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Ally Lazer : L’infatigable combattant

29 avril 2016

Ally Lazer : L’infatigable combattant

Seslunettes noires sur les yeux, il tire sur tout ce qui bouge. Du moins, il ne peut, souligne-t-il, se la fermer lorsqu’il s’agit de tout ce qui touche de près ou de loin au commerce de la drogue et à ses ravages. Car Ally Lazer, 60 ans, qui depuis plusieurs années – «40 ans»,précise-t-il – ne cesse de faire couler beaucoup d’encre suite à ses dénonciations sur les présumés trafiquants, le reconnaît lui-même : il a une grande gueule et sa propension à dire des choses sans demi-mesure lui a bien souvent valu des menaces de mort, voire des moments plus intimidants.  Si certains ne voient pas d’un bon œil ses motivations et son engagement, lui réplique à tout va qu’il sait où il va : «Je pense que mes nombreuses années dans cette lutte témoignent de tout.»

 

Il déboule au rendez-vous avec ses éternelles lunettes de soleil – parce qu’il est allergique à la lumière et au soleil depuis très jeune – en réclamant quelques minutes pour «manger un truc»après une première réunion de travail plus tôt. «Je suis vieux maintenant, je suis usé, je dois reprendre des forces»,lâche celui qui occupe le poste de chef inspecteur, Field Services Unit,tout en étant président de l’Association des Travailleurs sociaux de l’île Maurice (ATSM) et un des fondateurs du centre Dr Idrice Goomany pour la Prévention, le Traitement et la Réinsertion des Toxicomanes.

 

On l’a compris, Ally Lazer, formé à l’Institut francophone de la Lutte et la Formation contre la Drogue (IFLD) à Paris (de 1983 à 1986), a le verbe facile. D’ailleurs, selon son épouse Rooksana, «il a une grande bouche», c’est «son plus grand défaut»,et c’est cela qui, à maintes reprises, a suscité de vives réactions. Comme cet épisode de sa vie, cet instant marquant qui a tout déclenché chez lui. Cette «expérience traumatisante» quand, à 19 ans, il s’est retrouvé avec une arme sur la tempe parce qu’il avait osé balancer des noms en public sur, dit-il, un «caïd»de la drogue qui sévissait à l’époque. Et cela, suite à un drame qui a chamboulé sa vie.

 

«Un déclic»

 

«C’était l’époque où l’héroïne (Brown Sugar)commençait à être commercialisé à Maurice. Mon oncle était toxicomane. Il avait 48 ans, avait deux fils et a été parmi les toutes premières victimes mortes par overdose avec cette drogue. Quand j’ai vu la détresse de mes cousins et de ma tante, j’ai eu comme un déclic. J’étais alors président d’un club de jeunesse à Plaine-Verte et j’ai profité pour organiser une causerie dès le lendemain des funérailles de mon oncle. J’ai dit tout haut ce que j’avais sur le cœur, tout en balançant les noms de ceux qui faisaient circuler de la drogue»,raconte-t-il en se souvenant de ses premiers pas dans la lutte qu’il mène depuis sans fatigue.

 

«C’est après cela qu’on m’avait menacé…»Mais loin de se laisser intimider, Ally Lazer raconte qu’il a tout de suite compris qu’il allait faire de cette bataille le centre de sa vie. Et il le reconnaît, cela a été au détriment même de sa vie de famille. Père de deux enfants – Tariq, 30 ans, qui travaille dans un corps paraétatique, et Yasmeen, 25 ans, mariée, maman de deux enfants (8 et 12 ans) et installée en Angleterre –, il n’a pas toujours été présent pour eux : «J’ai une grande fille qui a grandi à la vitesse de l’éclair. Je ne l’ai pas vue grandir et c’est pour cette raison que je me fais un devoir, aussi souvent que possible, d’aller passer du temps chez elle et avec elle.»

 

«Marsan la mort»

 

Car toute sa vie, souligne-t-il, il n’a été motivé que par une chose : «Freiner les ravages de cette saleté qui génère bien des souffrances au cœur des familles.»Il veut aussi en finir «avec les magouilles et autres corruptions car ils sont nombreux à faire ce qu’il ne faut pas pour quelques millions de roupies, même à vendre leur âme».

 

Revenant sur ces dernières années, il évoque son dossier remis aux autorités en 1998 concernant 225 présumés trafiquants. Puis, en 2011, il a soumis un dossier sur le trafic de Subutexsur l’axe Paris-Maurice à l’ambassade de France. Il est aussi celui qui est derrière le dossier sur les richesses mal acquises des «Marsan la mort» à l’Economic Crime Unitet un dossier remis au Drug Commisionnerd’alors, Ajay Dabee. En 2006, Ally Lazer revient de l’avant en remettant une liste sur 163 présumés trafiquants au commissaire de police, qui est alors Ramanoj Gopalsing. «70 % des personnes sur ma liste ont été arrêtées»,précise le travailleur social.

 

Son dernier rapport datant du 18 avril, avec 136 présumés trafiquants de drogue, a été soumis à la commission présidée par l’ex-juge Lam Sham Leen. «Je ne fais que soumettre une liste de noms. C’est à la police par la suite de prendre le relais, de faire des enquêtes, d’assurer des filatures pour arrêter ces trafiquants. Mon rôle s’arrête là»,assure-t-il. Mais qu’est-ce qui le fait donc courir ? «Je ne gagne ni ne touche quoi que ce soit. Mon combat, je le fais au nom de mon pays», confie-t-il.

 

Il le sait. Beaucoup ne l’aiment pas, s’interrogent sur ses motivations et le décrivent comme un «personnage trouble», mettant en doute sa crédibilité et le rôle qu’il joue dans le cycle infernal du trafic de drogue. Mais, lui, réplique en disant qu’il a «les mains propres et rien sur la conscience» et qu’il veut«juste éviter que d’autres jeunes se retrouvent dans ce fléau».

 

Ni les intimidations, ni les appels anonymes et les procès en cours pour diffamation et autres n’ont eu raison de lui : «J’ai mes contacts et chaque rapport est le fruit d’un long travail. La plupart des personnes qui viennent vers moi sont les proches des caïds. Je ne roule pour aucun parti politique et je ne suis proche de personne. Je n’ai cessé de le dire, ma seule motivation est que je veux aider à combattre ce poison. Depuis plusieurs années, Maurice obtient ‘‘la médaille d’or’’ du pays où la drogue est présente, notamment selon le United Nation Office on Drugs & Crime. C’est pour cela que je ne vais pas arrêter dans ma mission et encore moins avec mes rapports. Il faudrait une volonté réelle pour que les choses bougent.»

 

Le social lui collant à la peau, il n’a cessé, ces dernières années, d’être actif en allant animer des causeries aux quatre coins de l’île : «Je n’ai même plus de passe-temps. Toute ma vie tourne autour de la cause en laquelle je crois et j’ai la chance d’avoir le soutien de mon entourage.»Rien que cette semaine, il a été à Souillac ou encore à Bel-Air, entre autres, pour faire de la prévention et de la sensibilisation, encore et encore. Et cela, sans jamais se fatiguer !

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