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Travailler malgré mon handicap, ma priorité

13 juin 2016

Ludovic, Salatchee et Syndypun lancent un appel aux Mauriciens pour que la United Skills Workers Cooperative ne disparaisse pas.

Ce matin, pour Salatchee Murday, 57 ans, et ses amis, ce n’est pas la grande forme. L’ambiance est maussade, le moral en berne. Le cœur n’y est plus. Comment continuer à se battre alors que rien ne va. Lorsqu’ils avaient imaginé la United Skills Workers Cooperativeil y a bien des années, ils avaient des rêves et des projets plein la tête. Leur objectif, se souvient Salatchee, c’était de regrouper les personnes atteintes d’un handicap physique ou mental ou encore les sourds-muets, de les former et de créer leur propre petite entreprise où chacun pourrait trouver un travail et ainsi subvenir à ses besoins. «Ce n’est pas parce que nous vivons avec un handicap que nous ne pouvons pas travailler. Nous ne pouvons pas dépendre des autres et attendre qu’ils nous donnent quelque chose. Ce que nous voulions, c’était produire nous-mêmes et vendre afin de gagner nos revenus», explique Salatchee, responsable de la United Skills Workers Cooperative.

 

Mais aujourd’hui, ils ont de plus en plus de mal à garder la tête hors de l’eau et à faire tourner la boutique. Dans le Cold Storageet le petit bazar qu’ils gèrent, les étagères et les réfrigérateurs sont quasiment vides. Les clients, eux, se font de plus en plus rares. Les seuls qui viennent encore sont ceux qui commandent les poulets rôtis que prépare Ludovic les week-ends. Sans source de financement, la United Skills Workers Cooperativeserait contrainte de mettre la clé sous la porte. Une issue qu’ils n’avaient jamais envisagée. Depuis quelque temps, lorsque Salatchee enfourche son scooter électrique chaque matin pour se rendre à son travail, elle sait que la journée sera difficile et pénible. Elle espère cependant qu’une bonne nouvelle finira par égayer cette journée et qu’ils pourront enfin espérer des jours meilleurs. Ces trois derniers jours, ils ont fondé tous leurs espoirs sur leur quête nationale, mais Salatchee sait bien que ce ne sera pas suffisant.

 

Pour cette dernière, atteinte de la polio, il n’a jamais été question de rester à la maison à ne rien faire. Alors, malgré son handicap causé par la maladie et qui rend ses déplacements difficiles, elle s’est engagée très jeune dans la promotion économique et sociale des personnes vivant avec un handicap. En 1980, entourée de plusieurs autres amis ayant la même vision, elle tombe sur un Allemand du nom de Gunter Tuttas qui les aide à trouver plusieurs sponsors et à mettre sur pied une société coopérative qui aura pour objectif de réhabiliter les handicapés, de les former et de leur permettre de gagner leur vie en ayant un travail.

 

Grâce au capital reçu, ils réussissent à acheter un terrain à Rose-Hill et à construire un bâtiment dans lequel ils montent un atelier de textile et une section de boutonnières, un département artisanal et une salle de formation. Quelques années plus tard, ils ouvrent une boutique et un Cold Storageoù les membres de la société peuvent eux-mêmes travailler. «L’objectif principal était d’encourager les personnes handicapées à développer leurs compétences, à participer pleinement à la vie active en travaillant et toucher un salaire. Nous voulions aussi aider les membres handicapés ayant un problème de mobilité en leur permettant de gérer l’entreprise et d’essayer de devenir autosuffisants», confie Salatchee.

 

Un petit salaire

 

Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois à s’occuper de l’entreprise à laquelle ils s’accrochent contre vents et marées. Avec Ludovic Maca, 38 ans, qui est né avec une jambe plus petite que l’autre, et Sundypun Coormiah, 56 ans, paralysé depuis l’enfance suite à une congestion, ils restent impuissants devant cette affaire qui ne cesse de prendre l’eau. Il n’y a que la salle de formation qui fonctionne encore un peu avec les cours d’informatique qui sont offerts gratuitement à leurs jeunes membres par des formateurs d’Accenture. «Notre source de financement vient des donations de CSR et de la vente de nos produits. Une partie des revenus nous permet de toucher un petit salaire. Les entreprises donnent des équipements, mais pas de capital. Du coup, nous nous retrouvons dans un cercle vicieux. Nous n’arrivons pas à acheter nos produits, les clients ne viennent plus et nous ne gagnons pas notre vie. Tout ce que nous vendons en ce moment, ce sont les poulets rôtis et c’est grâce à ça que nous arrivons à toucher une somme dérisoire que nous partageons ensuite à trois»,souligne Salatchee.

 

Sundypun Coormiah, dont la partie gauche du corps est complètement paralysée suite à une congestion lorsqu’il était petit, fait chaque matin le déplacement depuis Chemin-Grenier pour vendre des fruits, des légumes et des œufs, sauf que, ces dernières semaines, trouver de quoi acheter ces produits est devenu un véritable casse-tête. Il n’est pas très bavard, mais aux yeux de ses collègues, sa volonté de bien faire ne fait aucun doute. Tous les jours, bien que les étals soient vides, il fait quand même le déplacement pour essayer de trouver une solution avec ses collègues. Rester inactif à cause de son handicap n’a jamais été pour lui une option : «J’ai travaillé pendant 17 ans chez Floreal Knitwear. Malgré mon handicap, j’ai pu fonder ma famille et construire ma maison. Lorsque l’usine a fermé ses portes, je me suis retrouvé sans emploi et à l’association que je fréquente depuis la création, on m’a proposé de travailler dans cette boutique. Travailler nous permet d’avoir une vie normale et de ne pas dépendre financièrement sur une tierce personne», dit-il.

 

Ludovic Maca est, lui, un jeune papa. À première vue, son handicap ne saute pas aux yeux, mais une fois qu’il se met à marcher, on comprend vite qu’il a un problème à la jambe :«En fait, je suis né avec une jambe plus petite et plus courte que l’autre. Lorsque je fais trop d’efforts pour marcher, je souffre.»Malgré sa condition physique, Ludovic s’est toujours battu pour pouvoir gagner sa vie dignement. Après avoir suivi un cours de plomberie, il a essayé en vain de trouver un travail mais, à chaque fois, il a essuyé des refus : «Les gens ont un regard différent sur ceux qui ont un handicap. Sans me le dire clairement, j’ai compris qu’on me refusait un travail à cause de ça.»Malgré les échecs, il n’a jamais baissé les bras et en attendant de trouver quelque chose de fixe, il cumule plusieurs petits boulots dont celui de vendre du poulet le samedi et le dimanche à la United Skills Workers Cooperative.

 

Travailler a toujours été une priorité pour lui, d’autant, dit-il, que la pension d’invalidité lui a toujours été refusée. Une décision incompréhensible à ses yeux. «Je suis passé devant le medical boardplusieurs fois, mais ils me disent que je ne présente pas 60 % d’incapacité physique. Je ne comprends pas comment ils font le calcul. J’ai une jambe plus petite et plus courte que l’autre, ce n’est pas suffisant pour recevoir une aide sociale ?» s’insurge-t-il. Combien de temps pourra-t-il continuer comme ça ? se demande Ludovic pour qui l’avenir s’annonce compliqué s’il n’arrive pas à un peu de stabilité financière le plus vite possible. Le jeune papa sait que si la United Skills Workers Cooperativene reçoit pas d’aide, il ne pourra pas garder ce petit job qui lui permet au moins de nourrir sa famille. Tous espèrent que leur appel à l’aide sera entendu et qu’ils pourront tous voir bientôt la lumière au bout du tunnel. C’est tout ce qu’ils demandent.

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