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Proposition de Nando Bodha

Union de l’opposition : une recette qui ne donne pas envie

19 juillet 2025

Padma Utchanah, Nita Juddoo, Roshi Bhadain et Jean-Claude Barbier commentent l'invitation du leader du RM.

La tentative du leader du RM de rassembler les partis hors gouvernement fait face à des refus, des doutes et des divergences profondes.

La mayonnaise va-t-elle prendre ? Ce n’est pas si sûr. Un problème de température, certainement. Si le leader du Rassemblement Mauricien (RM), Nando Bodha a déclaré, en conférence de presse le jeudi 17 juillet, qu’il souhaitait que les partis de l’opposition s’allient pour une action «démocratique, pacifique, mais profondément révolutionnaire» et pour faire front contre «la trahison du gouvernement», l’accueil semble plutôt tiède. L’ingrédient qui fait tourner la préparation, c’est l’appel du pied au MSM. Presque comme un cheveu sur… le condiment.

Si le parti de Pravind Jugnauth se réjouit de ce souhait de coopération (même si aucune décision n’a été prise à ce stade), que le PMSD n’en a, pour sa part, pas encore pris note, les formations extra-parlementaires ne semblent pas prêtes à une collaboration. Découvrez, ci-dessous, le positionnement du Reform Party (RP), d’En Avant Moris (EAM) et du Ralliement Citoyen pour la Patrie (RCP) qui s’accordent pour railler la proposition-Bodha. Jean-Claude Barbier du Mouvement Patriotique (MP), lui, nuance…

Avec le MP, il a fait partie de Linion Moris (LM), plateforme qui regroupait plusieurs partis de l’opposition extra-parlementaire (comme le RM, EAM ou le RCP) avant les élections 2024. Elle a connu remous et cassures avec l’adhésion temporaire avec le Reform Party de Roshi Bhadain. Linion Reform, alliance éphémère, n’a tenu que le temps des législatives. Le LM, aujourd’hui, ne semble pas non plus avoir une vie active sur la scène politique : «Nous ne sommes plus actifs sur la plateforme. Nous sommes en pleine réflexion au niveau de nos instances pour donner une nouvelle orientation à notre action.» Jean-Claude Barbier, en vieux routier de la politique, estime que le move de Nando Bodha «n’est pas très intelligent». Pas d’élections deryer laport, pas de véritables enjeux.

Celui qui a longtemps travaillé aux côtés de Paul Bérenger avance que l’ancien ministre MSM a son propre agenda : « À ce stade, parler de coalition, c’est prématuré. Nando Bodha doit avoir une idée derrière la tête. Il est sûrement conscient qu’il ne peut réunir les moyens nécessaires pour exister politiquement.» Pour notre interlocuteur, il ne faut pas se précipiter, surtout quand l’urgence n’existe pas : «Beaucoup d’eau va couler sous les ponts. On ne sait pas ce qui peut arriver jusqu’aux prochaines élections.» Interrogé pour savoir si c’est la présence du MSM dans cette réunion souhaitée qui lui pose problème, il répond que non : «Qui aurait dit que Navin Ramgoolam après les skandal kof-for et autres serait aujourd’hui Premier ministre ? On ne peut pas écarter le MSM. Nous aurons droit, certainement, à des surprises quand le moment viendra.»

Stratégie

En politique, il faut penser stratégie. Il faut jouer avec les cartes dont on dispose dans un jeu dont les règles sont déjà faites («ce sont les moyens financiers que l’on peut mettre dans une campagne qui font la différence»), poursuit Jean-Claude Barbier : «On ne va pas refaire la même erreur ; on ne va pas mettre toute notre énergie pour travailler contre X ou Y et voir, ensuite, d’autres récolter le fruit de notre engagement. Le gouvernement est impopulaire en ce moment avec la réforme de la retraite, mais il a encore le temps de redresser la barre ! Tout est possible et envisageable. Alors, on ne s’aligne pas, pour l’instant.» Au moment opportun, semble-t-il, il souhaite être du côté des gagnants.

Chez EAM, c’est ce political game que l’on souhaite voir évoluer. Il est question de stratégie, oui, mais pas sur le modèle existant. Nita Juddoo, présidente de la formation politique, parle de casser les codes, de changements systémiques et de nouveau souffle… Et ce n’est pas en s’associant avec le MSM que cela se fera, explique-t-elle : «Ce même parti qui a emmené le pays au bord du gouffre ? On ne va jamais avancer comme ça. Comment va-t-on voir les nouvelles idées, les changements qui font la différence si on prend les mêmes et qu’on recommence ?» Elle rappelle qu’au sein de LM, EAM a travaillé avec d’autres partis «pour le bien supérieur» : «Nous avions des divergences mais nous pensions œuvrer pour le pays, pour l’émergence d’une troisième force.» Néanmoins, s’associer avec le parti majoritaire de l’ancien gouvernement, c’est la proposition «qui fait déborder le vase» des incompatibilités idéologiques : «L’idée c’est de se démarquer des partis traditionnels qui ont occupé la scène politique, en alliance ou en mésalliance, ces 50 dernières années. On veut en finir avec l’idée de dynastie politique. Et nous avons travaillé et contribué à cette ébauche d’un nouveau paysage politique. Alors, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde que Nando Bodha. On ne comprend même pas sa démarche.»

Alors, EAM continuera d'œuvrer pour bousculer, mener à la réflexion et proposer, tout en «faisant son bout de chemin, en grandissant» : «Si on veut être une opposition, on peut l’être. On occupe l’espace de discussion, on met en place des think tanks. C’est sûr qu’on souhaitait avoir des élus de l’opposition au Parlement pour keep the government on its toes, mais la société civile engagée peut aussi faire la différence.» Au Ralliement Citoyen pour la Patrie (RCP) également, on se dissocie de l’action de Nando Bodha. Padma Utchanah n’a pas de doute sur la motivation de ce dernier :«Cette volte-face, ou plutôt ce grand retour au bercail, n’engage que Nando Bodha. Ce sont des décisions prises en son âme et conscience. Il faut le rappeler : ce retournement de veste est une action faite en solo. Ses divagations politiques sortent de l’ombre. Ses desseins pouvoiristes se dévoilent enfin au grand jour.»

Elle rêve d’un changement de paradigme qui mettrait la lumière sur l’indécence de cette proposition de l’ancien ministre MSM, mais elle réalise qu’il s’agit de business as usual : «C’est la norme à Maurice ! Depuis 50 ans, c’est le même sempiternel film qui se joue à guichet fermé. Les mainstreams fonctionnent ainsi depuis des décennies et le peuple se complaît à assister à ces jeux de rôles. Il est hermétique aux changements, se réconfortant dans ce système pervers.» Et le changement, ce n’est pas pour tout de suite :«Combien de fois avons-nous entendu Navin Ramgoolam vociférer envers Paul Bérenger, et combien de fois avons-nous été témoin du dégoût qu’éprouve Paul envers son camarade d’alliance ? Et pourtant, la grande majorité de la population a donné l’aval pour que ce système toxique perdure. Les choses ne sont pas près de changer, il suffit de constater les résultats aux dernières élections.»

Roshi Bhadain, leader du RP, se montre moins pessimiste. Il estime que cette modification du paysage politique se construit dès maintenant. Lui, qui avait partagé le leadership de Linion Reform et le poste de Premier ministre en cas de victoire avec Nando Bodha, ne semble plus être aussi lié à son ancien partenaire : «Il a fait cette déclaration sans consultation, cela fait plusieurs mois que nous n’avons pas eu de contact. Je comprends qu’il essaie de survivre politiquement. Comprendre ne veut pas dire que nous allons dans la même direction. Notre objectif à nous, c’est de faire grandir le Reform, d’occuper le terrain, de nourrir notre force et la confiance que les gens ont en nous en attendant les prochaines élections.» Alors lui, tout comme les autres, ne donneront pas un coup de fouet pour faire monter la mayonnaise.

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