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Municipales 2025 : les jours d'après

Le rapport des citadins aux élections municipales s’est constamment dégradé au fil des années, ce qui a conduit au résultat que l’on connaît aujourd’hui. Pour Parvèz Dookhy et Faizal Jeeroburkhan, plusieurs facteurs jouent en faveur de l’abstention. Ils nous expliquent.

Taux d’abstention élevé : désintérêt citoyen ou choix démocratique ?

Partout dans le monde, le droit de vote et la participation électorale sont considérés comme des piliers de toute démocratie, symbole d’un État en bonne santé et d’un système représentatif. Mais, que se passe-t-il lorsque le citoyen décide d’ignorer ce droit et de tourner le dos aux urnes ? Si certains voient derrière l’abstention un malaise, une crise profonde et un manque de civisme, d’autres estiment que choisir de ne pas voter est aussi une forme d’expression citoyenne et politique. Il y a une semaine, alors que se déroulaient les élections municipales pour la première fois depuis dix ans, Maurice a enregistré un taux d’abstention important, plafonnant à 73,73 % contre 64,39 % en 2015. Cette année, sur les 400 887 électeurs inscrits dans les cinq villes du pays, seulement 105 315 ont voté, soit 26,27 %. Un taux de participation clairement en déclin qui interpelle et qui inquiète. Qu’est-ce qui explique le désintérêt des citadins à ces élections ? Doit-on l’interpréter comme une panne dans notre système démocratique ? Les questions pour essayer de comprendre ce phénomène sont nombreuses.

Faizal Jeeroburkhan et Parvèz Dookhy analysent les différentes raisons derrière le fort taux d'abstention.

Selon Parvèz Dookhy, observateur politique, il est important de faire le bon diagnostic. «D’abord, il y a l’effet des élections législatives. Je pense que l’électorat a voté pour l’Alliance du Changement par défaut et non par adhésion. Une fois l’objectif de changer de gouvernement atteint, l’électorat n’est plus mobilisé pour voter massivement pour cette même alliance. Par ricochet, il y a les défections chez l’alliance du gouvernement sortant. Le MSM et le PMSD ont boycotté les élections. Les partis émergents n’ont pas réussi ni à s’entendre ni à aligner des candidats partout. Ce qui est signe d’une certaine incapacité. Les partis eux-mêmes n’étaient pas suffisamment au rendez-vous.»

Selon Faizal Jeeroburkhan, l’abstention est une caractéristique propre aux élections municipales, sans compter que le renvoi successif des élections à trois reprises a eu pour effet de banaliser la démocratie régionale. «Le faible taux de participation est une tendance qui a caractérisé les élections municipales de 1982 à 2025 où la moyenne du taux de participation aux neuf élections est de 37,2 %. Les municipalités sont perçues aujourd’hui par les citadins comme des coquilles vides dépourvues d’autonomie, de revenus financiers et de pouvoirs décisionnels. Elles agissent uniquement comme un bras exécutif du pouvoir central pour la gestion et l’entretien des actifs municipaux.»

En effet, les élections municipales elles-mêmes et leurs enjeux ont habituellement du mal à fédérer, ajoute Parvèz Dookhy. «Les municipalités ont très peu de pouvoirs et on a un système de maire tournant (un maire chaque année) et non un chef de file pour la municipalité pour cinq ans, de manière à ce qu’il puisse incarner un projet et avoir un bilan. Changer de dirigeants d’une municipalité n’a aucun impact sur le quotidien d’un habitant.» C’est ce qui provoque, selon lui, peu d’intérêt et de débats sur les projets des municipalités chez les citadins. Faizal Jeeroburkhan abonde dans ce sens et précise qu’il y a une certaine démotivation chez les électeurs. «La gestion catastrophique des municipalités a sapé la confiance des citadins dans les institutions locales. Il y a eu ensuite une désillusion politique suite à de nombreuses promesses non tenues du gouvernement en place. Finalement, les citadins sont davantage préoccupés par les problèmes économiques comme la cherté de la vie et le pouvoir d’achat, et les problèmes sociaux actuels comme l’insuffisance alimentaire, le fléau de la drogue, la dette ménagère, le logement… que le pouvoir du jour n’arrive pas encore à mater convenablement.»

Pour prévenir ce genre de scénario et favoriser une meilleure participation des électeurs, plusieurs avenues, soulignent les deux observateurs politiques, sont à explorer. «Pour avoir moins d’abstention, il faudrait que les municipales soient organisées non pas dans la foulée des législatives. Qu’elles soient des élections dites intermédiaires. Il y aura davantage d’enjeu. Il faudrait un chef de file pour chaque municipalité, quelqu’un qui conduit la liste des candidats de son camp, un chef de file et lui sera maire pour cinq ans. La personnalisation compte beaucoup dans la motivation de l’électeur. Il fait plus confiance à un homme qu’à un projet», lance Parvèz Dookhy.

Pour Faizal Jeeroburkhan, il faudrait une refonte du système. «Il faut d’abord convaincre les électeurs de l’utilité, la pertinence et la validité des autorités municipales. Cela passe par la redéfinition des relations entre les municipalités et le pouvoir central. Ces relations doivent s’articuler autour de l’autonomie financière, politique et décisionnaire des municipalités. Ces dernières doivent se réinventer et se réorganiser pour explorer d’autres sources de financement comme la taxe municipale, la production d’électricité à partir d’énergie solaire, et la production du biogaz et du compost à partir des déchets, entre autres.»

Évoluer, mais aussi adopter une gestion plus transparente et rigoureuse basée sur des projets économiques, sociaux et environnementaux est, dit-il, plus que nécessaire. «Elles doivent promouvoir le bien-être social, économique, environnemental et culturel des citadins, solliciter leurs avis et leur participation pour gagner leur confiance, être à l’écoute de leurs revendications et leurs doléances, mieux s’équiper pour dispenser une meilleure qualité de services.» Surtout, conclut-il, «les élections municipales doivent obligatoirement se tenir à intervalle régulier à des dates prédéterminées».

Ces «outsiders» motivés qui ont créé la surprise

Le résultat final des municipales 2025 est de 117-3 en faveur de l’Alliance du Changement. Patrick Belcourt d’En Avant Moris, Ajay Teerbhoohan, candidat indépendant, et Ashwin Dookun du Reform Party, sont considérés comme les «outsiders» de ces élections.

Dans la vague rouge, mauve, jaune et bleu, ils ont su se frayer un chemin et faire briller leurs couleurs. L’Alliance du Changement et ses différents partis – le Parti travailliste (PTr), le Mouvement militant mauricien (MMM), les Nouveaux Démocrates (ND) et Rezistans ek Alternativ (ReA) – a dominé, malgré un fort taux d’abstention, les résultats des élections municipales qui ont eu lieu le dimanche 4 mai. Néanmoins, trois «outsiders», se sont imposés. En effet, le résultat final des municipales 2025 est de 117-3 en faveur de l’Alliance du Changement.

En rivalisant avec des adversaires de taille, Patrick Belcourt, leader d’En Avant Moris, Ajay Teerbhoohan, candidat indépendant, et Ashwin Dookun du Reform Party, ont su tirer leur épingle du jeu, pour créer la surprise...

Et une semaine après ce scrutin qui revient après dix ans d’absence, les jours à venir s’annoncent pleins de défis. Et ceux qui ont privé l’Alliance du Changement d’un 120-0 à ces municipales pensent bien évidemment encore et encore aux électeurs qui leur ont permis de se distinguer.

Ce n’est pas Patrick Belcourt, élu en tête de liste dans le Ward 2 dans la ville de Beau-Bassin–Rose-Hill avec 2 186 voix, devant les trois candidats de l’Alliance du Changement, qui dira le contraire. «Je remercie ceux qui ont voté et de m’avoir donné cette opportunité. Je leur dis merci au nom de tous les membres d’En Avant Moris. Ce mercredi 7 mai était mon anniversaire ; j’ai eu un super cadeau», nous confie-t-il. Tout comme Ajay Teerbhoohan et Ashwin Dookun, le leader d’En Avant Moris prend très à cœur sa nouvelle mission : «Je vais faire entendre la voix des citadins de Beau-Bassin–Rose-Hill. Je vais rester fidèle à ce qu’on a dit depuis le début de la campagne dans le cadre des municipales, c’est-à-dire qu’on ne fera pas de partisannerie. La ville de Beau-Bassin–Rose-Hill était tellement dans un état d’abandon qu’il fallait qu’il n’y ait pas de partisannerie et encore moins de fanatisme, pendant la campagne électorale. Si j’ai été élu en tête de liste, c’est que ce message a été entendu et compris. Maintenant, au conseil municipal, je vais collaborer, je vais participer et je vais mettre de l’avant notre manifeste qui a été travaillé. Quand je serai au conseil, je vais enlever ma casquette d’En Avant Moris. Je serais un élu des citadins de Beau-Bassin–Rose-Hill.»

Pour lui, tous les élus se doivent de travailler pour tous les citadins. «Il faut que tous laissent de côté les différents partis qu’ils ont représentés et qu’ils soient la voix des citadins. On est attendu au tournant. Il faut que les citadins recommencent à croire, mais aussi à rêver», souligne Patrick Belcourt en ajoutant que les membres d’En Avant Moris sont plus que jamais motivés à continuer le travail qu’ils ont commencé : «On continue à progresser... On était tout seul face aux gros partis. On a fait un maillage du terrain dans les six wards avec nos candidats. Les gens commencent à comprendre que si on se met ensemble, qu’on reprenne notre destin en main, il n’y a pas de raison pour que la ville ne puisse pas revivre. On est satisfait et on va continuer à travailler. Il n’y a pas de raison pour qu’on s’arrête en si bon chemin. On va continuer au sein d’En Avant Moris à ouvrir les bras pour accueillir les Mauriciens qui veulent nous rejoindre. On va se réorganiser pour augmenter notre assise et aller au-delà de Beau-Bassin–Rose-Hill.»

Pour lui, le fort taux d’abstention à ces élections témoigne d’un certain découragement de la part des Mauriciens : «*Quand le nouveau régime est arrivé, il y avait un espoir. Toutefois, ce n’est pas qu’un changement de gouvernement que les gens attendaient. Ils attendaient un changement de système. Et six mois après, force est de constater qu’il n’y a même pas une esquisse de changement. Du coup, ça a créé un certain découragement.»

La motivation anime aussi Ashwin Dookun, unique membre du Reform Party de Roshi Bhadain, qui a été élu en quatrième position derrière les trois de l’Alliance du Changement, dans la ville de Vacoas–Phoenix. Loin d’être un novice, il est gonflé à bloc pour la suite. Son objectif : être à l’écoute des habitants de la ville. «Ce n’est pas quelque chose de nouveau pour moi. J’ai déjà été élu dans le passé et j’ai déjà été maire. Je suis bien évidemment motivé pour la suite. Je prône le mauricianisme et je suis déterminé à travailler pour tout le monde. Les gens m’ont fait confiance parce qu’ils savent comment je travaille. J’ai fait mes preuves dans le passé et les citadins reconnaissent cela», nous dit le candidat-gagnant du Reform Party. Parmi les «outsiders» qui se retrouvent sous les feux des projecteurs, il y a aussi Ajay Teerbhoohan, candidat indépendant, coiffeur de profession, qui a coiffé ses adversaires au poteau en terminant en tête de liste à Port-Louis dans le Ward 8 avec 1501 voix. «Si le public m’a donné cette opportunité, c’est qu’il attend de moi que je travaille pour lui et c’est ce que je compte faire. Nou pou manz ar li», nous dit pour sa part Ajay Teerbhoohan qui comme, Ashwin Dookun du Reform Party et Patrick Belcourt d’En Avant Moris, a pu aux dernières élections municipales faire briller ses couleurs dans la vague rouge, mauve, jaune et bleu...

Candidats battus de l’Alliance du Changement : faire face, espérer et continuer le travail…

Avec dignité, avec un engagement renouvelé. Il n’est pas toujours facile de faire face à la défaite. Pourtant, quand elle se prend avec un brin de philosophie et de recul, elle est plus facile à digérer. Il est possible d’en parler. Il est possible d’avancer. Ce n’est pas encore, visiblement, le cas de Marie Nancy Sham Yu. Après un premier contact, elle refusera, par la suite, toutes nos tentatives de communication ; ce n’est pas, visiblement, le bon moment pour elle. Au Ward 8 à Port-Louis, elle n’a pas pu célébrer la victoire avec ses colistiers. Elle a été battue par un candidat indépendant, Ajay Teerbhoohan. Même scénario pour ses deux collègues de parti (le MMM) qui briguaient, également, les suffrages sous la bannière de l’Alliance du Changement ; le poste de Khusnaseeb Mahoomed a été raflé par Patrick Belcourt d’En Avant Moris, au Ward 2 de Beau-Bassin–Rose-Hill. Et celui de Bhageeruth Mdhin à Vacoas–Phoenix (Ward 3) a été remporté par Ashwin Dookhum du Reform Party.

Khusnaseeb Mahoomed parle de son avenir.

Khusnaseeb Mahoomed de Rose-Hill revient sur toute cette aventure avec positivité. C’était sa première participation à une élection : «C’était une bonne expérience pour moi. Le ward était un peu difficile. Je ne m’attendais pas à ce que Patrick Belcourt arrive en tête de liste. J’ai mon idée sur ce qui a pu motiver les habitants de cette localité à voter pour lui.» Cette raison-là est la seule qui puisse expliquer sa défaite. Parce qu’il a vécu des semaines de campagne galvanisantes. Il a rencontré des gens, des familles. Tous accueillants, tous motivants. Chaque individu avait quelque chose à partager, à raconter : «Les citadins m’ont très bien accueilli. J’ai fait beaucoup de porte-à-porte, j’ai sillonné le Ward 2.» Il en a recueilli des doléances : chemins à refaire, drains à prévoir, terrains abandonnés à gérer…

Khusnaseeb Mahoomed, professionnel dans le domaine de l’informatique et directeur de compagnie, est conscient que les nouveaux élus auront un gros travail à abattre : «Je leur souhaite bon courage.» Et son parcours au Ward 2 ne s’arrête pas là, dit-il. Il sera toujours là pour écouter et soutenir les citadins : «Je suis toujours présent sur le terrain même si je n’ai pas été élu. Je suis là pour donner un coup de main, pour aider à redress nou lavil. J’étudie, en ce moment, toutes les doléances reçues afin de pouvoir faire le suivi.» Il a à cœur les grandes valeurs du MMM, parti qu’il a découvert quand il vivait à Port-Louis : «À l’époque de Cassam Uteem, de Sam Lauthan, ce sont des grandes inspirations.»

Alors, son engagement politique ne s’arrête pas à cette défaite. Ce n’est que le début de son histoire : «Ça ne s’arrête pas là. J’ai été candidat pour la première fois, j’ai accueilli les résultats. C’est mon parcours qui doit être comme ça. Gagner à ce moment-là n’était pas approprié pour moi. Ce n’est qu’un début. Je prends tout cela avec positivité.» Bhageeruth Mdhin, également, se tourne vers l’avenir. Mais d’une façon un peu différente.

S’il n’a pas obtenu la victoire le dimanche 4 mai à Vacoas–Phoenix, il croyait encore en ses chances de remporter la joute avec Ashwin Dookhun. À l’issue du scrutin, les deux hommes avaient comptabilisé le même nombre de voix et le candidat du MMM avait demandé un recount. Finalement, c’est un tirage au sort qui a eu lieu et c’est le seul élu du Reform Party qui a bénéficié de l’exercice. Bhageeruth Mdhin ne compte pas s’arrêter là. Avec le soutien de son parti, dit-il, il compte demander un recomptage des voix par voies légales : «Je suis déçu de ce résultat et de ce qui a suivi. Je pensais qu’il allait avoir un recount. Mais mon parti me soutient et je crois que nous irons de l’avant pour en demander un.»

Il ne sent pas esseulé, dit-il, contredisant ses déclarations dans l’express, en début de semaine. Il s’est battu avec l’aide de son parti, même s’il a dû changer de ward (il avait déjà été candidat au Ward 2 en 2015 et y était plus à l’aise). Bhageeruth Mdhin n’a pas vraiment envie de s’exprimer. D’ailleurs, il demande de ne pas publier une photo de lui : «Pe pran tro nisa ar mwa.» Une de ses vidéos fait le buzz depuis le jour des élections municipales ; celle où il comprend qu’il n’y aura pas de recount et que, finalement, c’est un «tiraz-resor» (pour tirage au sort) qui se tiendra. Une mauvaise prononciation, raillée et commentée sur les réseaux, qui ne le laisse pas indifférent. Alors qu’il s’est donné du mal pour accompagner les citadins de Vacoas–Phoenix et qu’il continuera à le faire, ill’assure. Au conseil municipal, il l’espère. Alors il souhaite avancer avec dignité…

Deux jours d’élections…

Qui seront les maires ? Si des noms circulent avec insistance, il faudra attendre les élections des maires pour être fixé. Elles auront lieu le mercredi 14 mai (Port-Louis et Quatre-Bornes) et le jeudi 15 mai (Beau-Bassin–Rose-Hill, Vacoas-Phoenix, Curepipe). Il semblerait que le PTr aligne trois maires et que le MMM en propose deux. Rezistans ek Alternativ et les Nouveaux Démocrates auront droit aux postes d’adjoints dans deux villes.

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