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Par Yvonne Stephen
16 mai 2025 19:26
Un devoir de mémoire. L’histoire s’immisce dans la conscience collective pour former, pour éveiller. C’est pour cela qu’il est essentiel de ne pas l’oublier. Rezistans ek Alternativ (ReA), la General Workers Federation, le Group Etidian Partisipasian Me75 et le Centre for Alternative Research and Studies (CARES), portent en eux ce message. Et c’est dans cette optique que ces organisations ont décidé d’organiser une cérémonie commémorative sur le vieux pont de Grande-Rivière-Nord-Ouest le mardi 20 mai à partir de 15 heures avec pour thématique «Transmission». Une façon de marquer les 50 ans de la grève estudiantine de mai 1975 qui a mené vers le principe d’éducation gratuite. Une façon pour que cet événement soit encore porteur de message et d’espoir pour les jeunes Mauriciens.nes. Pour en parler, Stefan Gua, membre de ReA et un des artisans de cette commémoration.
Quel est le contexte qui entoure mai 75 ?
C'est un contexte de bouillonnement social avec une nouvelle conscience et une remise en cause profonde de l'ordre établi. Nous parlons là de l'émergence d'un mouvement politique radical de tradition marxiste et de masse. La création du MMM renoue avec la tradition de lutte sociale et politique interrompue dans le processus de l'accession de Maurice à son indépendance. Cela ne se fait pas sans heurts et forge ainsi une nouvelle combativité de la jeunesse. Le taux de chômage est de quelques 70%, selon ce que rapportent, alors, les médias. Il y a la création de la General Workers Federation qui devient le fer de lance de la lutte syndicale à Maurice. Les élections générales à Maurice ont été suspendues depuis 1972. Il y a un climat socio-politique tendu qui culmine avec l'emprisonnement quelques années auparavant des dirigeants du MMM. Tout cela se passe aussi dans un monde où la jeunesse surtout, monte aux créneaux pour dire non à la guerre, à l'impérialisme, au colonialisme et au capitalisme entre autres. Tout cela inspiré sans doute par la révolution cubaine et les guerres de libération nationale. Beaucoup à Maurice dressent un parallèle entre les évènements de mai 1968 en France et de mai 1975 à Maurice.
Que s’est-il passé à Maurice ?
Je peux seulement parler de ce que j'ai entendu de la part des personnes ayant vécu les évènements de mai 75, n'étant pas moi-même né à cette époque. Nous parlons là de plusieurs milliers d'étudiants du secondaire qui se mettent en grève depuis plusieurs jours dans différents collèges à travers l'île. C'est une remise en question totale du système éducatif. Une revendication qui repose sur des aspirations profondes de cette jeunesse pour l'égalité de tous devant le système éducatif défaillant, payant, colonisé et élitiste. Le point culminant de ce mouvement est le mardi 20 mai 1975 où plusieurs milliers d'étudiants décident de marcher sur Port-Louis pour faire entendre leurs revendications. Ils seront stoppés dans leur marche sur ce qui est aujourd'hui l'ancien pont de Grande-Rivière-Nord-Ouest, qui restera par la suite dans la mémoire collective comme le symbole de ce mouvement historique que pérennise l'artiste Bam Cuttayen dans sa chanson Me 75.
Pourquoi le devoir de mémoire est-il important ?
Il est important que nous nous souvenions que toute avancée sociale est le produit des luttes. Les évènements de mai 75 ont apporté à Maurice comme avancée majeure, l'éducation gratuite et le droit de vote à 18 ans, entre autres. Nous devons cela à cette jeunesse éclairée qui, à travers ce mouvement, rejoint ces millions de jeunes à travers le monde. Ces jeunes qui, au moment critique, ont assumé leur responsabilité historique de faire avancer les sociétés à travers leurs mobilisations, prises de conscience et luttes. Nous devons à cette jeunesse de mai 1975 de faire le pont avec les combats des années 30/40 qui jettent les bases d'une Maurice indépendante et plus juste avec des avancées sociales et des politiques fondamentales.
Quel est le message que vous souhaitez faire passer à travers cette commémoration ?
Que le peuple uni ne sera jamais vaincu ! Et que nous ne devons jamais perdre espoir dans notre capacité collective à faire changer le statu quo. Il est aussi important que la société ne désespère pas de sa jeunesse. Nous entendons souvent dire que la génération d'aujourd'hui est une génération perdue avec la prolifération des drogues, la sur-utilisation des réseaux sociaux et son désintéressement à ce qui se passe dans la société. Oui les fléaux existent, mais nous avons de la chance chez *Rezistans ek Alternativ *de témoigner de cette jeunesse en mouvement contre l'accaparement des plages à Pomponette et ailleurs. De ces milliers de jeunes qui se sont mobilisés pour contrer la marée noire du Wakashio et qui par la suite sont descendus dans les rues de Port-Louis et de Mahébourg pour manifester leur indignation. De ces jeunes qui en novembre 2024 se sont mobilisés pour mettre fin au règne d'un régime totalitaire. Ce que je veux dire par cela, c'est que les aspirations des jeunes d'aujourd'hui ne sont guère différentes des aspirations des jeunes de mai 1975, ce sont les expressions qui diffèrent. Et nous avons un devoir de transmission vis-à-vis de cette jeunesse pour lui redonner confiance en sa capacité de changer le système.
**Que s’est-il passé ? **
C’était dans l’air. S’il est difficile de dater le début de la grogne, il est possible de placer le contexte comme le fait Stefan Gua ci-contre. Éducation payante, une impression que l’égalité des chances n’existe pas, vétusté des établissements, décisions liberticides du gouvernement en place. C’est l’ébullition. Qu’est-ce qui est l’élément déclencheur ? Il semblerait que ce soit le mouvement de colère d’élèves du collège Bujoharry, le 5 mai 1975 ; ils ne sont pas d’accord qu’on leur demande Rs 20 comme cotisation pour les activités sportives. La manifestation est vite contrôlée. Mais le feu est allumé et la chaleur de la contestation va se propager. Une semaine plus tard, plusieurs «grands» collèges (QUEC, RCC, RCPL, JKC, entre autres) lancent la grève pour protester contre le système. Régis Chaperon, ministre de l’Éducation appelle à la patience, mais le mouvement grossit et les écoles ferment. Le 20 mai, des milliers de collégiens.nes rallient Port-Louis et sont stoppés.es sur le pont de Grande-Rivière-Nord-Ouest : un grand rassemblement est improvisé. Plus tard, à Rose-Hill les choses prendront une autre tournure avec l’intervention de l’anti-riot section de la police ; des adolescents.es auraient vandalisé un autobus. L’Anti-émeute fera usage de gaz lacrymogène et de violence, selon certains.es. Les heurts perdureront le lendemain (et dans la nuit) à Port-Louis et à Rose-Hill. On parle d’émeute, d’autobus et de magasin saccagés…Puis les choses reprennent leur place. Les cours reprennent le lundi qui suit et sir Seewoosagur Ramgoolam, alors Premier ministre, promet des changements majeurs. En 1976, l’éducation gratuite devint une réalité.
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