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Cap Malheureux

Circulation chaotique et habitants à bout !

18 novembre 2025

Quand nous arrivons à Cap Malheureux, nous avons cette sensation d’évasion. Le temps est beau, la route qui longe la côte nord ondule comme une vague et l’air salé transporte ce parfum du lagon qu’on reconnaît entre mille. Mais à peine le panneau «Cap Malheureux» dépassé, la carte postale se froisse un peu. Le chemin se rétrécit, les autobus rouges se croisent au ralenti, comme dans un tirage au sort pour savoir qui passera le premier. Les véhicules garés en file indienne bordent chaque mètre d’asphalte, dissimulant presque la vue sur la mer et sur la mythique église au toit rouge de Notre-Dame Auxiliatrice. Pas un parking à l’horizon, et même l’espace qui donne accès là où s’installent les pêcheurs avec la pêche du jour est désormais bloqué par des bornes. Ce lieu, souvenir d’enfance pour beaucoup, est devenu victime de son succès. Les touristes enchaînent les photos, se garent où ils peuvent, parfois sur les doubles lignes jaunes. Entre les tables installées sur le sable, les fumées de grillades et le ballet des voitures, la quiétude d’autrefois semble s’éloigner. Nous nous faufilons entre les étals et les klaxons pour écouter ceux qui vivent ici – habitants, pêcheurs, commerçants –, tous fatigués d’un chaos routier qui dénature peu à peu ce décor pourtant classé parmi les plus beaux du Nord. Entre trafic saturé, parkings sauvages et piétons en danger, Cap Malheureux vit une véritable crise de circulation.

Juste derrière l’arrêt d’autobus, près de l’école SSR, un terrain sableux sert de parking improvisé. Encore peu utilisé, il pourrait pourtant soulager le gros souci de stationnement.

Nous poursuivons à pied sur la Coastal Road, un parcours d’équilibriste entre les voitures et les klaxons. Pas de trottoir, peu d’espace. C’est là que nous rencontrons Emie Laurent, occupée à nettoyer sa terrasse. «C’est un village touristique, oui, mais le stationnement sauvage est devenu un vrai calvaire.» Sa maison se trouve près d’un virage dangereux. «Il y a deux ans, une voiture a terminé sa course dans ma cour. Linn kraz mo fencing ek lakaz toutou. Heureusement, mon chien n’a rien eu.» Elle réclame des ralentisseurs. «Les week-ends et jours fériés, les voitures envahissent même les trottoirs. L’arrêt d’autobus devient un parking, on ne voit plus les bus arriver.» Sa mère, Mylène, la rejoint et renchérit : «Avant, c’était les nuisances sonores. Aujourd’hui, même aller à la messe est un défi. Il n’y a pas de passage piéton, pas d’espace pour marcher. Fode ena siklonn pou gagn enn tigit lape !» Les deux femmes déplorent aussi l’absence d’un poste de police. «Quand on appelle, il faut parfois attendre des heures pour qu’un agent vienne de Grand-Baie.»

Nous avons fait la route avec un chauffeur, qui a dû nous déposer près de la poste de Cap Malheureux avant d’aller chercher une place plus loin, là où les contraventions ne pleuvent pas. Sur place, nous croisons Piaree Kallychurun, qui a plus de 55 ans d’expérience dans la vente de poissons. «Zordi ena berry ek capitaine frais ! Lapremidi pou gagn vieil rouz», lance-t-il fièrement. Puis il soupire : «Avant, nou ti pre kot bistop, aster inn met nou lor terin Fisheries dan enn kwin.» Ils sont trois vendeurs à avoir mis la main à la poche pour faire étaler 25 tonnes de macadam, histoire de ne plus travailler dans la poussière. «Je ne comprends pas pourquoi on nous a éloignés du débarcadère. Aster bizin sarye pwason enn long distans… et mo pa zenn !» Le stationnement, dit-il, est un casse-tête quotidien. «Surtout quand les taxis attendent les touristes, ils bloquent le passage pour nos clients.» Les Mauriciens, eux, continuent de venir pour le poisson frais, vendu bien moins cher qu’en supermarché. Mais le week-end, c’est la pagaille. «Malgré les doubles lignes jaunes, c’est pire. Parfois, il y a même des accidents. Beaucoup de voitures ont fini avec des sabots.»

Plus loin, après le virage, une petite cabane bleue attire les curieux. Touristes et habitués s’y pressent pour goûter aux samoussas, gâteaux piments, rotis ou enn delo koko de la famille Permall, un commerce qui existe depuis 40 ans. «C’est un point populaire, surtout après la visite de l’église ou de la plage», explique Darounen Permall, qui, pendant sa pause déjeuner, aide son épouse Ashmeeta, désormais à la tête du stand. Mais les ennuis commencent tôt le matin. «Toulezour gagn problem ek sofer taxi ki met zot loto devan mo komers !» raconte Ashmeeta. «Ça bloque mes volets, je dois attendre avant d’ouvrir. Pourtant, les panneaux sont clairs.» Elle regrette surtout le manque de civisme. «Il y a un grand parking près de l’école primaire SSR, mais les gens ne veulent pas marcher. À Port-Louis, pourtant, ils le font bien !» Pour elle, il faudrait plus de présence policière et de sensibilisation. «Les lignes jaunes, c’est un début. Mais sans contrôle, ça ne changera rien.» Autour, le centre animalier et les autres commerces ajoutent à la pression. «Tout le monde veut se garer au plus près, sans penser aux conséquences.»

«Je suis un beach hawker et un habitant d’ici», lance Guillaume Merville, qui n’a pas souhaité mettre sa photo. Un peu plus loin, il s’affaire près du stand de grillades populaire Lakaz Sandrine, où il aide à gérer les allées et venues des clients. «J'aide aussi à diriger les voitures. Beaucoup se garent n’importe comment, même devant le portail de l’église où il y a pourtant une pancarte "No Parking". C’est un manque de respect.» Pour lui, la responsabilité incombe aussi aux conducteurs. «C’est à chaque chauffeur de respecter le code de la route. Koumsa Moris pou meyer !» Guillaume dit être témoin chaque semaine de voitures qui se frôlent, parfois se heurtent. «La route est étroite, fréquentée par les bus, les camions, les motocyclette… Ce n’est pas toujours la faute des autorités, mais bien du laisser-aller des automobilistes.»

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