Il se sent interpellé. Pour Dev Virahsawmy, linguiste, écrivain et pédagogue, le rapport officiel de la ‘National literacy & numeracy strategy’ est alarmiste. Ce constat est connu depuis une semaine. Le pédagogue trouve «scandaleux» que beaucoup d’écoliers quittent encore le cycle primaire sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter.
Il précise toutefois que les conclusions du rapport ne sont pas étonnantes : «La situation à Maurice s’est aggravée parce que nous enseignons le ‘literacy’ dans trois langues étrangères, c’est-à-dire l’anglais, le français et une langue orientale, sans au préalable donner la chance à l’enfant de maîtriser ce ‘literacy’ d’abord dans sa langue maternelle.»
Instauré en juillet 2003, le projet qui visait à réduire l’illettrisme des écoliers à la fin du primaire n’a pas porté ses fruits. «Le problème fondamental à Maurice, c’est que malgré des dépenses énormes, que ce soit par l’État ou par les parents, nous ne sommes pas arrivés à un niveau de ‘literacy’ satisfaisant.»
Selon Dev Virahsawmy, le terme ‘literacy’ veut dire la capacité de lire et d’écrire : «En français, nous utilisons normalement les mots alphabétisation et non-alphabétisation mais, depuis très longtemps, j’argue que ces termes ne sont pas assez forts et pas assez précis. Les Québécois aussi ont analysé les mêmes choses et ont proposé le terme ‘literacy’. Alphabétisation veut dire connaître l’alphabet, ‘literacy’ veut dire la capacité de lire et d’écrire correctement.»
Le projet ‘National literacy & numeracy strategy’ voulait être une nouvelle approche pédagogique centrée sur les activités en groupe avec l’accent sur les connaissances de base dans toutes les matières après les heures de classes normales. Le cours additionnel durait en moyenne 45 minutes. Selon le pédagogue, ce projet n’a rien apporté de bon : «Le taux d’échec aux examens du CPE tourne encore autour de 40 %.Ce chiffre est conséquent quand on considère qu’on est en 2005. Ce n’est pas moi qui le dis mais bel et bien un rapport officiel.»
Le projet n’ayant pas donné les résultats escomptés, le comité qui a travaillé sur le rapport, présidé par Boolchand Dansighani, un des directeurs de l’Éducation, propose de revoir le projet l’année prochaine. Dev Virahsawmy, n’est pas de cet avis : «Revoir le projet, selon moi, ne servira à rien. Je l’ai dit et je le redis : il est impensable de donner le ‘literacy’ à des enfants d’abord dans une langue étrangère. La langue maternelle de 80 % de la population est le Mauricien. (J’appelle le créole le Mauricien) et cette langue est complètement ignorée et c’est pédagogiquement mauvais et dangereux. Voilà la source et la cause principale du problème. Pour atteindre un niveau de literacy confortable, il faut passer par la langue maternelle de l’enfant. Si on continue et si on ne considère pas l’évidence d’utiliser le Mauricien, nous allons vers la catastrophe et les résultats me donnent raison. Une bonne pédagogie qui utilise une langue maternelle permettrait un taux de réussite plus important.»
La solution selon lui ? «Il est évident que la langue maternelle utilisée comme mode d’enseignement servira à faire avancer les choses. La preuve, c’est le projet Prevokbek que j’ai mis en place et qui se fait actuellement dans les établissements catholiques. Ce projet vise ceux qui n’ont pas réussi aux examens du CPE et qui, après six ou sept ans passés sur les bancs de l’école primaire, ne savent ni lire, ni écrire, ni compter. Regroupés dans une classe affiliée à une école catholique de la filière normale, ces élèves suivent un programme de quatre ans et les matières – mathématiques, les sciences et autres – sont enseignées dans la langue mauricienne. Voilà une année que ce système a été mis en place et il marche parfaitement. Les résultats sont encourageants. Au bout de quatre ans, ces élèves pourront se joindre à la filière normale ou s’ils ne le veulent pas, ils pourront suivre des cours à l’IVTB», dit-il.