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Image de Maurice à l’international

Un contrecoup à ne pas négliger

23 février 2025

Quel impact aura l’arrestation de l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, sur fond d’allégations de blanchiment d’argent sur l’image de notre pays sur le plan international ? Aura-t-elle des conséquences sur le deal entre Maurice et la Grande-Bretagne en ce qu’il s’agit de la rétrocession des Chagos ? Nos interlocuteurs nous en parlent…

Un écho international. L’arrestation de l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, n’est en effet pas passée inaperçue auprès de la presse internationale, qui a largement relayé cette information. Comme Navin Ramgoolam il y a dix ans, Pravind Jugnauth se retrouve aujourd’hui lui aussi cité dans une affaire de blanchiment d’argent après la découverte de valises remplies de billets.

Comme son prédécesseur à l’époque, Pravind Jugnauth traverse certainement aujourd’hui les heures les plus sombres de sa carrière politique. Une chute assourdissante après dix ans de règne. Évidemment, cette affaire a immédiatement suscité un grand intérêt à l’échelle internationale. Plusieurs journaux, que ce soit en Inde, en France, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, ont relayé l’information. «Architect of Chagos deal raided over ‘cash scam’», titre The Sunday Telegraph alors que RFI écrit : «L’ex-Premier ministre Pravind Jugnauth arrêté après la saisie de valises de billets.» «Chagos mastermind appears in court after arrest in money-laundering probe», écrit The Telegraph en publiant des vidéos de Pravind Jugnauth passant en cour.

Pour Parvèz Dookhy, docteur en droit à La Sorbonne et avocat spécialisé en droit constitutionnel, cette affaire est à double tranchant. «L’affaire donne l’impression que les institutions fonctionnent. Les dirigeants, surtout les anciens dirigeants, ont été appelés à répondre devant la justice. Mais pour les spécialistes du sujet, pour les organisations internationales de lutte contre les crimes économiques, l’image peut être toute différente. Dans la mesure où les affaires, en réalité, n’aboutissent pas. Il y a un gros problème de l’efficacité de la police et de la justice à Maurice. Elle est certes très spectaculaire, surtout en matière d’arrestation. Mais en termes de résultats, au final, c’est un échec total. Des questions se posent : pourquoi ? Il y a peut-être trois raisons : la volonté, les failles juridiques et l’inadaptation de notre système de preuve.»

Pour l’ancien ambassadeur, Chandan Jankee, il serait prématuré à ce stade de faire de telles conclusions. «Il nous faut attendre le verdict de la cour. Si c’est perçu comme une vendetta politique, évidemment que ce n’est pas bon pour notre démocratie et notre réputation à l’international. Maurice est un pays qui a une bonne réputation et continue à attirer des investisseurs. Au contraire, je pense que c’est un signal fort comparé aux autres pays car nous implémentons la loi. C’est important que le gouvernement projette Maurice comme une destination économiquement robuste et résiliente. Les organisations internationales nous donnent de bons scores. Soyons optimistes et patriotiques.»

Image ternie

Pour le Dr Hans Seesaghur, spécialiste des affaires internationales et sinologue, Maurice, comme beaucoup d’autres pays de par le monde, a traversé au fil des années une série d’événements qui ont terni son image. «Le classement de Maurice sur la liste grise financière, des soupçons de blanchiment d’argent visant les plus hauts cadres de notre pays en l’espace de dix ans ainsi que les récents scandales de surveillance téléphonique ont malheureusement contribué à affaiblir notre crédibilité et notre attractivité sur la scène internationale. Néanmoins, d’autres pays font également face à leurs propres crises politiques et institutionnelles, soulignant à quel point la stabilité est un atout fragile. En Corée du Sud, plusieurs présidents successifs ont été impliqués dans des scandales de corruption, certains étant même condamnés et emprisonnés, ce qui a fortement ébranlé la confiance du peuple et l’image du pays à l’étranger. En Angleterre, autrefois perçue comme un symbole de stabilité, nous avons assisté à une rotation rapide et chaotique de plusieurs Premiers ministres, traduisant une instabilité politique qui nuit à son influence sur la scène mondiale.»

Cependant, dit-il, contrairement à ces grandes puissances mondiales qui disposent d’un soft power extrêmement puissant leur permettant de se relever plus facilement des crises, Maurice, en tant que petit État insulaire, n’a pas ce privilège. «Si nous laissons notre image se détériorer davantage, la pente pour la redresser sera plus difficile à gravir. Nous devons nous ressaisir, amplifier l’héritage bâti par nos aînés, reconnaître nos erreurs et anticiper leurs conséquences afin d’éviter que notre pays ne perde pas son prestige et son attractivité.» Ces derniers jours, les agences de presse AFP, Bloomberg et Reuters parlent aussi de l’arrestation et de l’interrogatoire de l’ancien chef d’État. D’autres journaux comme US News, linfo.re, The Star, Business Standard, le Journal de Montréal et GB News, entre autres, relaient aussi l’information. Certains d’entre eux font même le lien avec l’accord entre Maurice et la Grande-Bretagne en ce qui concerne la rétrocession de l’archipel des Chagos, se demandant quel impact cette affaire pourrait avoir sur les négociations en cours.

En effet, suivant l’arrestation de l’ancien Premier ministre, des voix se sont élevées en Grande-Bretagne remettant en question l’accord que les deux pays s’apprêtent à signer de peur que l’accord soit lié à de la corruption financière. Certains demandent même une réévaluation et une suspension du traité. Chris Philp, Shadow Home Secretary, a déclaré que «le fait que l’architecte de cet accord déplorable ait été interrogé dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent remet sérieusement en question l’avenir de ces propositions». Il a soulevé des inquiétudes quant à la possibilité que les fonds versés par le Royaume-Uni à Maurice dans le cadre de cet accord soient détournés à des fins personnelles. Priti Patel, Shadow Foreign Secretary, a, elle, accusé le gouvernement travailliste d’un manque de transparence dans les négociations et l’a exhorté à rendre publiques toutes les informations relatives à cet accord. Face à la pression, le gouvernement de sir Keir Starmer se défend. Le Business Secretary, Jonathan Reynolds a affirmé : «Ne perdons pas de vue ce que nous essayons de faire ici. Il s’agit de garantir l’avenir à long terme d’une installation importante.»

Pour Parvèz Dookhy, une répercussion sur la rétrocession des Chagos n’est pas à écarter. «L’opposition, en Grande-Bretagne, exploite ce fait pour dire que les Anglais ne peuvent pas donner des milliards à Maurice alors que les dirigeants sont poursuivis pour des crimes économiques, autrement dit, il y a un fort risque que tout l’argent soit détourné. Nous ne savons pas à ce jour ce que sera la position de Donald Trump mais il ne manquera pas, à mon avis, d’exploiter ces événements à son avantage s’il doit le faire, s’il ne veut pas que Maurice retrouve sa souveraineté sur Diego Garcia. Et puis, il y a l’image du peuple mauricien. L’image d’être un peuple qui oublie, qui n’est pas capable de renouveler sa classe politique.»

Pour l’ancienne ambassadrice, Sarojini Seeneevassen, la bonne gouvernance est notre outil le plus précieux pour promouvoir Maurice. «Le gouvernement MSM nous a ôté les outils nécessaires pour promouvoir notre pays à l’étranger de façon convaincante et transparente dans le respect des normes internationales.»

Pour elle, nous devons encore faire des efforts. «Une bonne gouvernance est l’outil le plus précieux pour notre diplomatie afin de promouvoir Maurice comme une plaque tournante pour l’éducation, la médecine et l’investissement non seulement chez nous mais aussi pour toute la région. Notre image est à reconstruire. Je suis confiante que nous retrouverons le statut perdu vis-à-vis des institutions internationales et nous avancerons vers un progrès inclusif pour tout le pays.» Maurice, lance Sarojini Seeneevassen, a toujours fait preuve de résilience face à l’adversité.

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