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12 avril 2025 18:02
Dans certaines régions du pays, la crise de l’eau frôle désormais l’intolérable. Alors que l’île est secouée par des pluies diluviennes transformant les routes en rivières, certains villages, eux, désespèrent de voir couler la moindre goutte à leurs robinets. Entre frustration et système D, certains habitants se résignent à laver leur linge à la rivière, pendant que d’autres jonglent avec les distributions aléatoires de camions-citernes. Camp-La-Boue ne fait pas exception… mais attention, il y en a deux ! D’un côté, à Terre-Rouge, le Camp-La-Boue Women Centre vient de sortir de terre pour marquer la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars dernier. De l’autre, à Montagne-Longue, le hameau Camp-La-Boue – devenu officiellement Vallée-du-Paradis en 2013 – reste à la traîne, coincé dans une pénurie d’eau chronique qui lasse de plus en plus ses habitants. Depuis décembre 2024, les travaux de raccordement de la Central Water Authority (CWA) se sont enchaînés dans les rues poussiéreuses du quartier. Mais les stigmates sont bien là : près du garage Sanassy, une ruelle reste non asphaltée. Ce qui ronge le plus les habitants, toutefois, reste ce vieux tuyau principal en amiante de la rue Ruisseau Rose, fissuré, qui laisse l’eau s’échapper à vue d’œil, privant ainsi près de 2 000 habitants d’un approvisionnement stable. Pourtant, l’espoir renaît timidement. Le 28 février, le gouvernement a validé une aide de Rs 2,6 milliards, accordée par l’Inde, pour remplacer des kilomètres de tuyaux vétustes à travers le pays. Le ministre Patrick Assirvaden, de passage dans l’Ouest et le Sud, a également annoncé des mesures d’urgence et la mise en service de nouvelles installations, comme ce filtre à pression à Canot, censé soulager des milliers de foyers. Mais pour les habitants de Camp-La-Boue, les promesses doivent vite se transformer en actes. Car ici, entre agacement et lassitude, la patience s’amenuise. Nous sommes allés à leur rencontre pour écouter leurs doléances, leur résilience… et leur soif de changement.
De l’autre côté, en prenant le chemin près de l’ancienne boutique Ah-Fat, nous nous asseyons sur la terrasse de Deevi Goaujar, 67 ans. Si, au premier abord, elle semble timide, dès que nous évoquons son village, elle fait remonter tous ses souvenirs. «Vous imaginez qu’à l’époque, nous n’avions même pas l’électricité. Ti sarye touk dilo ek parfwa ti baign dan larivier lamem. Le plus drôle, c’est que c’est vrai qu’il y avait souvent de la boue ici», confie la Dadi avec le sourire, avant de poursuivre : «Sirman akoz samem apel Camp-La-Boue. La plupart des familles nourrissaient des vaches, des cabris et cultivaient la terre. Il y avait aussi ceux, comme moi, qui tissaient les feuilles de Vacoa pour faire des paniers. Aster nepli trouve. Les habitants ont enlevé les arbres de Vacoa qui faisaient office de barrage pour mettre des murs en béton. Il y a encore beaucoup d’arbres fruitiers : bananes, mangues, litchis, manioc… Mais on a perdu ce folklore et cet esprit de solidarité avec la jeune génération. Tou maryaz ti ede, mem ti baba ti veye!»
Nous découvrons ce petit village verdoyant et rempli de fruits. Tel un labyrinthe, nous décidons d’aller jusqu’au bout pour explorer. C’est à Romesh Fagoo Road, là où la pente devient de plus en plus raide et où les hauteurs des Mariannes sont visibles, que nous rencontrons Geeta Ramlugun. «De Vallée-des-Prêtres, je me suis mariée ici, il y a 19 ans déjà. À l’époque, je trouvais le trajet à pied jusqu’ici interminable. Aujourd’hui, même si les autobus ne montent toujours pas jusque-là, je me suis habituée… mem si mo nepli ena sa kouraz dan mo zenes-la ! Dommage que les terrains privés empêchent l’aménagement d’une route ici. S’il fait bon vivre à Camp-La-Boue, kot pena transpor ki fer tapaz devan laport, nous souffrons beaucoup pour l’eau. Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes en hauteur ou si c’est un problème de pression. J’ai dû aller faire la lessive à la rivière et je n’ai même pas pu aller au boulot», raconte celle qui travaille comme contrôleuse de bus, avant d’être rejointe par son voisin Chengebroyen, qui se remémore : «Lontan tou dimounn ti al larivier! Pou lane mem pann gagn delo, pa konpran kifer zis isi, alor ki ena lezot landrwa dan oter!»
Sur la route royale de Ruisseau Rose, plusieurs garages se succèdent, mais nous nous arrêtons à NJ Sanassy, intrigués par les séquelles laissées par les travaux de tuyaux sur la ruelle d’en face. C’est là que nous sommes rejoints par l’un des frères Sanassy, ancien président du village. «Ça a été une longue bataille pour que le projet de distribution d’eau voit enfin le jour. Il y avait un borehole dans le village qui, après, alimentait Terre-Rouge et Notre-Dame. Finalement, nous avons eu la construction d’un réservoir à Eau-Bouillie, près des Mariannes, pour fournir la région de Montagne-Longue. Mais les tuyaux sont tellement en mauvais état que le débit d’eau est ouvert à seulement 35 %, de peur d’aggraver les dégâts. Ils ont mis des tuyaux en PVC dans les artères alors que le tuyau principal, lui, est toujours en amiante ! Le travail est colossal et je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas commencé par ce tuyau ! Et là, on nous répète qu’il n’y a plus de budget et nous sommes ceux qui en pâtissent. Je suis écœuré de voir autant d’eau gaspillée à cause des fissures. Ce tuyau principal est une vraie passoire, ek pa kapav repare sa. Bizin sanze mem ! Nous avons tiré la sonnette d’alarme à la CWA à plusieurs reprises, en vain. Il faut un bon survey pour attaquer le problème à la source avec un budget adéquat, sinon c’est de l’argent public jeté par la fenêtre. Cela dure depuis 15 ans ! On aime notre village, ici c’est accueillant et paisible. Mais il manque quelques infrastructures : un abri d’autobus sur le terrain du nouveau mini-football pitch près de l’ex-boutique Ah-Fat, un projet qu’on attend depuis un moment. À l’époque, j’avais aussi proposé un projet de bazar pour les planteurs de la région. Un marché aurait bien servi au petit village isolé de Boullin-Grain, sans accès direct à l’autoroute. Cela aurait soulagé bien des habitants frustrés», relate Peroumal Sanassy.
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