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24 février 2025 18:38
Cette année, la sécurité occupe plus que jamais une place centrale lors des célébrations du Maha Shivaratree, prévues pour le mercredi 26 février. La police et les autorités ont durci le ton face aux pèlerins qui ne respectent pas les règlements, ce qui a donné lieu à quelques incidents qui suscitent aujourd’hui de nombreuses critiques. Néanmoins, les appels au calme se multiplient et beaucoup estiment qu’il est important de garder en tête l’essence même de cette célébration religieuse.
Un devoir de mémoire
Ils s’appelaient Abhay Boojedhun, Keshav Dhumun, Nilesh Mootiah, Luvesh Jugdhur, Luvalesh Soodoyal, Avinen Soobrayen et Nileshwar Magrabala. Ils étaient âgés entre 16 et 21 ans et étaient tous membres du Trikal Sena Group de Triolet. Il y a un an, soit le dimanche 3 mars de l’année dernière, leur kanwar avait heurté un câble électrique à Arsenal avant de prendre violemment feu instantanément. Des sept victimes, six avaient perdu la vie sur le coup et le plus jeune n’avait pas survécu à ses blessures après six semaines à l’hôpital. Ce jour-là, les images de cette tragédie avaient envahi les réseaux sociaux. Devant la violence de cet horrible événement, les Mauriciens, sous le choc, étaient bouleversés et en deuil.
Le triste et lourd bilan de ce drame avait immédiatement suscité un débat et une réflexion sur la nécessité et l’urgence de mettre en place des régulations pour contrôler la taille des kanwars afin d’assurer la sécurité des pèlerins et faire qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas. Surtout qu’un an auparavant, deux dévots d’Albion avaient perdu la vie dans les mêmes conditions. Alors, combien de temps encore, combien de vies encore ? A-t-on déjà oublié toutes ces jeunes victimes ? A-t-on déjà oublié le terrible drame qui leur a coûté la vie ? C’est la question que se posent aujourd’hui de nombreux Mauriciens à quelques jours du Maha Shivaratree, grande fête religieuse de la communauté hindoue lors de laquelle des centaines de pèlerins sortant des quatre coins de l’île convergent vers le Ganga Talao pour rendre hommage au dieu Shiva.
Dérapages : la sécurité avant tout
Ce pèlerinage, synonyme de dévotion, de sacrifice, de rédemption, est un temps de prière, de concentration et de méditation qui culmine vers la grande nuit de Shiva. Si au cours de ces dernières années, la compétition de construire le plus beau et le plus grand des kanwars a pris le dessus, beaucoup estiment qu’il ne faudrait pas oublier l’essence-même de cette célébration religieuse. Au-delà de tout ce débat autour des kanwars surdimensionnés, la priorité reste la sécurité des pèlerins et du public, et celle-ci prime sur toute considération religieuse.
C’est donc dans cette optique que plusieurs réunions regroupant différents partenaires ont eu lieu pour définir un cadre et une structure pour que ce pèlerinage vers le lac sacré se déroule dans les meilleures conditions. Plusieurs règlements, qui ont été promulgués sous la Road Traffic (Control of Structures and Objects During Procession) Act, ont ainsi fait leur apparition. La plus importante reste la taille des kanwars qui ne doivent pas dépasser les trois 3 de hauteur à partir de la surface de la route alors que la largeur ne doit pas excéder 2 mètres. Les consignes sont aussi claires en ce qu’il s’agit de l’utilisation de générateurs qui sont totalement interdits. Les contrevenants risquent une amende ne dépassant Rs 10 000 en cas d’infraction.
Pour veiller au respect des règlements, la police procède depuis plusieurs jours à des inspections sévères avec pour mission de ne pas laisser partir les kanwars en infraction dans le seul but d’éviter d’autres incidents. C’est donc dans ce cadre qu’un premier groupe de pèlerins venant de Goodlands a été intercepté à Rose-Hill. Face à l’irrégularité de la taille de leur kanwar, la police a sévi afin de faire respecter les règles. Remontés, les pèlerins ont signifié haut et fort leur mécontentement, défiant les autorités. La scène montrant leur altercation fait depuis le tour des réseaux sociaux, suscitant diverses réactions. La police a été appelée à intervenir dans plusieurs autres cas de non-conformité aux règlements et s’est souvent heurtée à la réticence des marcheurs.
Des propos incendiaires pouvant inciter à la haine raciale ont même été prononcés et diffusés en direct sur les réseaux sociaux. Prenant la chose très au sérieux, les autorités n’ont pas tardé à agir et la police a procédé à une première arrestation hier après-midi. Il s’agit d’un habitant du Nord qui est accusé d’avoir incité le public à se rebeller contre la police lorsque celle-ci a tenté de recadrer un groupe de pèlerins dont la structure du kanwar dépassait largement la limite autorisée. Au moment de son arrestation, l’homme donnait une interview sur un média en ligne pendant laquelle il a tenu à retirer ses propos et à présenter ses excuses.
**Ne pas perdre de vue l’essentiel **
Entre les propos à relent communal et à l’incitation à la haine et ceux qui ne comprennent pas comment des jeunes puissent aller ainsi frontalement contre la loi, plusieurs Mauriciens peinent à comprendre pourquoi certains persistent à construire des structures surdimensionnées après qu’il y a récemment eu perte de vie humaine. Pour le pandit Arvesh Ganesh Dabedeen, il est important de ne pas perdre de vue l’essentiel de cette belle célébration religieuse. «Au cœur du Maha Shivaratree, il y a la grande nuit de Shiva qui est l’élément phare de cette fête sans oublier le yatra qui consiste à aller prendre de l’eau du Ganga Talao et revenir. Le kanwar reste folklorique. Voir qu’il y a des altercations, des mots qui sont utilisés et qui ne devraient pas l’être pendant un tel pèlerinage, je suis catégoriquement contre et cela, peu importe les circonstances et la situation.»
Pour le religieux, ces règlements sont là pour une seule raison, celle d’assurer la sécurité des pèlerins. «La question, ce n’est pas de savoir qui ou quel parti politique a implémenté la loi. Le plus important, c’est la sécurité des pèlerins. Ce n’est pas non plus une question de centimètres. Ce que je ne souhaite surtout pas, c’est qu’on revive le même drame. Aucun parent dont l’enfant est parti au Ganga Talao ne devrait avoir à procéder ensuite à des rites funéraires. Je préfère qu’ils aillent bien et reviennent bien dans la paix, l’harmonie. N’oublions pas la beauté de cette fête qui est unique à Maurice. Le Maha Shivaratree est célébré partout dans le monde, mais cette ferveur qu’il y a chez nous, même en Inde, on ne la voit pas.»
Son souhait, dit-il, est que ce pèlerinage se passe dans les meilleures conditions, d’où son appel au calme. «Si vous voyez que votre kanwar n’est pas en règle, vous avez encore le temps de faire des modifications. Je ne donne tort à personne. La police fait son travail. Les pèlerins sont menés par leur ferveur et leur dévotion. Je lance aussi un appel à la police pour un peu plus de flexibilité. Ce n’est pas joli de voir ce genre de choses sur les réseaux. Évitons les dérapages.» Ces derniers jours, les appels au calme se multiplient que ce soit au niveau de la police ou de la Mauritius Sanatan Dharma Temple Federation qui, dans un communiqué, s’est adressée aux pèlerins. «Malheureusement, on a témoigné de l’érosion des valeurs intrinsèques à la fête de Maha Shivaratree. La dérive vers l’étalage visuel et sonore en forme de la confection de kanwars et de la musique remixée a certes apporté des innovations, mais on s’est éloigné graduellement de l’essence même de la célébration de la fête. Un retour aux sources est plus que souhaité. Cela va nous permettre de nous recentrer et concentrer sur l’essentiel. C’est-à-dire de se tourner vers la dévotion sans trompette ni tambour. L’éveil de soi et le respect d’autrui sous tous les angles doivent prévaloir.»
Des actions positives et louables
Au milieu de toute cette flopée de critiques et de débats, plusieurs groupes ont pris des initiatives positives pour prêter main forte sur le terrain ou aider à la sensibilisation du public. Parmi ces actions, on retrouve notamment celle d’AidAction, une ONG qui organise plusieurs activités communautaires dans le sud. Leur engagement pour ce Maha Shivaratree, explique Ajay Lachhman, vient d’une longue réflexion. *«Nous ne sommes pas du tout un groupe socioculturel. Nous menons nos actions pour lutter contre la pauvreté et faciliter le capacity building, l’empowerment et faisons du plaidoyer. Après le drame de l’année dernière, nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose. Le Maha Shivaratree est aujourd’hui bien plus qu’une fête religieuse ; elle a une dimension nationale et un impact sur toute la vie de Maurice pendant une semaine. Or, après le drame de l’année dernière, nous avons vu qu’il y avait des manquements, et que le besoin pour un vrai travail d’éducation et de sensibilisation est bien réel.» *
C’est donc fort de ce constat que l’équipe d’AidAction a préparé et sorti une vidéo d’information et de sensibilisation sur les réseaux. Dans celle-ci, l’aspect de la dévotion et de la responsabilité est abordé. En plus de l’aspect spirituel de cette célébration, des conseils pour faire un bon pèlerinage sont dispensés. «Notre idée initiale était de travailler avec des architectes pour donner au public des designs de kanwars jolis, appropriés et ergonomiques. Faute de temps, nous n’avons pas réussi à le faire. Comme l’éducation de la communauté reste importante, nous avons donc produit une vidéo axée sur la sécurité des pèlerins et du public. On parle de l’aspect religieux, mais on met surtout l’emphase sur la sécurité et la vigilance.» À ce jour, la vidéo affiche plus de 325 000 vues et près de 7 000 likes. Pour AidAction, l’impact est plus que jamais positif.
Tvarã, un groupe de bikers, a aussi décidé de s’engager avec le Ride Safe Maha Shivaratree 2025. C’est ce que nous explique Praveen Gunputh. «Nous sommes un groupe de passionnés de moto qui se sont engagés dans le social et notamment pour la sécurité routière. Depuis quatre ans maintenant, nous sommes présents lors des pèlerinages que ce soit pour le Maha Shivaratree, le pèlerinage du Père Laval ou toute autre célébration. Nous aidons les pèlerins en difficulté sur la route en leur prodiguant les premiers soins. Nous avons voulu nous engager autrement en combinant notre passion et l’utile.»
Cette année, ils seront une quinzaine de motards, hommes et femmes, à sillonner la route entre Mare-aux-Vacoas et Grand-Bassin. «Plusieurs d’entre nous ont suivi des formations en premiers soins. Nous aidons pas mal de personnes en chemin. Elles souffrent de crampes, d’ampoules ou de coupures, entre autres. Nous avons nos équipements et faisons de notre mieux pour les assister. Nous réitérons notre appel envers les pèlerins pour qu’ils prennent des précautions et suivent les consignes. Tout cela est fait pour la sécurité de tous.» Le respect des règles, dit-il, diminuera tout risque de danger.
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