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Par Yvonne Stephen
6 septembre 2018 03:42
Il faut laisser monter le désir… de la découverte. Ressentir les prémices d’une envie, en avalant les kilomètres d’asphalte. La caresse d’un retour dans le passé, la chaleur d’un nécessaire devoir de mémoire. Dans Histoire, il y a «toi» (vous et nous), alors il faut oser retourner sur les pas de ceux qui ont tracé les contours de notre île, qui lui ont dessiné ses pics, ses douleurs et sa douceur.
Dans le cadre du World Heritage Day, observé le 18 avril (au programme ; journée portes ouvertes, visite guidée de monuments et de patrimoines nationaux), nous avons pris la route pour vous faire (re)découvrir ces lieux qui sont présents sur la liste du patrimoine national. Direction le district de Grand-Port, considéré comme le «berceau de l’île» parce que les Hollandais y ont débarqué en 1598. Et à l’abordage de certains des lieux de mémoire présents dans ce vaste district.
Découvrir, s’intéresser, s’ouvrir, s’évader ; ça demande du temps et de l’amour. Et il ne faut pas aller trop vite. Sinon, vous risquerez de manquer la pancarte menant au Dutch Monument (1), situé à Ferney. Les Hollandais auraient découvert notre île de ce point-là. Alors, pour Koosul Randhir, il était indispensable de venir avec ses trois enfants, Aaron, Shawn et Cher. «Il faut leur faire découvrir leur île. C’est important pour eux mais aussi pour l’école», confie-t-il. Pour Samantha, son épouse, c’est dommage que les informations «ne soient pas trop visibles.»
Manque d'entretien
Avant ça, la famille a fait un tour au Fort Frederik Hendrik Historical Site (2) et compte se rendre au musée de Mahébourg. Et peut-être à la Pointe des Régates (5) où se trouve un monument dédié à la bataille de Grand-Port. Elle ne s’est pas arrêtée à la Tour des Hollandais (3), non loin de là, simplement parce qu’elle ne l’a pas vue. Un coup de pouce bienvenu du destin. L’état de délabrement et d’abandon de ce patrimoine national a de quoi mettre le vague à l’âme. Et plomber la plus belle des journées.
Et ce manque d’entretien se ressent, aussi, à l’ancienne gare ferroviaire de Mahébourg (6) ; où le temps n’a laissé que des plaies ouvertes. Mais aussi à La Pointe du Diable (4) où aucune information n’est disponible. Parfois, le désir de la découverte s’accompagne du besoin de s’indigner. Oui, si vous entreprenez ce road trip, préparez-vous à le vivre avec émotions. Quelles qu’elles soient…
Conseils à des «roadtrippers»
Si vous vous lancez à l’assaut de Vieux-Grand-Port, prévoyez un panier de pique-nique car il n’y a pas grand-chose à manger sur la route. Néanmoins, à Mahébourg, vous trouverez des adresses miam.
Et c’est le temps qui court. Qui efface, qui empiète. En découvrant le bassin des esclaves à Pamplemousses, il est difficile de s’enlever cette idée de la tête. Le bain de roches se trouve dans la cour du Citizen Advice Bureau de la localité, presqu’anonyme ! Si ce n’était pour une stèle où on peut lire que, selon l’histoire orale, les esclaves – qui devaient aller aux propriétaires de Pamplemousses et du nord de l’île – y prenaient leur bain avant d’être vendus à quelques pas de là. Autour : des herbes hautes et des détritus. Mais aussi un jardin ombragé avec bancs pour une pause fraîcheur. De Grand-Port à Pamplemousses, il y a du chemin. Comment sommes-nous arrivés là ? Il s’agit d’une idée soufflée par l’historienne Adi Teelock, lors de la préparation de cet article (elle a également parlé de l’île Plate où se trouvait un lieu de quarantaine pendant la période d’émigration indienne).
En plus, cette semaine a lieu une conférence internationale sur l’esclavagisme avec pour thème Between Slavery and Post-slavery : citizenship, dependence and abolitionism in African and Indian Ocean Societies, organisée par l’Université de Maurice, entre autres institutions. Autant de raisons de faire un bain d’histoire. Et un brin de causette avec Delixia Lafleur, qui habite Le Morne et qui a fait toute la route pour accompagner sa mère au CAB. Et c’est nous qui attirons son attention sur ce bassin qu’elle n’avait pas vu alors qu’elle était assise à quelques mètres. De quelques mots, elle découvre l’histoire du lieu et s’étonne : «Mo pa ti kone ! Pourtan mo habit Le Morne.» Un habitant de la localité, Jimmy Maistry, la soixantaine, s’invite dans la conversation, raconte que «so larm koule» quand il se rend au Morne et a toujours un pincement au cœur quand il voit le bassin. Surtout que rares sont les gens qui connaissent ce lieu d’histoire : «Bizin donn li so valer. Se nou bann anset. Se nou listwar. Nou bizin pran kont.»
Jimmy Maistry nous indique l’autre lieu, de l’autre côté de la route, là où les esclaves étaient vendus. Un lieu, symbole de tellement de souffrance. Aujourd’hui, dans la cour du District Council, à côté de poubelles et d’un tas de macadams ! Sur la route qu’empruntaient ces hommes et ces femmes, des lampadaires ont été placés «ena pa tro lontan», précise le gardien. Et c’est le temps qui court…
«Remains of an old watch tower of the French period.» Ne cherchez pas. C’est tout comme information que vous trouverez sur le site de la Tour des Hollandais (mais française) qui se trouve à cinq minutes du site Federik Hendrick. Indignez-vous : ici, c’est le royaume de la déchéance : bancs arrachés, saletés et odeur d’urine à l’intérieur de la Tour. Émerveillez-vous : même si vous dérangez le sommeil des pigeons, qui s’envolent dans des bruissements d’ailes, il suffit de lever les yeux vers le ciel, une fois dans cette tour, pour découvrir un incroyable cercle de lumière et de végétation.
Du bleu à perte de vue. Une teinte foncée, froide même. Du vent qui soulève une jupe couleur pastel. Le cœur qui s’emballe en voyant les vagues. Un paysage à couper le… souffle. Le même que voyaient ceux qui se tenaient derrière les canons au XVIIIe siècle ? C’est vers 1750 que ce point de défense de l’île a été bâti par les Français (ce n’est pas sur place que vous trouverez ces infos : aucune plaque disponible sur la période française). La Pointe du Diable se dresse entre l’Anse du Petit-Sable et Anse-Bambous, et ses canons sont, aujourd’hui, des sentinelles silencieuses d’un temps révolu. Une maison de roches, de l’autre côté du chemin, vous fera voir l’océan par des petits carrés (autrefois utilisés pour placer les canons) et découvrir détritus et graffitis (un date de 1979 !) : un autre signe du temps qui passe. Soyez attentif sur la route : vous tomberez sûrement sur une pancarte qui indique que ce point de sécurité a été utilisé et renforcé (avec une base de commandement sur le sommet de la colline qui se trouve non loin) pendant la Seconde Guerre mondiale pour répondre aux craintes des Britanniques concernant le spectre des attaques venant de l’empire japonais.
Le bruit de la route ne s’estompe pas. Mais en descendant les marches de pierre, c’est le temps qui s’arrête. Pas après pas. La fraîcheur du sous-bois efface les rayons du soleil et ferait oublier le monde qui s’agite, si ce n’était pour ces garde-fous en bois, peints d’une couleur immonde. Mais aussi pour les bouteilles et détritus qui semblent «pousser» dans ce lieu de mémoire. Allée de roches, mangroves, clapotis de l’eau. Et bâtisse en ruine que l’on devine derrière un mur, prise dans une végétation libre, stoppée dans sa course contre le temps. Vue sur un lagon pas tout à fait bleu. Et plus loin, bien plus loin, sur cette côte habitée ; maisons et bateaux à voiles colorées.
Oui, la visite commence avant même de tomber sur le monument qui a visiblement été vandalisé et où, sur les plaques commémoratives, les mots se sont envolés au vent, effacés par le temps et l’indifférence. Pour vivre l’instant, il faut solliciter son esprit. Imaginez que le 20 septembre 1598, des marins hollandais, sous le commandement de Wysbrand Van Warwick, accostent pour la première fois l’île Maurice. Et la nomme Mauritius, en l’honneur du prince régnant des Provinces Unies de Hollande, Maurice de Nassau. Pour nourrir la pensée de cet instant ; imaginez une île vierge, impénétrable, inconnue. Des bruits inquiétants venant de la forêt. La peur… et le soulagement aussi.
Parce que c’est, un peu par hasard, que l’Amsterdam, le Zealand, le Gueldress, l’Utrecht et le Frise tombent sur Maurice. Ces bateaux font partie d’une flotte placée sous le commandement de l’amiral Van Neck (partie de Texel, une île hollandaise, le 1er mai de la même année). Direction ? Batavia. Mais un ouragan «à l’est de Madagascar» sépare la flotte en deux : «Les cinq navires (…) profitant d’un vent favorable, mirent le cap sur l’est-nord-est. C’est ainsi que le 17 septembre 1598, les cinq vaisseaux entrèrent dans les eaux mauriciennes», peut-on lire dans L’île Maurice : ving-cinq leçons d’histoire, de l’historien Benjamin Moutou.
Les marins tombent d’abord sur l’île Hemeersk, l’île-aux-Aigrettes, le 17 septembre. Puis auraient fait flotter le drapeau du royaume hollandais (différent de celui qui existe aujourd’hui) trois jours plus tard. Le 2 octobre, les Hollandais s’en vont : «Maurice devait rester inhabitée pendant encore 40 ans, ce qui n’empêcha toutefois pas les pirates et autres navigateurs de tout bord, y compris les navigateurs hollandais eux-mêmes, d’y faire halte dorénavant, la route ayant été tracée (…)», écrit l’historien.
Le premier Mauricien de l’île. Les premiers résidents débarquent sur l’île le 30 juillet 1638 : une petite colonie de 25 personnes, sous le commandement de Cornelius Simonz Gooyer, précise l’historien. Quelque temps plus tard, il est remplacé par Adrien Van der Stel. Et c’est son fils, né le 14 novembre 1639 dans l’île, qui sera le premier Mauricien officiel : Simon Van der Stel.
Envie de découvrir tous ces endroits historiques qui sont sur la liste des patrimoines nationaux ? Il suffit d’aller sur le site du National Heritage Fund et de choisir une région.
Imaginez le matin du 22 octobre 1865. Des gens, des explosions de couleurs, de conversations et de parfums. Le bruit d’un train qui approche et qui laisse dans son sillage une traînée de fumée. C’est l’inauguration de la gare ferroviaire de Mahébourg : terminal de la ligne ferroviaire de Midlands. «Durant toute la journée, des trains, des passagers et des marchandises y entraient et sortaient. Les ballots de sucre provenant des domaines sucriers de Beau-Vallon, Riche-en-Eau, Ferney (…)», peut-on lire sur la pancarte indicative. En 1964, la gare a connu son dernier train. Aujourd’hui, nous la découvrons en ruine, le toit défoncé et les structures délabrées. La partie la plus «habitable» est utilisée pour des parties de cartes dans l’après-midi (comme c’est le cas, ce mercredi 11 avril). Et le reste n’est qu’un amas de désolation, sentant fort les toilettes…
La brise d’une fin d’après-midi souffle fort. Et emporte la fatigue. La journée d’été a tiré sa révérence plus tôt que prévu. De lieu en lieu, elle a été longue. Mais après un bon glason rape, dégusté sur le Mahebourg Waterfront, il est possible d’aller à l’abordage d’autres aventures. À La Pointe des Régates, sur le front de mer, un monument à la mémoire des soldats décédés britanniques et français lors de la bataille qui a eu lieudu 20 au 28 août 1810, la bataille navale de Grand-Port. Mais aussi une table d’orientation, très sympathique, replaçant les bateaux des différentes flottes dans cette baie remplie d’histoires. La Bellone, la Minerve, le Ceylan et le Victor pour les Français. Et le Sirius, la Magicienne, la Néréide et l’Iphigénie pour les Britanniques. La victoire est alors française. Néanmoins, le 3 décembre 1810, c’est suite à une bataille dans le nord de l’île que l’Isle de France capitulera.
Un besoin de l’empire britannique ? Envahir l’Isle de France, c’est une question commerciale à l’époque. Le Canal de Suez n’existe pas. Et passer par chez nous – la route du Cap –, c’est la seule voie d’accès vers les Indes et l’Extrême-Orient : «Compte tenu de leur suprématie, les corsaires et autres grands commandants navals tels le Balli de Suffren, Robert Surcouf, Duperré, Bouvet (…) harcelaient les navires anglais dans la région», explique Benjamin Moutou dans son ouvrage.
Aventurière, aventurier, vous avez une mission : découvrir, imaginer, vous émerveiller. (Re)découvrir le Fort Frederik Historical Site, c’est marcher dans les pas des premiers habitants de l’île, laisser son esprit voguer à leurs habitudes, tenter de trouver la voie vers la voix de leurs souvenirs. Pour cela, une consigne essentielle : prendre son temps. L’éveil vient par phase. S’arrêter et lire la première pancarte plonge, tout de suite, dans l’ambiance d’antan. On vous l’annonce, vous êtes «sur le site historique de Vieux-Grand-Port», le «berceau de l’île Maurice». Rien que ça !
Les premières ruines.Le soleil tape fort, cette région de l’île fait jouer les prolongations de l’été. Très vite, l’œil est attiré par des murs de pierre. Une cuisine, une chambre ? Il faudra laisser vos yeux se perdre sur un plan pour vous y retrouver. Là-bas, un atelier de forgeron. Ici, une cuisine… Tout un espace de vie d’antan avec vue sur la mer.
Des murs.Les Hollandais fabriquaient leur mur, apprend-on, avec de la pierre de basalte, des éclats de pierre, de la chaux du mortier et des coraux fossilisés taillés en bloc. Mais il ne reste pas grand-chose de ces souvenirs en dur. Les ruines visibles sont françaises. Néanmoins, des archéologues ont apporté des preuves que ces ruines visibles ont été faites sur l’emplacement des Hollandais.
Le majestueux fort.Prêt/e pour une partie de cache-cache dans un décor de film ? Le fort Frederik Hendrik, nommé ainsi en l’honneur du prince qui a dirigé cinq des sept provinces qui formaient le royaume de Hollande, est un décor hors du temps pour vos plus belles découvertes. Des murs de pierre dans un camaïeu de noir, s’offrant des touches de verdure aussi attendues qu’improbables pour une véritable aventure. La mélodie du lieu : les notes d’une rivière, celles du vent qui s’engouffre dans ces constructions à ciel ouvert et celles de la route. C’est le premier gouverneur de l’île, Simonz Gooyer, qui s’est chargé de sa construction.
Mais attention.Ce que vous voyez et découvrez, c’est le Port Bourbon, créé par les Français. Rappelez-vous, tout a été reconstruit sur les ruines hollandaises : «C’est lors d’une des cérémonies d’adieu que le Fort des Hollandais brûla une troisième fois mais cette fois pas par les esclaves mais par les canons des hommes de Momber qui avaient été mal dirigés», écrit Benjamin Moutou dans son ouvrage.
Qui est Momber ?Le gouverneur Adrien Momber Van Der Velde est le 13e et dernier gouverneur de l’île. Et c’est lui qui est à l’origine du départ des Hollandais de l’île : «À la faveur des nouvelles troublantes du gouverneur, craignant pour la sécurité des colons, vu les agissements des esclaves marrons, le conseil d’administration VOC* au Cap, tenant en ligne de compte l’épuisement des réserves de bois d’ébène et les pertes successives, le maintien de la colonie de Mauricie, décida le 23 juillet 1706 de plier bagage et d’évacuer l’île», écrit l’historien. C’est en février 1710 que le gouverneur et 174 passagers quittent Maurice à bord du Bewerwaark.
N’oubliez pas le musée.Il est petit et bien documenté, et vous y trouverez des informations précieuses. Il a été ouvert en mai 1999 suite aux fouilles menées deux ans plus tôt. Vous trouverez une maquette reproduisant les bâtiments, de briques hollandaises et françaises, des clous, des outils mais aussi des dés et des boutons faits d’os, entre autres.
Les horaires d’ouverture : du lundi au vendredi (à l’exception du mercredi) : de 9 heures à 16 heures. Le mercredi : de 11 heures à 16 heures. Le dimanche : de 9 heures à midi. Les jours fériés : «Closed.»
*La compagnie hollandaise des Indes orientales : la Verenigde Indische Compagnie
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