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Le Dr Perich, expert français : «Jacquelin Juliette n’avait pas le cœur de quelqu’un qui avait 36 ans»

4 mai 2025

L’expert français lors de son arrivée au tribunal de Pamplemousses.

Les travaux de l’enquête judiciaire instituée suite au décès troublant de Jacquelin Juliette après une descente policière musclée ont repris le vendredi 2 mai avec l’audition du Dr Pierre Perich. Ce médecin-légiste français a pratiqué une contre-autopsie sur la dépouille de cet habitant de Goodlands à la demande du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP). Il a soumis ses conclusions à la magistrate Neela Ramdewar-Naugah du tribunal de Pamplemousses. L’expert est d’avis que le stress intense subi par le résident de cité Ste-Claire lors de son interpellation controversée pourrait avoir précipité son décès. Le Français explique que cet homme de 36 ans souffrait toutefois d’une pathologie antérieure grave : son artère principale était obstruée à 95 %. Il affirme que Jacquelin Juliette était malade depuis longtemps sans le savoir. Récit.

C’est bien une crise cardiaque qui a eu raison de Jacquelin Juliette. Ce père de famille de 36 ans est mort le 5 janvier 2023, seulement quatre jours après son 36e anniversaire, après une descente policière musclée dans son quartier, à Goodlands. Le Dr Pierre Perich est venu confirmer la cause du décès avancée au départ par le Dr Sudesh Kumar Gungadin, chef du département médico-légal de la police mauricienne. Cet expert français a pratiqué une contre-autopsie sur la dépouille du Nordiste à la demande du bureau du DPP. Il a déposé son rapport devant Neela Ramdewar-Naugah, siégeant au tribunal de Pamplemousses, le vendredi 2 mai. La magistrate préside les travaux d’une enquête judiciaire.

Cette affaire a éclaté lorsque Monica, l’épouse du défunt, consigne une déposition. La jeune femme réclamait une autopsie pour savoir si le décès de son époux était dû aux blessures qu’il aurait subies lors de son interpellation par des limiers de la brigade anti-drogue. Le Dr Sudesh Kumar Gungadin, chef du département médico-légal de la police mauricienne, avait attribué le décès de cet habitant de cité Ste-Claire à une cause naturelle. Les proches de Jacquelin Juliette ont toujours refusé de croire à cette thèse. Ils bénéficient du soutien des Avengers, menés par l’avocat Rama Valayden. Une vidéo de cette descente musclée de la police avait d’ailleurs fait le buzz sur les réseaux sociaux au moment des faits.

«Missie Moustass»

Cette affaire est restée au point mort pendant plus d’un an, jusqu’à ce que des vidéos explosives soient publiées sur la page YouTube Missie Moustass le 22 octobre 2024, pendant la campagne pour les législatives. Elle a alors été relancée. Le bureau du DPP a institué une enquête judiciaire trois jours plus tard. Me Nataraj Muneesamy est le représentant du bureau du DPP dans cette affaire. Le Dr Perich a effectué une contre-autopsie le 27 avril. L’exhumation du corps de Jacquelin Juliette avait eu lieu au cimetière de Poudre-d’Or trois jours plus tôt en présence de l’expert français, de Rama Valayden, du Dr Gungadin et de ses collègues, le Dr Maxwell Monvoisin et le Dr Prem Chamane.

Ils étaient accompagnés d’un expert sud-africain. Les services de ce dernier ont été retenus par la police mauricienne. Il s’agit du professeur Gert Saayman, affecté au département du Forensic Medicine à l’université de Pretoria. Le Dr Perich a été auditionné devant la magistrate Ramdewar-Naugah le vendredi 2 mai. L’expert français mandaté par le bureau du DPP a relevé plusieurs éléments importants en présence de Rama Valayden et de Me Sailesh Seebaruth, avocat du Dr Sudesh Kumar Gungadin. Le Marseillais a expliqué que le cercueil en bois qui contenait la dépouille de Jacquelin Juliette s’était dégradé. Il a précisé que le corps de l’habitant de Goodlands était toutefois «très bien conservé». Ses restes avaient été transportés à la morgue de l’hôpital SSRN pour la contre-autopsie.

Le Dr Perich a souligné qu’il a pratiqué cet exercice en présence des docteurs Gungadin, Monvoisin, Chamane et du professeur Saayman. Rama Valayden était également présent, de même que des membres de la famille du défunt. Ces derniers ont ensuite procédé à une identification. La prothèse dentaire que portait Jacquelin Juliette a facilité cet exercice. Le défunt avait toujours sur lui une chemise blanche, un pantalon bleu et un chapelet. Après avoir analysé les restes de l’habitant de Goodlands ainsi que le rapport d’autopsie du Dr Gungadin, le Dr Perich est arrivé à la conclusion que Jacquelin Juliette «n’avait aucune lésion», soit des blessures qui auraient pu causer sa mort.

Corps momifié

«Il y avait des stigmates d’une autopsie. Il y avait des points de sutures au crâne ainsi qu’au thorax. Le corps était momifié. J’ai pensé me retrouver avec une dépouille en état de décomposition après deux ans. Il n’y avait pas d’odeur. Je ne peux pas me prononcer sur la polémique liée aux coups reçus par le défunt à ses organes génitaux. J’ai récupéré les os pour les analyser. Je les ai analysés un par un, surtout les côtes. Il n’y avait aucune lésion suspecte ni lésion superficielle. Il n’y avait pas de fractures», a souligne lé Dr Perich. Dans son rapport, l’expert français a aussi fait ressortir avoir constaté qu’il n’y avait pas d’infiltration sanguine sous la peau du défunt dans l’état qu’était sa dépouille lors de la contre-autopsie.

«Il n’y a aucune lésion qu’on peut attribuer à des violences», a-t-il dit. Il a affirmé que l’autopsie effectuée sur Jacquelin Juliette a été faite «d’après les normes internationales». Le jour fatidique, ce dernier était arrivé à l’hôpital vers 22h36. Le Dr Beegun l’avait examiné aux urgences ce soir-là. La carte d’admission de l’habitant de Goodlands est incluse dans le rapport de l’expert français. «C’était un usager de drogue. Le Dr Beegun lui a fait une injection d’adrénaline pour tenter de le ranimer. Je pense que ce médecin savait qu’il avait déjà rendu l’âme. Il lui a également fait une injection de Narcan. C’est un antidote utilisé en cas d’overdose. Le médecin ne dit pas s’il a fait un massage cardiaque au patient ou encore s’il l’avait intubé ou utilisé un défibrillateur lorsqu’il lui a prodigué les premiers soins. La cour doit entendre sa version à ce sujet. J’ai visionné une vidéo où on voit l’arrivée de Jacquelin Juliette à l’hôpital. Selon moi, il était déjà mort à ce moment-là. Le Dr Beegun a fait ce qu’il fallait. Jacquelin Juliette a été déclaré mort à 23h05. Il est mort d’un arrêt cardiaque à 36 ans», a expliqué le Dr Perich.

L’expert français a également analysé le rapport de l’autopsie du Dr Gungadin. Il est aussi arrivé à la conclusion que Jacquelin Juliette n’avait aucune blessure au niveau de son pénis ni de son scrotum. Ce dernier présentait toutefois des ecchymoses anciennes aux genoux, ainsi qu’une petite lacération à la lèvre supérieure. «Il y a deux types d’ecchymoses : les récentes et celles en voie de résolution, donc plus anciennes. Les blessures que Jacquelin Juliette avait aux genoux ne saignaient pas. Il y avait des croûtes. C’étaient des lésions en cours de cicatrisation. Il avait aussi des ecchymoses au mollet gauche et dans le bas du dos, à cinq centimètres au-dessus des fesses. Il les avait avant de mourir», a expliqué le Dr Perich.

Le Français est également revenu sur l’examen du crâne, du thorax et de l’abdomen de l’habitant de Goodlands, avant de livrer ses conclusions à partir des photos de l’autopsie. Selon lui, Jacquelin Juliette avait un «cercle blanc» sur les yeux. «Il avait 36 ans. Ce sont généralement les personnes âgées qui présentent cela. C’est un signe de cholestérol élevé, une maladie grave. Il y a aussi des signes de congestion. Ses yeux étaient injectés de sang, ce qui dénote une pathologie interne. J’ai toutefois un doute concernant les ecchymoses à la bouche. Est-ce que Jacquelin Juliette les a eues lorsqu’on l’a intubé ? Le Dr Beegun doit s’expliquer à ce sujet.»

Pénis gonflé

Lors de son audition, le Marseillais est revenu sur l’aspect du pénis du défunt. «Il n’y avait aucune lésion sur les testicules. Le pénis paraît gonflé en périphérie. Il me semble qu’il y a quelque chose, mais je n’affirme rien», a-t-il déclaré, avant d’aborder la cause directe de la mort. Selon lui, des poumons normaux pèsent entre 200 et 400 grammes. Ceux de Jacquelin Juliette faisaient entre 750 et 800 grammes. «Il avait un œdème pulmonaire. Il allait mourir à 80 %. Son cœur allait s’arrêter. Il ne pouvait plus respirer. Son sang stagnait. Ses poumons étaient remplis d’eau. Il avait 36 ans. Il avait plein de graisses au niveau du cerveau et du cœur. Cet important dépôt de cholestérol allait provoquer un accident cardiovasculaire. Ses veines étaient obstruées. Son artère coronaire devait être souple pour son âge. La sienne était rigide. La paroi était épaisse», a affirmé l’expert français.

Il avance que Jacquelin Juliette a fait plusieurs infarctus dans le passé, sans s’en rendre compte. «Il y a des traces de plusieurs infarctus. Il avait une hypertrophie cardiaque. Il avait un taux de cholestérol élevé. Jacquelin Juliette n’avait pas le cœur de quelqu’un de 36 ans. Il avait plusieurs cicatrices sur cet organe. Ses poumons étaient également inondés. Jacquelin Juliette souffrait d’une pathologie antérieure grave.»

Le Dr Perich a ensuite abordé un autre aspect important de son rapport : l’analyse des prélèvements biologiques. Le Dr Gungadin avait prélevé des échantillons sanguins et des cheveux du défunt pour détecter la présence d’alcool ou de drogue. Le constat est sans appel. «Jacquelin Juliette avait de la codéine et de la morphine dans le sang. Les analyses montrent que ces deux produits étaient également présents dans ses cheveux. Il y avait aussi de l’héroïne. Il avait pris ces produits bien avant sa mort. Il a peut-être pris de la codéine et de la morphine à cause de ses douleurs. Ces deux substances ont peut-être provoqué un dépôt de graisse dans son corps. Je n’ai aucun jugement de valeur sur la prise d’héroïne. Ce qu’il faut retenir, c’est que ses artères coronaires étaient obstruées à 95 %. Un médecin-légiste est un peu comme saint Thomas : il croit ce qu’il voit. J’ai vu son visage sur la vidéo de son interpellation. Je n’ai pas vu de coup direct. Jacquelin Juliette avait un visage terrorisé», a précisé le Dr Perich.

Selon lui toujours, il y avait une expression de peur imminente sur le visage du défunt ; la mort était imminente. «Le coup qu’il aurait reçu aux parties intimes a peut-être modifié son rythme cardiaque, mais je n’ai pas de certitude à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que son artère principale était obstruée à 95 %. Il était malade depuis longtemps sans le savoir. Il prenait aussi des produits toxiques. Son interpellation lui a causé un gros stress. Il en a beaucoup parlé après. Ce traumatisme a perturbé son cœur. Il avait d’ailleurs un cœur fatigué. Le stress de son interpellation l’a peut-être tué», a conclu le Français.

Les travaux de l’enquête judiciaire reprendront le 11 juin prochain avec l’audition de deux policiers. Ces derniers ont participé à l’opération musclée ayant mené à l’interpellation de Jacquelin Juliette. Le Dr Beegun sera, lui, entendu par la suite.

Zoom sur le Dr Pierre Perich…

Le Dr Pierre Perich a 72 ans. Il est médecin-légiste à Marseille, où il enseigne également à l’université. Il cumule 30 ans d’expérience dans le domaine médico-légal. Il est membre de la Société française de médecine légale et a passé 32 ans dans l’armée française. Il est Chevalier de la Légion d’honneur, expert auprès de la Cour pénale internationale et conseiller médico-légal du Comité international de la Croix-Rouge à Genève.

Rama Valayden : «Je réclame une fois de plus une Coroner’s Court»

Il persiste dans ses déclarations. Rama Valayden insiste pour la mise sur pied d’une juridiction spécialisée chargée d’enquêter sur les morts soudaines, violentes ou inexpliquées. «Je l’ai déjà dit. Je le redis aujourd’hui. Je réclame une fois de plus une Coroner’s Court. Cette instance ne juge pas les crimes au sens pénal classique. Elle cherche, entre autres, à établir les circonstances entourant le décès et surtout la cause du décès», nous a déclaré l’avocat de la famille Juliette.

Il précise que la Coroner’s Court est une pratique courante dans les pays de tradition juridique de Common Law, notamment en Angleterre et dans d’autres pays du Commonwealth. Le coroner est un officier judiciaire, souvent médecin, juriste, ou les deux, nommé par l’État. Il dirige l’enquête et peut, si besoin, convoquer des témoins, ordonner des autopsies et rassembler des preuves. À l’issue de l’enquête, le coroner rend une conclusion. Si elle suggère qu’un crime a été commis, l’affaire peut être transmise à la police ou au bureau du DPP pour des poursuites. La Coroner’s Court ne juge pas les criminels elle-même.

À sa sortie du tribunal de Pamplemousses, Rama Valayden a d’abord dénoncé l’opération musclée de la police et l’interpellation de Jacquelin Juliette. «Zot finn tortir li !» Il compte sur le bureau du DPP pour entamer des poursuites contre les policiers impliqués. «Ti ena set. Kat ladan inn bat li.» L’avocat a ensuite lancé une pique à Missie Moustass. Il l’invite à venir de l’avant avec le film complet, afin que le public puisse connaître «l’autre partie de la vérité».

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