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13 février 2025 09:48
Il fait chaud. On transpire. On a soif. C’est l’été certes, mais les journées brûlantes actuelles n’ont rien d’idyllique. Le soleil tape fort, la chaleur est infernale. Avec des températures flirtant avec les 36 degrés, la consommation d’électricité a explosé, atteignant un record de 545,7 mégawatts le 22 janvier, selon le Central Electricity Board (CEB). Mais l’autre ressource qui s’évapore à vue d’œil, c’est l’eau. Cette richesse si précieuse pour les Mauriciens, pour l’agriculture et l’élevage, se fait de plus en plus rare car il ne pleut pas suffisamment. Nos réservoirs sont en chute libre. Alors qu’en février 2024, le taux de remplissage moyen avoisinait les 94,5 %, cette année, il plafonne à 39,8 %. Malgré le passage de la tempête Faida, la sécheresse continue de sévir et nos réserves d’eau touchent le fond. Face à cette crise, la Central Water Authority (CWA) a instauré de nouveaux horaires de distribution et un plan de gestion de l’eau, qui entrera dans sa phase 2 dès le 15 février. Parmi les mesures : interdiction d’exploitation des Car Wash et restrictions pour certaines cultures agricoles. Si Mare-aux-Vacoas affiche encore 44,1 %, La Ferme est le plus durement touché avec seulement 26,1 % de sa capacité. Nous sommes allés sur place voir l’état de ce réservoir, non loin de la montagne Corps de Garde, utilisé exclusivement pour l’irrigation. En 2023, nous avions déjà arpenté ces terres pour couvrir l’histoire des 182 familles vivant illégalement autour du réservoir et relogées par la NHDC à Résidence Camélia, La Valette, en raison des travaux d’extension et de réhabilitation de ce réservoir vieux de plus de 150 ans. Nous avons, cette fois, rencontré les éleveurs, les planteurs et les habitants de la région pour voir comment ils font face à la crise de l’eau. Mais au-delà de la bataille pour l’eau, il y a un combat plus discret, mais tout aussi éprouvant : celui de ceux qui tentent, envers et contre tout, de nourrir leurs bêtes et de préserver leur élevage. Entre craintes et résilience, nous avons écouté leurs témoignages.
En parcourant les environs de La Chaumière, entre les terres agricoles et les élevages, nous comprenons vite qu’ici, l’eau ne manque pas. On nous lance : «Nou gagn delo ki pass par lagrikiltir sorti Pierrefonds !» Nous poursuivons la route vers un morcellement voisin, où près de 174 éleveurs se côtoient à Saint-Martin. Ici, l’élevage porcin domine, et Eric Mootoo, 51 ans, est plongé dedans depuis toujours. «Nou ti res dan lafore kot mo papa ti fer coson sovaz vinn dimounn !» lance-t-il avec un sourire. «À mon âge, il serait difficile de tout quitter, car jamais je ne pourrais abandonner mes animaux. Avec cette chaleur, les cochons souffrent, ils ont besoin d’eau en permanence. J’ai dû acheter quatre tanks d’occasion et j’en cherche encore. Tou larzan tir lakaz met isi. Mo aksepte pena manze ! C’est un métier d’amour et de patience. Même les chiens errants de la région me font de la peine. Ceux qui sont dans ma cour ici ont tous été abandonnés, alors je les soigne… Finalement, ce sont eux les vrais gardiens. Kan ou met dimounn, li plis kapav kokin ou. C’est dommage que le gouvernement ne nous aide pas plus, que ce soit pour la nourriture, les vétérinaires ou les médicaments. Nous investissons toutes nos économies et nous consacrons nos vies à nos bêtes, mais nous n’avons aucune reconnaissance. Il n’y a presque plus de relève dans ce métier, car il demande du courage. D’ailleurs, je suis déjà tombé malade ici, et heureusement que mes chiens m’ont sauvé… mais pendant ce temps, une trentaine de mes animaux sont morts. Nous avons besoin d’être encadrés pour évoluer. Par exemple, les médicaments, comme le fer, coûtent entre Rs 400 et Rs 600 le flacon, un luxe pour nous. Chacun se débrouille avec ses propres moyens. C’est pour cela que certaines infrastructures sont précaires et que la saleté s’accumule. J’ai eu la chance de suivre une formation à l’île de La Réunion, ce qui m’a aidé à réduire les coûts et à mieux comprendre mes cochons. Pour l’eau, par exemple, j’ai installé un système de pipettes que les cochons manipulent avec leur truffe ou leur patte. Mais quand l’eau ne suffit pas, je dois en acheter par camion-citerne : Rs 3 700 pour remplir mes tanks, et cela ne dure qu’une semaine. En plus, chaque jour, je dépense Rs 1 200 en nourriture. Ziska dipin rasi aste aster, Rs 50 par bal. Et nous n’avons même pas accès à l’eau du réservoir de La Ferme, ce qui aurait pourtant été une solution. Nous espérons qu’avec le nouveau ministre de l’Agriculture, Arvin Boolell, nous aurons enfin plus de reconnaissance et une restructuration du secteur. Je dirais aussi aux anciens d’accompagner les jeunes et de leur donner leur chance. Et il faudrait revoir les lois, car beaucoup de bouchers sont aussi éleveurs, ce qui est un danger pour nous. Zot kas pri ek nou bizin aksepte, pena swa !»
En arrivant sur place, les grands arbres offrent un peu d’ombre pour souffler un instant. Près du réservoir, nous rencontrons Jean Emilien. «Mo sorti travay, mo vinn relax inpe avan rant lakaz.» Cette eau qui coule dans les canaux allait autrefois jusqu’à Tamarin et Petite-Rivière. «J’en sais quelque chose, car j’étais celui qui s’occupait d’ouvrir le barrage pour laisser l’eau s’écouler. J’ai travaillé pendant de nombreuses années pour Médine. À l’époque, ce coin était aussi populaire pour la pêche et il n’y avait pas autant de broussailles. Il y avait même des activités, comme des fancy-fairs, dans le grand jardin. Aujourd’hui, tout est à l’abandon. Même l’eau de La Ferme part dans le vide, soit vers la mer, soit en s’échappant des canaux, notamment à hauteur de Canot, sur le chemin. Un gaspillage alors que tant de planteurs souffrent. Cela fait un moment qu’on entend parler d’un projet pour traiter et rendre cette eau potable, mais monn gagn letan kit Cité La Ferme, ankor pe atann. Il faut trouver des solutions d’urgence.»
À bord de son 4x4, Rudy Rayar nous partage la réalité des éleveurs. «Se mo madam ek so fami ki ti dan lelvaz pork. Dan sa bizness la, ou investi pou regagn ou kas. Kouma dir sit !» Les conditions des éleveurs se sont dégradées en 20 ans. «Le prix d’un sac de 50 kg de nourriture ne vaut plus que celui de 25 kg aujourd’hui. J’ai dû installer plusieurs réservoirs d’eau, car les porcs boivent énormément. En plus, depuis novembre, il y a une pénurie de médicaments contre les vers. Sans ça, koson pa grosi ek mem mor. Nous avons alerté le ministère de l’Agriculture depuis l’année dernière, mais rien n’a été fait ! En plus, c’est absurde que les bouchers puissent avoir leur propre élevage. Travay-la pa balanse ! Nous avons besoin d’être représentés pour continuer. Actuellement, il n’y a même pas de prix fixe pour un porc sur patte. Pour les autres bétails, même pour le poulet, un tarif est établi. Mais pour nous, ce sont les bouchers qui font la loi. En 20 ans, le prix du porc est passé de Rs 80 à Rs 87 le kilo, une hausse dérisoire face aux coûts qui explosent. Le budget prévu pour la construction de canalisations et de puits d’assainissement est resté en suspens. Nous sommes délaissés, alors que nous nous consacrons à nos animaux dès 5 heures du matin et souvent jusqu’à tard le soir. À la fin du mois, kan ou gete ou kont, enn mank a gagne lor seki ounn investi ! En plus, nous payons un tarif industriel pour l’électricité. Kouma dir nou pe fer benevol ! Malgré tout, j’aime mon métier et mes animaux. C’est ce qui me retient.»
Sur la route de Saint-Martin, bien fréquentée par les automobilistes, un bazar a traversé trois générations. Nous y rencontrons Geeta Ramshire, qui profite d’un moment d’accalmie pour arroser ses légumes. «Tout a commencé avec ma belle-mère. Aujourd’hui, après 40 ans de mariage, j’ai tout appris d’elle. Quand elle nous a quittés, j’ai repris la plantation de légumes fins et de fruits : cotomili, thym, persil, bâton mouroung, fruit à pain, mangue, avocat, entre autres. Heureusement, j’ai mon fils qui m’aide pour la récolte. À mon âge, ce serait difficile de grimper aux arbres ! Les journées commencent très tôt. Pli boner ou leve, meyer, parski dan lete ek sa soley-la, pa fasil ! En ce moment, avec la sécheresse, je ne plante pas autant que d’habitude, car par moments, nous n’avons pas d’eau. Nous sommes quelques planteurs et éleveurs à payer pour de l’eau provenant d’un puits. Cela nous soulage. Anplis, delo-la bon pou bwar, kouma dir delo lasours. Mais jamais nous n’avons eu accès à l’eau du réservoir de La Ferme. Ça nous aurait pourtant bien aidés ! »
Sécheresse : de nouvelles restrictions en place
Dès le 15 février, des règles strictes s’appliquent pour économiser l’eau :
• Fini les Car Wash et les piscines – Impossible de laver sa voiture avec un tuyau ou de remplir sa piscine.
• L’eau réservée aux cultures essentielles – Les plantations de légumes restent arrosées, mais les champs de canne devront attendre.
• Des forages privés utilisés – Certains puits seront réquisitionnés pour fournir de l’eau potable.
• Réservoirs et camions-citernes déployés – Plus de citernes seront installées dans les régions les plus touchées.
Toute infraction peut coûter jusqu’à Rs 50 000 d’amende. Faisons attention à chaque goutte !
Pour contacter la CWA : hotline 170, WhatsApp 500 0025, ou 601 5000.
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