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Dans la ferveur du Dieu Ganesh

En chœur, disons : «Ganpati Bappa Morya !»

4 septembre 2025

Photos : SD, KD Capture et DR

Chaque année, Ganesh Chaturthi peint un tableau vibrant au bord des rivières… et surtout des plages. Une procession remplie d’émotions, où le murti – statue en argile du dieu Ganesh – est immergé trois fois dans l’eau, dans un rituel aussi puissant que symbolique. C’est un moment de communion, de foi, de lumière. Ganesh, divinité à tête d’éléphant, est vénéré comme le dieu de la sagesse, de la prospérité et des nouveaux départs. Il est aussi celui qui lève les obstacles. Mais au-delà de l’aspect religieux, cette fête est un spectacle de couleurs, de chants et de ferveur. Nous avons suivi, à la veille du 28 août, trois familles aux confessions différentes – hindoue, tamoule, marathi – qui nous ont ouvert leurs portes. Ce fut une nuit de prières, de louanges, de méditation. Une nuit d’adoration où les yeux brillent de joie, les voix s’élèvent à l’unisson, et où la maison devient temple. Et puis vient le moment de l’immersion. Ce départ, ce lâcher-prise, a des airs de séparation à l’aéroport. La gorge se serre, les larmes montent, mais la foi reste intacte. Ces familles nous ont offert un moment hors du temps, un instant de grâce entre chants sacrés, prières sincères et sourires partagés. Une incursion dans la spiritualité, mais surtout dans l’humanité.

À Surinam, chez la famille Mahadnack, tout commence 40 jours avant le Ganesh Chaturthi, célébré cette année le 28 août. Les préparatifs du hawan (lieu de prière) marquent le début d’un carême spirituel, ponctué d’arti (prières) quotidiennes. «Nou enn kominote multikiltirel, ek pandan sa moman-la, nou res kouma enn sel fami», raconte Ashvin. Dans le quartier de Trois-Bras, la tradition est aussi de partager cette ferveur avec tout le voisinage. Chaque soir, jusqu’à 200 invités se réunissent autour d’un dîner préparé avec amour. Particularité marathi : à côté du murti de Ganesh, une statuette de sa mère Gawoor est aussi honorée. Le jour de l’immersion (visarjan), les hommes portent Ganesh à la rivière, pendant que les femmes immergent Gawoor. Un rituel émouvant, suivi d’un autre geste symbolique : «Nou pran enn ros ouswa enn koray, nou amenn lakaz. Sa ros-la li enn sign ki Ganesh pe kontinie akompagn nou. Lane prosenn nou met li dan nouvo murti.» Les nuits de prière étaient autrefois animées par les danses jhakri, aujourd’hui, ce sont surtout les chants qui rythment la veillée. «Au menu : ora (ti puri à base de farine de maïs), 7 currys et modak, dessert traditionnel à base de coco – chez nous, nous ajoutons la citronnelle, cuit au bain-marie. Ganesh li enn bondie pou tou dimounn. Mo swete li enlev difikilte dan zot lavi», lâche Ashvin, le cœur léger, prêt à dire au revoir à son murti… mais pas tout à fait. L’un des moments les plus intimes survient après minuit, lors de la grande nuit de prière. «Sak dimounn vinn koz dan zorey Ganesh. Nou partaz nou problem, nou lespwar, nou bann swe.» Une confession chuchotée avant le grand plongeon. Cette année, la famille Mahadnack a décidé de prolonger un peu la fête. «Mo mama inn dir mwa nou gard li ankor enn ti moman. Nou pou fer Visarjan dimanche.»

À Belle-Rose, chez les Gooroochurn, les portes restent grandes ouvertes. Une banderole souhaite la bienvenue, et déjà l’on sent que ce lieu a quelque chose de spécial. On monte à l’étage. Une salle, baignée de lumière s’ouvre sur un autel orné de fleurs rose et blanc. Ganesh trône là, majestueux, paisible. Et soudain, plus un mot. Juste une présence. Une paix. Un instant suspendu. Oudesh nous parle doucement, avec une tendresse immense dans la voix. «Ganesh est un invité. Un être que vous choyez pendant plusieurs jours. Il vit avec vous. Puis, il faut le laisser partir. Et ça, c’est bouleversant…» Les mots résonnent fort. La gorge se serre. À cet instant, je suis aussi prise dans l’émotion. L’intensité de la foi, la chaleur de l’accueil, la sincérité du rituel… Tout se mêle. Oudesh raconte comment, trois ans plus tôt, Ganesh est venu à lui en rêve. Depuis, chaque célébration est un acte d’amour. Pendant 15 jours, la maison vit au rythme des prières, des kirtans, des partages. «On ne vous invite pas. Vous entrez, vous priez, vous repartez avec un gâteau, un sourire. C’est ça, Ganesh. Un dieu de sagesse, de force, de bénédiction.» Et puis vient le moment du visarjan, l’immersion. Ganesh est porté jusqu’à la mer à Flic-en-Flac, dans les bras des neveux Vashish et Adarsh. «On le plonge trois fois. Et avant cela, chacun lui murmure quelque chose à l’oreille. Un vœu. Une peine. Un espoir. On le plonge trois fois, comme un adieu : une fois pour dire merci, une fois pour demander la paix et une fois pour dire à bientôt. Je souhaite la paix à tous les Mauriciens, dit-il. Que l’amour dépasse la religion, et que chacun fasse un petit geste pour le bien de l’autre. Ganesh nous apprend à être humains.» Il me regarde : «Vous comprenez ? Ce n’est pas juste un rituel. C’est une relation. Une vraie.»

À Boundary, Quatre-Bornes, l’ambiance ce soir-là évoque celle d’un mariage. Des silhouettes en habits traditionnels colorés se dirigent vers la maison des Armoogum. Devant le portail, les sons du nathaswaram, les rires des enfants, les salutations… tout annonce une célébration. Et quelle célébration ! Dans le garage transformé en sanctuaire, Ganesh trône au milieu des fleurs, des lampes à huile, des fruits, de l’encens. Chaque invité s’incline, fait l'arti, murmure une prière, un souhait. L’atmosphère est à la fois solennelle et festive. Navishen, tout sourire, nous accueille. «C’est notre premier Ganesh Chathurti dans notre nouvelle maison. Et aussi notre premier en tant que couple marié. Nous nous sommes dit : pour ce nouveau départ, invitons Ganesha. Qu’il bénisse notre foyer.» À ses côtés, Tarhami approuve d’un regard ému. «Ce matin-là, au réveil, ce sont des larmes de joie qui ont coulé. Il y a une magie que l’on ne peut expliquer.» Il se souvient aussi : «J’avais 5 ans la première fois qu’on m’a invité à m’asseoir dans un autel pour Ganesh. Vingt-cinq ans plus tard, c’est chez moi qu’il vient !» Chez les tamoules, la tradition est minutieuse. Levés à l’aube, ils préparent tout comme pour un hôte de marque. Au menu : modagum, cette douceur tant aimée de Ganesh, et les sept currys sacrés du arusuvey, accompagnés d’un rasson bien chaud. La soirée est ponctuée de danses traditionnelles puran katha faites par des enfants, et d’un sentiment de plénitude. «Notre souhait ? Que les Mauriciens vivent en paix, avec cette joie intérieure… et qu’ils soient aussi accueillants les uns envers les autres qu’avec Ganesh.»

Ganesh, Dieu des commencements…

Ganesh, Ganesha, Ganapatti… tous ces noms désignent une seule divinité : le dieu à tête d’éléphant, symbole de sagesse, de prospérité et de renouveau. Fils de Shiva et Parvati, il est aussi le gardien des seuils, celui qu’on invoque avant chaque départ, chaque projet, pour écarter les obstacles. Selon la légende, Ganesh fut créé par sa mère à partir d’argile pour garder les portes de la maison. Un jour, alors qu’il empêchait Shiva, son père, d’entrer sans le savoir, celui-ci, pris de colère, lui trancha la tête. Devant le chagrin de Parvati, Shiva promit de ramener l’enfant à la vie en lui greffant la première tête qu’il trouverait : ce fut celle d’un éléphant. C’est pourquoi on l’invoque avant chaque entreprise, chaque cérémonie importante ou tout changement de vie. Son anniversaire est célébré chaque année lors du Ganesh Chathurti, une fête pleine de ferveur, de chants et d’offrandes, qui se termine par le visarjan, l’immersion du murti (statue en argile) dans l’eau. Un adieu vibrant… jusqu’à l’année prochaine.

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