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Camp Zoulou : le «Seggae Man» dans le cœur

18 février 2019

Jean-Noël Dina montre où se trouvait la maison de Kaya.

La musique des lieux n’a rien de mélodieux. La rumeur de l’autoroute s’effacerait, presque, devant le bruit des travaux pour «pas tiyo», qui ont lieu dans la rue principale de Camp-Zoulou. C’est dans ce coin, un peu caché de la capitale, que Joseph Réginald Topize est né le 10 août 1960. Là, où était sa maison, la végétation et des détritus ont effacé les traces de ce qui était. De cette case en tôle, de ses drames, de ses espoirs nourris, de son histoire vécue. Des premiers pas d’un homme, devenu un symbole de par sa mort mais aussi, et surtout, grâce à sa musique. Ses paroles d’espoir et de révolte, et son envie de sant lamour. Si les traces physiques du passage de Kaya dans cette localité se sont envolées avec le temps, reste que la simple évocation de son nom fait naître à Camp-Zoulou, une symphonie de souvenirs...

 

Ton Lilis aidait Kaya à accorder sa guitare.

 

Ton Lilis, de son vrai nom Noel Imouche, 62 ans, se rappelle de Joseph adolescent. Du jeune homme qui gratte sa guitare, qui y trouve un moyen d’apaiser son âme, de dire cette réalité d’avoir grandi dans un endroit en marge du développement. Ton Lilis avance péniblement, tient fortement son déambulateur, cligne des yeux, un peu, car le soleil de cette fin de matinée tape fort. Et se rappelle, transporté dans un monde où les maisons, ici, étaient toutes en tôle et où l’électricité était une denrée rare : «Avan ti bwa net isi. Zordi, inpe meyer, il y a des maisons en béton.» Il parle de ça, du développement qui se fait attendre, de ces jours qui se ressemblent, de l’importance de trase, de ces fléaux qui touchent so baz…

 

Mais aussi de Kaya : «Li ti pli tipti ki mwa. Li ti pe grat so lagitar et il essayait de l’accorder et il venait me demander des conseils. Monn larg li.» Il se rappelle de l’envie du chanteur de seggae de partager, de faire passer ses messages. Comme lui, chaque habitant a un souvenir du chanteur ; une rencontre, une parole de chanson, pour les plus jeunes qui ne l’ont pas connu ; une anecdote racontée, une bribe d’histoire partagée. Kaya fait partie de la mémoire collective du lieu. Comme le fait penser, sans le savoir, Andrew Samuel, 24 ans : «Nou ankor ekout li.» Aujourd’hui, on évoque dans un murmure sa culture rasta qui dérangeait quelque peu certaines personnes à l’époque ; les prières près de la rivière… Mais les temps ont changé.

 

Floryse Legoff et Dolly Georgin racontent leurs souvenirs.

 

Au cœur du camp, le Belle-Étoile Restaurant (qui est aussi une tabagie) tenue par Floryse Legoff. Quand on lui dit Kaya, une première image affleure ses pensées : «J’étais partie le voir quand il avait six jours. Enn ti vizit a bann paran ki mo ti kone.» Le papa était pêcheur, explique-t-elle. Et la maman, «ti travay kot dimounn». Des premiers jours de sa vie à sa mort, elle était présente : «Monn al get li lor laplenn», là où sa dépouille était exposée. Un devoir : «Li ti enn zanfan landrwa.» Et chaque année, elle a une pensée spéciale pour lui, pour les événements difficiles de 1999 : «Impossible d’oublier, de toute façon, la radio est là pour nous le rappeler.» Et les images reviennent : le choc en apprenant la nouvelle de sa mort, «monn sezi», la peur et l’angoisse durant les émeutes, «pa ti kone ki ti pe arive» mais aussi la jeunesse de Kaya, ses fréquentes visite à sa tabagie, ses concerts improvisés «anba pie raket akote laboutik tayer». Boutique et arbre n’y sont plus. Mais leur empreinte s’est inscrite dans les cœurs.

 

Dolly Georgin se rappelle de ces moments de musique, des concerts qu’elle ne ratait jamais, «mo ti pe swiv li». Mais aussi de la mort des plus proches amis de Kaya, dont Berger Agathe, tué lors des émeutes non loin de là. Aujourd’hui, c’est son fils qui fait de la musique à Camp-Zoulou… Elle est la mère de Franco, plus connu comme Big Frankii. C’est une nouvelle génération de chanteur qui vient de ce coin de l’île. Sky to Be est, aussi, un enfant de la localité. D’ailleurs, le père du chanteur de Dodo Baba, Jean-Noël Dina, croisé en chemin, nous parle de Kaya. Des concerts organisés par son tonton à lui, qui ont inspiré une génération de musiciens. De sa jeunesse, de ses envies de musique, de ces années-là : «Nous suivions Kaya et ses amis partout. Nous voulions être comme eux.» Sylvanio Lemettre se rappelle aussi. Mais ses pensées prennent des chemins difficiles à suivre… Alors nous le quittons là, alors qu’il pousse la chansonnette.

 

Chaque année, le grand frère, Renald Colette, explique Jean-Noël Dina, organise quelque chose sur laplenn de la localité : «Bizin gete ki li pou fer sa lane-la.» Ce qui est sûr, c’est que lui sera présent. Pour écouter la musique du Seggae Man. Son inoubliable mélodie.

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