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Sur une autre fréquence

30 mai 2025

«Il est essentiel que le système éducatif mauricien réponde aux besoins de ces enfants, qu’il leur offre un environnement d’apprentissage inclusif, respectueux et adapté à leurs particularités», écrit l’auteur. Pour faire passer son message, il raconte l’histoire de Darel et de Leena. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ses écrits ici : https://chetangukhool21.medium.com.

Dans le coin le plus tranquille de la classe 4C, Darel occupait toujours la même place. Ni trop près du tableau ni trop exposé à la porte. Là où les lumières ne clignotaient pas, où les sons se diffusaient avec un décalage imperceptible, presque comme une distorsion. Il vivait sur une autre fréquence, pas absente, juste différente.

Ses yeux scrutaient les détails invisibles aux autres : la poussière qui dansait sous les néons, le frémissement des feuilles à travers la fenêtre, la rotation lente du ventilateur de plafond, qui semblait être le seul à comprendre la nécessité de l’ordre. Ses pensées ne faisaient pas de bruit, mais elles étaient là, dans une mer calme de calculs, de schémas parfaits.

Darel ne parlait pas beaucoup, mais dans son esprit, le monde était un enchevêtrement complexe de chiffres et de rythmes. Mais chaque son brusque – un stylo qui tombait, la sonnerie d’un téléphone – venait perturber l’équilibre fragile qu’il avait construit. Il devenait alors un océan en furie, figé dans la terreur de l’inattendu.

Puis arriva Leena.

Elle était tout ce qu’il n’était pas. Brillante, bruyante, spontanée. Elle avait une énergie débordante, qui envahissait la classe comme un rayon de soleil brisant la grisaille. Elle s’installait toujours au fond, ses pieds tapant sur le sol en rythme avec une musique qu’elle seule entendait. Elle avait du mal avec les mots, souvent perdue dans un monde où les chiffres se dérobaient, mais ses mains étaient pleines de dessins, de mots qui n’arrivaient pas à rester en place. Éléphant avec deux «L» et pourtant, elle pouvait chanter des chansons sans fin, une après l’autre, comme si l’air autour d’elle était une mélodie continue. Quand elle aperçut Darel, il ne lui sembla pas étrange, mais un peu comme un mystère silencieux. Il n’était pas dérangeant, non. Il était comme une note qui ne trouvait pas sa place dans une partition.

Un matin, alors que M. Faydun parlait des migrations des oiseaux, Darel leva soudainement la main. Personne ne l’avait jamais vu faire cela. Il ne levait jamais la main. Ses yeux étaient fixés sur l’écran où défilaient des cartes géographiques, mais sa réponse fit tomber un silence lourd sur la classe. «Les oiseaux migrateurs peuvent voler pendant des jours sans jamais s’arrêter, mais ils savent où aller. Ils suivent les étoiles». La classe se tourna, surprise par cette parole inattendue, comme un rayon de lumière frappant soudainement un mur. Leena, elle, ne se moqua pas. Elle ne fit aucune remarque. Elle hocha simplement la tête. «Il a raison», murmura-t-elle et ce fut comme si, à cet instant précis, le monde de Darel et celui de Leena se rejoignaient enfin.

Peu à peu, Darel commença à remarquer Leena différemment. Leena, elle, avait vu quelque chose en lui que les autres ne voyaient pas. Elle n’avait pas besoin de mots pour comprendre ce qu’il ressentait. Elle observait ses gestes, ses habitudes : comment il comptait les ventilateurs, comment il répétait certains gestes comme pour chercher un ancrage dans le chaos.

Chaque mouvement, chaque tic était une réponse à une lutte silencieuse, une recherche de constance dans un monde qui ne cessait de changer.

Un jour, pendant une pause, Leena s’assit à côté de lui, brisant la frontière invisible entre eux. «Pourquoi tu comptes toujours les ventilateurs, Darel ?», lui demanda-t-elle. Il la regarda, comme si la question le perturbait, mais il répondit simplement : «Parce qu’ils ne tournent pas tous à la même vitesse. Le quatrième s’est arrêté exactement trois fois hier.» Leena sourit. Mais ce n’était pas un sourire moqueur. Non. C’était un sourire empreint de compréhension, comme une main tendue dans l’obscurité.

M. Faydun, qui observait silencieusement cette relation naissante, sentit une prise de conscience l’envahir. Il avait appris qu’un enfant sur cent à Maurice vit avec un trouble du spectre de l’autisme. Mais il comprit surtout que l’absence de diagnostic, le manque de compréhension, pouvait être une forme d’oubli. Lors d’une leçon, il s’arrêta un instant et dit : «Un enfant sur cent. Un sur cent à Maurice. Mais combien sont vus, combien sont compris ? L’autisme n’est pas une maladie. C’est une autre manière d’être au monde. Nous devons apprendre à voir, à écouter différemment.» Il se tourna alors vers Darel, puis vers Leena, comme s’il s’adressait à tous deux. «Certains voient le monde en chiffres, d’autres en couleurs. Mais tout le monde mérite d’être compris.»

Le changement fut lent, mais il s’opéra. Darel ne fut plus contraint de lire devant la classe. Il pouvait utiliser des écouteurs pendant les assemblées. M. Faydun fit des ajustements dans ses méthodes d’enseignement et Leena, fidèle à sa promesse, continua à l’inclure, à le respecter pour ce qu’il était. Un jour, elle lui dit : «Tu sais, Darel, c’est bien de voir les choses différemment. Mais c’est encore plus beau de comprendre l’autre.»

À la fin de l’année, lors d’un atelier sur l’inclusion, Darel se leva, silencieux, et déposa son carnet sur la table. Un carnet rempli de constellations, d’oiseaux migrateurs, d’images de mondes lointains. M. Faydun, d’une voix douce mais ferme, conclut : «L’autisme n’est pas une maladie, c’est une autre manière d’être au monde. Chaque enfant mérite d’être vu, d’être entendu. L’école doit s’adapter, pas l’inverse.»

Leena se tourna vers Darel, son regard doux. «Tu sais, tu n’es pas si différent de moi.» Et lui, dans un sourire calme, répondit : «Et toi, tu n’es pas si différente de moi non plus.»

Le monde, bien qu’il ne se soit pas entièrement transformé, avait trouvé une harmonie, comme une radio qui capte enfin la bonne fréquence. Pas parfaite, mais belle dans sa simplicité.

Comme quoi, on peut être différent sans être forcément moins !

Note de l’auteur :

Environ 1 % des enfants à Maurice vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), soit plus de 15 000 enfants, dont une grande majorité reste invisible et non diagnostiquée. Dans notre système éducatif, moins de 20 % de ces enfants bénéficient de classes adaptées ou d’un soutien spécifique. Beaucoup sont soit marginalisés, soit contraints de quitter l’école prématurément, faute d’un cadre inclusif et de ressources appropriées.

Les enfants atteints de TSA sont souvent perçus comme «étranges» ou «difficiles» en raison des différences dans leur manière de communiquer, d’interagir et de réagir aux stimuli sensoriels. Mais sans un diagnostic précis et un soutien adapté, ces élèves sont laissés à eux-mêmes, ce qui peut entraîner de l’isolement social, de la frustration, et des retards dans leur développement académique et personnel.

Selon une étude menée en 2023, seulement 30 % des enfants du spectre autistique à Maurice ont accès à un diagnostic précoce, et encore moins bénéficient de suivis réguliers et d’une prise en charge professionnelle. Le système éducatif reste largement sous-préparé pour les inclure efficacement.

L’inclusion scolaire ne se limite pas à la simple présence des enfants autistes dans les classes ordinaires ; elle nécessite une adaptation des méthodes pédagogiques, la mise en place de structures de soutien adaptées, et une sensibilisation généralisée des enseignants et des élèves. L’absence d’action sérieuse en faveur de ces enfants, qu’ils soient neurotypiques ou neurodivergents, est une injustice qui les prive de leur droit à une éducation égale et équitable.

Il est essentiel que le système éducatif mauricien réponde aux besoins de ces enfants, qu’il leur offre un environnement d’apprentissage inclusif, respectueux et adapté à leurs particularités. L’autisme ne doit pas être une barrière, mais un aspect de la diversité humaine à célébrer et à comprendre.

#AutismeMaurice #InclusionScolaire #AutismeInvisible #ÉducationInclusive #SurUneAutreFrequénce

Sources:

Statistics Mauritius. (2022). National Census of Population and Housing 2022:

Analytical Report. Port Louis: Statistics Mauritius. https://statsmauritius.govmu.org/

Ramharai, V. (2023). Inclusive education for children with learning difficulties in Mauritius: An analytical study among select stakeholders. ResearchGate.

https://www.researchgate.net/publication/384653423_Inclusive_education_for_children_with_learning_difficulties_in_Mauritius

World Health Organization. (2023). Autism spectrum disorders.

https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/autism-spectrum-disorders

PAR CHETAN GUKHOOL

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