était le week-end. On prenait le temps de vivre : «Ici, ce n'est pas le cas.» Alors, c’est avec nostalgie qu’il parle de sa terre natale. Il a encore sa rap koko et Solange prépare toujours le seraz. À ses enfants, il a chanté la musique des Chagos. Dans sa voix, il y a aussi l’espoir du retour…
Et la joie de voir sa culture s'exposer : «Pe rekonet nou kiltir. Enn bon zafer.» Celle proche de la terre. Celle qui fait chanter les cœurs et les papilles. Danser les âmes et les amours. Celle dans laquelle il a vécu même loin de so zil. Eileen Davis résume cette ambiance dans laquelle elle a grandi en ces termes : «Même loin des Chagos, nous y étions.» Ses parents sont chagossiens, alors elle a vécu, à leurs côtés, et aux côtés des gran dimounn, au rythme des souvenirs d’une vie dan zil : «Les anciens s'asseyaient et racontaient à chaque occasion comment ça se passait.» Il y avait ce panier familial où étaient entreposés la layette des enfants, la rap koko, les repas chagossiens «avec du lait de coco pur». Et elle a transmis cette façon de vivre à ses enfants. Une richesse d'exister qui est désormais la leur.
Suzelle Baptiste sait aussi que ses enfants la suivront à la maison, une fois le droit de retour obtenu. Parce que, explique-t-elle, les Chagossiens ont vécu avec un morceau du cœur là-bas. À 11 mois, elle a quitté les Chagos parce que son frère jumeau était malade : «Mo extra sagrin ki mo pann grandi laba, profit sa bann bote-la, plonz dan la mer…» Quand elle a redécouvert son île natale en 2006, elle s'est enfin sentie chez elle. Elle avait embarqué sur un bateau pour ce voyage historique. Et son âme avait trouvé son port d'attache…
Un Premier ministre en mission
Il a mis le dossier Chagos au cœur de ses échanges. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, actuellement présent au sommet des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth, a multiplié les échanges et les rencontres à Londres afin de mobiliser le soutien des pays amis en ce qui concerne la réclamation de la souveraineté de Maurice sur l'archipel, à la Cour internationale de justice.
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