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23 janvier 2025 15:33
C’est dans le sud-ouest du pays, au cœur du village de La Gaulette, là où la côte dévoile tout le charme de son lagon, que nous posons notre plume pour une échappée hors du temps. Entre Case-Noyale et Le Morne, ce coin de paradis nous est familier, notamment grâce à un reportage réalisé en 2023 sur l’affaire Franklin et sa somptueuse demeure. Mais aujourd’hui, l’actualité nous y ramène pour une tout autre raison. Près de la boutique Liverpool, fraîchement repeinte en turquoise, nous retrouvons le seul kiosque du débarcadère, où pêcheurs et skippers discutent à voix basse. Nous cherchons un taxi-boat pour rejoindre l’île-aux-Bénitiers, située à petite distance du village. Bien que l’importance de cette île pour la communauté locale transparaisse dans leurs paroles, les discussions évitent soigneusement les récents scandales. Le 10 janvier 2025, le nouveau président du Conseil de district de Rivière-Noire, Kheraz Ortoo, ainsi que trois Junior Ministers – Fabrice David (Agro-Industrie), Joanna Bérenger (Environnement) et Véronique Leu-Govind (Arts et Culture) – se sont rendus sur l’île pour constater l’ampleur des structures illégales et évaluer la dégradation écologique. Classée comme «Environmental Sensitive Area» (ESA) de catégorie 2, l’île-aux-Bénitiers est un refuge pour des espèces endémiques comme le Pic-Pic, le Martin Triste et des geckos, mais elle subit une pression environnementale croissante. Les autorités s’attellent à un plan d’action pour préserver cet héritage unique : démolition des constructions illégales, surveillance accrue des activités humaines et mise en place d’un système de gestion des déchets. L’île, essentielle pour le gagne-pain des villageois, est aussi un symbole de la coexistence fragile entre tourisme et nature.
Depuis notre bateau, un panorama spectaculaire s’offre à nous : montagnes imposantes, eaux limpides, et en toile de fond, l’île-aux-Bénitiers. En approchant, une petite baraque flottante attire notre attention. Tel un mini-bar ambulant, elle repose sur trois planches de surf. Derrière son comptoir improvisé, Michael Duc, surnommé «Miaow», nous accueille avec son sourire éclatant. «Lontan, ti apel isi l’île aux Cocos. On y trouvait de nombreux cocotiers qu’on utilisait sous toutes leurs formes. Aujourd’hui, ils ont disparu, remplacés par les filaos. Momem, pou mo vann dilo koko, mo bizin aste dan vilaz ! Je travaille sur l’île depuis 13 ans. Pou nou zanfan pa mor san manze, bizin trase, pa kokin !» De 9h30 à 15h30, Michel propose des cocktails qu’il a appris à peaufiner lui-même. «Beaucoup de Mauriciens viennent ici pour profiter du cadre unique. Mais tout commence par trouver un taxi-boat.» Lorsqu’on lui mentionne le tarif de Rs 1 500 que nous avons payé, il répond : «Tout dépend du nombre de personnes, mais il faudrait une solution pour rendre l’île plus accessible. Bizin pena batima an beton pou gard lil tipik. Et il faut aussi que ceux qui viennent camper ou profiter ramènent leurs déchets. Ti pou bon ki enn konpani netoyaz vinn met prop toulezour.»
En longeant la plage, où l’eau tiède apaise l’esprit, nous tombons sur une table décorée de produits artisanaux. Sunny Ittoo, 35 ans, nous accueille avec enthousiasme. «Mo vann bracelets avec des coquillages ou des pierres minérales, des bols en coquille ou en coco, des sacs... Certains, mo fer mo-mem. Mo lanfans inn fini isi, kot mo lipie inn komans koupe ar disab !» C’est à 18 ans qu’il a commencé à travailler sur l’île, encouragé par son père, un ancien du secteur touristique. «Enn moman, monn realize ki pou avanse, mo bizin lans mo prop ti biznes. Ici, le client est roi, et même avec 100 roupi, zot kapav gagn enn zoli souvenir. Li vilin kan ena striktir an beton ! Nou bizin gard lil-la natirel. Nou bizin gard larmoni sa bel verdir-la, ki atir touris ek Morisien. Après chaque cyclone, nous faisons face aux défis. Nou tou bizin travay ek tir salte par pel. Ti bizin plis soutien bann lotorite. L’île est bien plus qu’un lieu de travail, c’est un héritage à protéger. Samem gagne-pain pou vilaz La Gaulette-sa. Si nous gardons cette île propre et authentique, elle continuera de faire rêver les touristes et les Mauriciens pendant plusieurs générations.»
Sous un vaste prélart blanc, là où la musique se fond avec le bruit des vagues, nous découvrons Kiki’s Love, un espace où gastronomie et art s’entrelacent dans une ambiance conviviale. «Mo lanfans inn pass lamem. Mon père était pêcheur, et dès mon jeune âge, cette île faisait partie intégrante de ma vie. Il y a 19 ans, j’ai démarré avec un modeste étal de produits artisanaux. Aujourd’hui, je gère aussi un espace de restauration, prisé par les amateurs de fruits de mer. Je voulais créer un lieu où les visiteurs peuvent déguster des plats mauriciens authentiques tout en savourant la beauté naturelle de l’île. Nos langoustes sont très populaires, mais je propose aussi un menu à Rs 700 avec une variété de grillades, des salades fraîches et du pain à l’ail. J’aime que mes clients prennent leur temps pour apprécier l’instant présent. Et vers 15 heures, quand l’île se vide peu à peu, la nature reprend ses droits. C’est magique d’entendre le chant des oiseaux et de profiter d’un coucher de soleil.» confie Joesan Isram. «Je suis fermement opposé aux constructions en béton. Li bizin interdi ! Si nou permet sa, lezot pou swiv ek lil-la pou perdi so valer. Les dimanches et pendant les vacances, beaucoup de Mauriciens viennent ici pour se reconnecter à la nature, car l’île a une âme. Chaque visiteur la ressent, et c’est ce qui rend cet endroit si spécial.»
Parmi les échoppes improvisées, Guylène Perle suspend des t-shirts colorés à une corde, luttant contre le vent. «Divan for zordi, lamer bien plein», lâche-t-elle. Non loin, Sonia Lamarque, montre fièrement ses bracelets en pierres volcaniques. «Se mo frer Nicodème ki aranz sa bann prelar-la !» ajoute Sonia, alors que Guylène, avec un sourire, se remet à organiser son espace de vente. Son histoire est étroitement liée à l’île. «Tou dimounn dan la rezion konn mo papa, Georges Sarbonie ! Il s’appelait Noé, mais tout le monde l’appelait ainsi parce qu’il était le seul charbonnier de l’île. À l’époque, alors que j’avais seulement 14 ans, nous vivions ici, dans l’unique maison de l’île avec ma famille.» Sa mère, Rose-Lima, intervient avec un sourire : «Mo ti ena 10 zanfan !» Guylène poursuit son récit : «Mon père est mort ici-même des suites d’un problème cardiaque. Après son décès, tout a changé, mais je garde des souvenirs inoubliables de cette vie simple, entourée de nature.» Ses débuts modestes, en nettoyant sous des prélarts pour les clients, l’ont menée à créer sa propre activité. «Aujourd’hui, je vends des souvenirs tels que des chapeaux, des bracelets, des paréos et des objets artisanaux. Mo fier pou dir ki mo travay pou momem. Entre les cordons de perles pour téléphone portable que je fabrique et les souvenirs que je vends à des prix raisonnables, je suis heureuse de faire revivre une partie de l’histoire de cet endroit. Ce côté sauvage de l’île attire des visiteurs à la recherche d’un paradis authentique. Ici, tout respire la simplicité et la nature.»
Les pêcheurs et skippers exaspérés !
Malgré la retenue initiale, les langues finissent par se délier et les préoccupations des pêcheurs et skippers du débarcadère de La Gaulette émergent. «Pa bizin al lor lil pou ena problem, isi mem ena enn ta zafer pa bon !» déplore l’un d’eux. On nous explique les nombreux problèmes rencontrés dans ce village pourtant considéré comme une destination touristique. «Il n’y a même pas de lumière. Les derniers bateaux accostent parfois dans le noir avec des clients. Les poubelles, elles, débordent constamment, sans couvercle et rarement vidées. Je ne vous dis pas l’odeur insoutenable que cela dégage, surtout lorsque le vent souffle dans cette direction !» Un autre pointe la récente Fish Landing Station, flambant neuve, mais pas utilisée : «Au lieu de ça, ils auraient dû aménager des toilettes et une douche fonctionnelles. C’est désagréable pour les visiteurs qui viennent de loin et se retrouvent sans aucune facilité sur place.» Ils soulignent aussi des problèmes de sécurité : «Il faudrait revoir l’état du ponton en dur où les clients montent dans les bateaux. Il est souvent recouvert d’algues glissantes, et plusieurs personnes se sont blessées ici. Un panneau d’avertissement plus visible ou un nettoyage régulier serait le minimum.»
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