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19 février 2025 16:52
On en parlait lors de notre incursion à La Ferme ! Et oui, plus que jamais, la sécheresse est une bête noire pour de nombreuses familles du pays. Entre restrictions d’eau et journées caniculaires, les robinets ne coulent plus que 4 à 5 heures par jour dans certaines régions. Une situation qui nous rappelle la chanson de Nitish Joganah Dilo pou arete 9er, alors que la phase 2 de la gestion de l’eau a été enclenchée le 15 février. Mais au-delà d’un été brûlant et d’une pluie qui joue à cache-cache, un autre problème persiste : l’état de nos infrastructures. C’est ainsi que nous nous sommes rendus à Cluny, ce village du district de Grand-Port, qui fait parler de lui pour de mauvaises raisons. Rs 74 millions de la caisse des contribuables ont été dépensées pour un réservoir de 3 000 mètres cubes, inauguré en grande pompe en août 2023. 16 mois plus tard, il est inutilisable, transformé en passoire avec 25 fissures détectées par la CWA. Le New Cluny Service Reservoir, construit par la firme Sotravic Ltd, est hors service. Le ministre de l’Énergie et des Services publics, Patrick Assirvaden, a affirmé que le réservoir devra être démoli et a exigé une enquête approfondie sur cette affaire. Un gâchis monumental, surtout dans un contexte où 62 % de notre eau se perd dans les fuites et où le taux de remplissage des réservoirs est déjà largement sous la barre des 50 %. Les habitants de Cluny ont encore accès à l’eau, grâce aux boreholes de la région. Mais ce sont les villages plus au sud, ceux qui comptaient sur ce réservoir pour être mieux approvisionnés en cas de sécheresse, qui sont aujourd’hui les plus touchés. Nous avons rencontré les habitants, pris la température du terrain, écouté leurs frustrations et leurs craintes.
C’est près de Veeramalay Shop que nous rencontrons Ravin Rawjee, accompagné de sa fille. «Isi dan Cluny, zot tou konn-sa plato ! Nous avons de l’eau en continu, mais en cette période, nous pensons surtout aux familles qui souffrent. Nou konn servi delo ek pa fer gaspiyaz. En plus du nouveau réservoir, nous en avons déjà un autre qui est en suspens depuis quelque temps. Bann-la pe dir zot pe netoye. Une construction qui doit servir à la population doit être réalisée en respectant toutes les normes. 25 fissures à réparer, c’est une perte d’argent et de temps ! À moins de construire un coffrage en béton renforcé autour de ce puits d’eau pour le rendre plus durable. J’ai l’impression que le gouvernement met des gens à travailler alors qu’ils sont bons uniquement sur le papier. Pe met dimounn ki pa kone ki ete enn pie Privette ek pe panse kari poule sa ! D’ailleurs, devant chez moi, il y a un vieil arbre non entretenu, et à chaque cyclone, c’est une angoisse pour moi. Mo lakaz ek mo loto pre ar sa ! Si une branche tombe, ça va faire de gros dégâts. Cluny fait aussi face au problème des camions d’ordures qui passent près de nos maisons avec une odeur nauséabonde. Pourtant, tous les habitants ont soutenu le projet d’un autre chemin près de Beemanique pour acheminer les déchets vers le centre d’enfouissement de Mare-Chicose. Mais, toujours rien !»
Depuis 19 ans, Cusima Ramlall veille au bon fonctionnement du Village Hall de Cluny. «Nu vilaz bien trankil, zis camion salte ki fatig nou ! Nous espérons que les autorités et le District Council trouveront une route alternative. Dès 5 heures du matin, une odeur infecte coupe notre respiration. Concernant le nouveau réservoir, inn kolmate-sa, zis pou fer inogirasion ! Deux ans après, des fuites… mais qui va demander des comptes au contractuel de ce projet ? C’est sa responsabilité de trouver des solutions, surtout pour un projet financé par l’argent du peuple. Pei-la pena enn lasirans pou sa kalite konstriksyon-la ? Lepep pa kouyon ! Si, pour l’instant, nous n’avons pas de souci d’eau à Cluny, je pense surtout aux habitants de Grand-Port. C’est triste pour ces familles, car combien de camions-citernes seront disponibles pour les soulager ?» regrette-t-il.
En remontant vers Nouvelle-France, nous nous arrêtons à Beemanique, ce petit coin sur la route de Cluny. Charles André est à l’arrêt de bus avec Ashok. «Enn bon vilaz, me gagn imper problem bis, zot pa vinn a ler !» Il est pressé de récupérer ses petits-enfants à l’école à Curepipe. Il est 14h30, et il n’a vu aucun bus monter ou redescendre ! «Nous sommes un peu éloignés de tout ici. Heureusement, nous avons de l’eau ! Mais voir Rs 74 millions partir en fumée, ce n’est pas acceptable.»
Nous empruntons un chemin qui nous mène à la Résidence de Beemanique. Dans ce morcellement qui compte près de 80 familles, nous faisons la connaissance de Suzy Troubadour, une ancienne directrice d’école pré-primaire. Elle nous parle de son St. Joseph Pre-Primary School, la seule école qui fonctionnait dans cette cité dans les années 80. «Je suis arrivée ici il y a 43 ans ! Tous mes enfants sont nés ici. Les voisins sont devenus comme des membres de ma famille. Et ça se voit surtout lors des mariages ou des funérailles, où tout le monde se réunit ! Je me souviens qu’à l’époque, ces maisons de la Central Housing Authority (CHA) n’avaient que trois pièces. Un monsieur passait chaque mois pour collecter les loyers, car il fallait marcher des kilomètres pour effectuer les tâches quotidiennes. Aujourd’hui, les jeunes n’aiment plus marcher ! J’ai tenu bon dans l’enseignement jusqu’en 2005, mais avec le temps et l’âge, il fallait passer la main. Quand mon fils a commencé à travailler, il m’a dit : “Pa gagn traka, mama !” Aujourd’hui, j’ai 79 ans !», nous lance-t-elle avec un grand rire. «Mais je suis toujours active ! Je fais mon ménage et je reste coquette ! La vie est plus facile de nos jours. Des marchands passent dans nos rues pour vendre du pain, des gâteaux, de la viande, et il y a même une supérette mobile qui nous permet de faire nos courses. Je ne connais pas tous les détails sur ce nouveau réservoir hors service, mais je trouve cela injuste pour ces familles qui dépendaient de cette eau. Je me souviens qu’autrefois, nous devions aller à la rivière pour chercher de l’eau. On se faisait piquer par les moustiques, ou pire, on devait jouer des coudes pour récupérer un peu d’eau des camions-citernes. Heureusement, tout cela a changé !»
Sur la route principale du village, Fakoo Store porte encore quelques traces du passé : un vieux poste téléphonique toujours accroché à la façade. «Cette boutique a connu trois générations et existe depuis plus de 100 ans. À l’époque, c’était un point stratégique de Cluny pour passer des appels. Aujourd’hui, avec les téléphones portables, il y a moins d’affluence, mais le téléphone fonctionne toujours ! À côté, il y avait aussi un bureau de poste, fermé depuis cinq ans. Dimounn nepli avoy let aster ! Heureusement, quatre fois par semaine, un véhicule postal s’installe dans la cour du Village Hall pour une heure. Cela nous soulage pour payer nos factures. Nous avons la chance d’avoir de l’eau ici, grâce aux boreholes qui pompent l’eau des environs du village de Bananes. Quant au nouveau réservoir, pa kapav dir nanie ! C’est la CWA et ses experts qui sauront mieux quoi faire. Mais vous savez, l’eau s’infiltre, et ce n’est pas quelque chose qu’on voit immédiatement», soutient Jayrao Fakoo.
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