Publicité
Par Yvonne Stephen
30 août 2025 19:55
Ils sont revenus de Rome le cœur gonflé d’espérance. Line Louis, Haris Elysée et une quinzaine de Chagossiens ont rencontré Léon XIV au Vatican. Entre récits intimes d’un exil douloureux et bénédiction papale, cette audience restera pour eux un moment inoubliable.
Une rencontre qui nourrit l’âme. C’est un souvenir qui restera longtemps ancré au cœur de leur vie. Une délégation d’une quinzaine de membres du Groupe Réfugiés Chagos (GRC) a été reçue par le pape Léon XIV, ce samedi 23 août 2025, dans la Salle des papes du Palais apostolique au Vatican. Quelques mois après la signature du traité de rétrocession entre le Royaume-Uni et Maurice, cette audience revêtait une portée symbolique forte. Pour Olivier Bancoult, cet entretien historique a fait «chaud au cœur» : *«Le Pape a parlé des droits des êtres humains, du besoin de les respecter et de l’importance du droit de retour. Il a affirmé que l’Église se trouvera à nos côtes.» *
Un moment fort également pour Line Louis et Haris Elysée qui ont fait le déplacement jusqu’à Rome. Un beau et long voyage qui les a laissés remplis d’une force nouvelle mais qui a aussi mené à une traversée au cœur d’eux-mêmes. Alors, c’est avec beaucoup d’émotions qu’ils en parlent, ce jeudi 28 août, alors qu’ils sont rentrés au pays il y a tout juste quelques heures. *«Je ne m’attendais pas à un tel voyage, je ne pensais pas qu’on pourrait rencontrer le pape en personne», confie Line Louis, 63 ans. Quand son regard a croisé celui de Léon XIV, elle n’a pu contenir son émotion : «Mo larm inn koule, mo’nn bien emosione.» *
Dans son être, des vagues de sentiments et de souvenirs. L’appel de «laba» et la douleur en point de mire : «Je suis née à Diego Garcia et j’y ai vécu de belles années avec ma famille. Quand les autorités ont vendu les îles, j’ai été déracinée deux fois. On nous a envoyées d’abord à Peros Bahnos, où je me sentais bien. Ce n’est qu’après qu’on nous a forcées à venir à Maurice.» Les années qui ont suivi ont été celles de combats intimes et institutionnels pour exister, pour se faire une place, pour se créer une vie : *«Nou’nn ena boukou pou kombat. Nou pa ti ena swa, nou ti bizin aksepte.» *
Alors que le pape a béni ceux présents ainsi que les statuettes sacrées que les membres de la délégation avaient apportées, Line Louis s’est connectée à son vœu le plus cher, raconte-t-elle : «Je veux aller déposer cette Vierge bénie dans la Chapelle de Diego et je veux vivre mes derniers moments lor later kot mo’nn pran nesans.» C’est également le souhait de Haris Elysée : «Se mo pli gran rev ; al mars dan disab kot mo fi’nn zwe, al naz dan lamer ki’nn konn mwa tipti.» Avec l’appui de l’Église catholique, il est persuadé que ce désir-douleur, qui a été le fil conducteur de sa vie, a encore plus de chance de se réaliser : «Nous avons obtenu plus que ce que nous attendions. Le pape nous a regardés avec le sourire. Il m’a touché avec le message qu’il avait préparé. Il a exprimé son soutien et sa compréhension envers nous. Et aussi sa joie, celle que nous puissions retrouver notre pays, nou paradi ki nou finn perdi. »
Pénétrer dans l’enceinte du Vatican a été pour lui une expérience hors-du-temps : «Je ne peux décrire ce que j’ai ressenti mais c’était extra. Nous sommes passés par une salle où il y avait 300 à 400 personnes très bien habillées qui attendaient la bénédiction du pape. On m’a posé des questions, j’avais un drapeau avec moi. Alors j’ai expliqué. J’ai vu de l’étonnement : comment une si petite délégation pouvait-elle rencontrer personnellement le pape ?» Mais Haris Elysée sait que la souffrance a été immense pour lui et les siens. Que ce que les natifs ont vécu est une blessure à vie, une de celles qui n’arrêtent jamais de faire souffrir : *«Je suis né le 26 mai 1963 à Peros Banhos. Le 27 avril 1973, j’ai été déporté. Je porte encore en moi cette douleur.» *
Les prémices du cauchemar, il s’en souvient. Avec fièvre, avec fébrilité. Il s’agissait d’un dimanche : «Nous avions l’habitude d’aller à la messe, de déjeuner et de finir la journée à la plage. Nous étions dans l’eau, les aînés, eux, ti pe bat enn ti zafer. Mais ce jour-là, le chef administrateur a mené une réunion, il nous a dit que les Chagos avaient été vendus et qu’il fallait partir, sinon on allait mourir là parce qu’il n’y aurait plus de bateaux pour la nourriture et pour les médicaments.» Il se souvient de l’onde de choc et de l’ombre qui a recouvert les habitants : *«Je voyais la tristesse. Il y avait ceux qui pleuraient. C’était un dimanche noir.» *
Le départ s›est fait dans des conditions inhumaines : «Je n’oublierai jamais que les Anglais nous ont traités comme des animaux. Met mwa dormi dan lakal bato lor enn palet ek enn dra pandan kat zour. Pena twalet, pena saldebin.» L’arrivée à Maurice est brutale, les fausses promesses (logement, travail, allocation) s’envolent et il faut tracer : «Heureusement que je suis tombé sur de bonnes personnes qui m’ont aidé à me faire ma place», explique cet habitant de Baie-du-Tombeau. Alors, aujourd’hui, il regarde avec défiance le Royaume-Uni : «Dimounn demann mwa kifer mo pa pran paspor angle. Mo pa kapav bliye seki zot inn fer. Soufrans zot inn koze, zame zot pa’nn repare. Mais j’ai entendu le message de paix et je vois la bonne volonté du gouvernement britannique, peut-être que les choses changeront.»
Sa réflexion a fait son chemin, tout comme le combat de toutes ces années. Pour l’instant, elle se nourrit de cette rencontre avec le pape Leon XIV qui a nourrit son âme…
Léon XIV : «Aucun peuple ne peut être contraint à l’exil forcé»
À Rome, l’émotion était vive ce samedi-là. Deux ans après l’audience accordée par le pape François, cette fois, c’est le pape Leon XIV qui recevait des membres du GRC. L’heure était à l’action de grâce : la signature, en mai dernier, du traité de rétrocession des Chagos à Maurice a marqué un tournant après plus de 60 ans d’exil. Dans un discours prononcé en français, le saint-père a salué «un pas significatif vers votre retour chez vous». Citant le psaume 125 – «Quelles merveilles le Seigneur fait pour nous : nous sommes en grande fête ! Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie» –, il a rappelé la foi et la persévérance d’un peuple qui n’a jamais renoncé à ses terres.
Le pape a salué la revendication pacifique menée par les Chagossiens, soulignant le rôle central des femmes dans cette victoire historique : «Tous les peuples, même les plus petits et les plus faibles, doivent être respectés par les puissants dans leur identité et dans leurs droits. En particulier le droit de vivre sur leurs terres ; et personne ne peut les contraindre à un exil forcé.» La délégation, menée par Roger Alexis, Olivier Bancoult et Anne-Marie Sainte-Marie, comprenait également l’avocat Richard Gifford, le professeur Philip Sands et Liseby Elysée. Tous ont reçu une écoute attentive, le pape assurant que l’Église continuerait de les accompagner, «spirituellement comme elle l’a toujours fait lors des jours d’épreuves».
Publicité
Publicité
Publicité