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Par Yvonne Stephen
11 octobre 2025 19:22
Météo sociale orageuse. Des nuages sombres semblent s’amonceler sur notre île. Au quotidien, les nouvelles parlent de vols avec violence, d’agressions, d’altercations, de règlements de compte. Au marché, dan kwin laboutik, on commente et s’inquiète : la violence semble gagner, toujours plus, du terrain. Mais est-ce vraiment le cas ? Les avis divergent et les autorités rassurent. Pour nos interlocuteurs.trices, que la criminalité en hausse soit une perception ou une réalité, la peur s’installe. Ils.elles rappellent qu’à travers vigilance, entraide et éducation, il est possible de réduire les risques et de se protéger.
Nelly Beg, engagée dans le social : «Les femmes se sentent plus vulnérables»
Un climat d’insécurité s’installe, et Nelly Beg, fondatrice de l’ONG Association pour l’accueil des femmes et des enfants en difficulté (AFED), en témoigne avec inquiétude. Pour elle, la violence dans l’espace public est bien réelle et touche d’abord les femmes. «Elles se sentent plus vulnérables. Elles sont exposées à des agressions verbales, physiques ou sexuelles», déplore-t-elle. Selon elle, plus personne n’est vraiment à l’abri (homme comme femme) : «À la maison ou dehors, on n’est plus à l’abri. Une simple altercation peut finir en agression.» Elle plaide pour des lois plus sévères et mieux appliquées, ainsi qu’un renforcement de la sécurité. La crainte d’un état-policier n’est pas d’actualité : «Il faut utiliser les forces de l’ordre pour protéger la population.»
Si la drogue alimente la violence, elle souligne que «l’alcool reste la cause principale dans la violence domestique». Et que les frustrations nourrissent un climat social tendu. Face à cela, Nelly Beg conseille aux femmes de redoubler de vigilance : «Scannez un lieu avant d’y entrer, fermez les portes, évitez de marcher seules, ne portez pas de bijoux, suivez des cours de self-défense.» Des réflexes qui semblent un peu passéistes mais qui sont devenus essentiels : «Ce n’est pas une nécessité, c’est une obligation. Nous devons être plus prudentes que les hommes, car nous n’avons pas leur force physique.»
Jane Ragoo, syndicaliste : «Les frontliners ont peur»
Servir dans un magasin, être à la caisse d’un supermarché ou contrôleur dans un autobus :autant de métiers exposés à la violence. Une vidéo montrant un employé de pharmacie repoussant un agresseur a récemment rappelé la vulnérabilité de ces travailleurs. La syndicaliste de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP) tire la sonnette d’alarme : «Avant même cette impression que les cas de violence ont augmenté, les frontliners subissaient déjà une énorme pression.» Elle cite les employés.es des guichets à l’aéroport, des bureaux publics ou des transports : «Quand il y a des retards ou des files d’attente, c’est sur eux.elles que les gens passent leur colère. Dimounn nepli ena manier koze ek azir. Et ces frontliners doivent subir tout ça. Ils.elles ont peur.» Mais la violence ne vient pas uniquement du public. «Elle peut aussi venir de l’employeur.e ou du.de la superviseur.e. L’article 114 du Workers’ Rights Act parle de non-violence au travail, mais on oublie souvent l’aspect psychologique. La violence affecte le mental et le well-being», déplore-t-elle. Selon elle, l'Occupational Safety and Health Act reste trop vague sur la question du risque psychosocial. Elle appelle à une meilleure reconnaissance de ces situations : «La protection des employés.es passe aussi par la loi.» Et à court terme ? «Dans les endroits considérés à risque, il faut mettre des policiers ou des agents de sécurité. Il vaut mieux prévenir que subir.»
Neighbourhood Watch : se mobiliser pour son quartier
Engagé sur le terrain, Roshan Harshveer Seebhoo, fondateur et président de la Boundary Coriolis Railway (BCR) Association, à Quatre-Bornes, observe une montée de l’insécurité : «Les gens se sentent moins en sécurité. Les cas de vols et de violence ont augmenté.» Selon lui, certains lieux sont désormais «envahis par les usagers de drogue» et c’est le public qui en subit les conséquences. Face à cette situation, son ONG a lancé un Neighbourhood Watch en collaboration avec la police, après plusieurs signalements de vols, notamment à l’arraché. Une demande d’installation de caméra Safe City a aussi été déposée. La BCR travaille en partenariat avec le Foyer Monseigneur Leen et diverses unités spécialisées pour soutenir les enfants en difficulté. Pour Roshan Seebhoo, «c’est en se serrant les coudes que les quartiers peuvent faire reculer la violence».
Ram Nookadee : entraide et communication pour protéger les «senior citizens»
À la retraite, mais toujours engagé, Ram Nookadee poursuit son action au sein de la Be Ever Fit Senior Citizens Association. Ancien membre actif du Mauritius Council of Social Services (MACOSS), il observe avec lucidité les inquiétudes liées à l’insécurité, particulièrement chez les aînés.es. Pourtant, il refuse de céder à la peur : «Une hausse des cas de violence ? Je ne sais pas, c’est peut-être comment les médias traitent l’information.» Pour lui, il ne s’agit pas de dramatiser, mais d’adopter de nouvelles habitudes : «Les seniors doivent accepter qu’ils ne peuvent pas aller où ils veulent, quand ils veulent, d’une façon insouciante.» La clé, selon lui, réside dans le lien social. «Il faut connaître son voisinage et entretenir les liens.» Un simple «ki manier tonton, tantinn», un service rendu ou une présence amicale peuvent renforcer ce filet de sécurité. «Comme cela, un voleur sait que la personne n’est pas isolée, qu’elle n’est pas une proie facile, qu’elle est entourée.» Face à la solitude croissante des personnes âgées, Ram Nookadee plaide pour un retour aux valeurs d’entraide et une meilleure communication au sein des familles. Il encourage aussi les grup trwaziem az à organiser plus de visites à domicile. Enfin, il prône la vigilance au quotidien : «On veut sortir, mais le quartier est trop tranquille, on attend qu’il y ait un peu de monde. Il faut adopter les bons gestes, trouver des astuces pour se protéger.»
Dr Anjum Heera Durgahee, psychologue : «Une amplification de la perception»
La professionnelle jette un regard sur la question de la violence dans notre île et apporte des pistes de réflexion.La société est-elle réellement plus violente aujourd’hui ?
En tant que psychologue, je dirais que nous vivons davantage une amplification de la perception de la violence qu’une explosion réelle de celle-ci. Les médias et les réseaux sociaux exposent en continu des images et des récits de faits violents. Notre cerveau, naturellement sensible au danger, retient et amplifie ces informations, créant un sentiment collectif d’insécurité. Cette exposition constante entretient un stress social diffus, même si certaines formes de violence, comme les crimes graves, n’ont pas nécessairement augmenté.
Cette montée de la violence qu’on a l’impression de vivre actuellement : est-ce le symptôme d’un malaise plus large ?
Oui, la violence observée ou ressentie est souvent le reflet d’un malaise collectif. Nous vivons dans un monde de plus en plus individualiste, compétitif et émotionnellement fragmenté. La perte du lien social, le sentiment d’isolement, la pression de la réussite et la peur de l’échec alimentent une forme de tension intérieure. Beaucoup de personnes n’ont plus d’espaces pour exprimer leurs frustrations ou émotions, ce qui conduit parfois à des comportements impulsifs ou agressifs. Cette montée de la violence (observée ou ressentie) traduit donc un déséquilibre émotionnel collectif et un déficit de dialogue social.
Dans quelle mesure la précarité, les inégalités sociales et le sentiment d’injustice peuvent-ils nourrir cette violence ?
La précarité et les inégalités sont des terrains fertiles à la colère et au ressentiment. Quand les besoins fondamentaux – sécurité, reconnaissance, dignité – ne sont pas satisfaits, la frustration peut se transformer en violence. Le sentiment d’injustice aggrave encore ce processus, car il touche à l’estime de soi et à la perception de sa place dans la société. Les personnes qui se sentent exclues ou méprisées peuvent alors manifester leur détresse à travers des actes violents, qu’ils soient physiques, verbaux ou symboliques. En ce sens, la violence devient parfois une manière de revendiquer une existence ou de réclamer une réparation morale.
Et la drogue ?
La consommation de la drogue s’inscrit pleinement dans cette réflexion sur la montée de la violence et le malaise social. Elle est à la fois symptôme et catalyseur de ce déséquilibre collectif. D’un côté, la drogue devient un refuge face à la précarité, au stress et à la perte de repères – une tentative d’échapper à une réalité ressentie comme injuste ou insupportable. De l’autre, elle alimente les comportements violents, tant sur le plan individuel (impulsivité, désinhibition, troubles du jugement) que collectif (trafics, rivalités, insécurité). Sur le plan sociologique, la dépendance et les réseaux qui en découlent traduisent un affaiblissement du tissu social, un manque de perspectives et de soutien communautaire. Pour réduire cette spirale, il ne suffit pas de réprimer : il faut comprendre et agir sur les causes profondes.
Quelles réponses sociétales ou institutionnelles pourraient aider à endiguer cette violence ?
La réponse doit être globale.
L’éducation : développer l’empathie, la gestion de la colère, la communication bienveillante dès le plus jeune âge.
La prévention : créer des espaces d’écoute, de médiation, et faciliter l’accès au soutien psychologique.
La justice : rester juste et humain, punir sans humilier, réparer sans détruire.
Le lien social : recréer la confiance, valoriser la solidarité et la coopération.
C’est en redonnant du sens au collectif et en restaurant la santé psychique du vivre-ensemble que nous pourrons apaiser durablement notre société.
Navin Ramgoolam rassure
Au Parlement, le vendredi 10 octobre, le Premier ministre Navin Ramgoolam a présenté les chiffres de la criminalité pour la période allant de janvier au 10 octobre 2025, insistant sur une tendance à la baisse. On compte 4 247 cas de voies de fait simples, 112 avec préméditation, 24 tentatives de meurtre et 24 meurtres. Les agressions contre des policiers s’élèvent à 104, tandis que 25 cas mortels ont été enregistrés, dont 24 déjà élucidés. Au total, 1 185 arrestations ont été effectuées. Le chef du gouvernement affirme que les chiffres sont meilleurs que ceux de 2024, tout en promettant de renforcer la loi contre les agressions envers les forces de l’ordre. Face à lui, le leader de l’opposition Joe Lesjongard a dénoncé une situation alarmante, évoquant «15 cas d’agressions par jour» et «10 policiers blessés chaque mois». Il a rappelé les récents incidents violents – dans le métro, à l’hôpital ou dans les foyers – pour souligner que, malgré les chiffres, la peur s’installe dans la rue.
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