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Candidatures rejetées : Pourquoi je ne me catégorise pas

29 octobre 2019

Catherine Remillah, Jeff Lingaya, Swany Fakir, Dylan Allagapen et Shimanda Mungur expliquent leur prise de position.

Dans les veines, le sang d’une île. Celui qui s’écoule en chaque Mauricien, qui a pris de sa force et de son histoire à travers les générations. De ce mélange qui a dessiné les traits de chaque visage, qui a déterminé le grain des cheveux, les teintes de peau. Tout cela caressé par un soleil brûlant, balayé par des bourrasques. Dans cette complexité d’être, il est encore demandé à ceux qui veulent faire acte de candidature pour les élections de décliner leur appartenance ethnique. C’est au nom de cette incongruité que des citoyens, engagés politiquement ou pas, ont décidé de faire entendre leur voix… encore une fois ! Les 20 candidats de Rezistans ek Alternativ (ReA) mais aussi Jeff Lingaya, Shimanda Mungur ou encore Shenaz Patel, se sont enregistrés lors du Nomination Day, le mardi 22 octobre, et ont vu leur candidature refusée parce qu’ils n’ont pas rempli ce que le porte-parole de ReA, Ashok Subron, qualifie de «section de la honte»… Là où il faut décliner son appartenance ethnique.

 

Suite à ce refus, le combat s’est dirigé encore une fois vers la Cour suprême (voir hors-texte). Une bataille longue et ardue qui a connu, ces dernières années, revers et victoires. Une lutte pour le mauricianisme qui parle à Swany Fakir, membre de ReA, candidate déboutée et agricultrice travaillant dans le respect de la nature. Elle a fait un choix important le mardi 22 octobre. Ne pas opter pour une des cases suivantes  : hindu, general population, muslim et chinese population. Une décision éclairée et éclairante  : «Je me sens mauricienne. Si je trouve ma place au Parlement, je ne me sens pas d’aller y travailler pour une communauté. Ma nationalité est mauricienne. Je ne comprends pas comment je ne peux pas me déclarer en tant que telle pour les élections.»

 

Il est temps que cela change  : «Li extra inportan.» Catherine Remillah, également membre de ReA, le sait. C’est pour cela qu’elle s’est présentée en tant que candidate, sachant bien que sa démarche allait être rejetée  : «C’est une grave atteinte à la démocratie. Alors, ce combat est très important pour l’avancement de la société mauricienne. C’est un pas en avant qui mènera à la gestion d’autres problèmes inhérents à notre île.» La jeune femme n’imagine pas une seconde devoir dire son… ethnie  : «Je ne peux pas, je n’en ai pas envie. Je suis mauricienne. C’est tout. Et je n’ai pas envie de me définir de façon communale.» Dylan Allagapen a le même discours.

 

Membre du parti de gauche, il a également fait acte de candidature. Pour faire passer un message  : «Sans radicalité et sans conviction, il n’y a pas de changement. Et sans changement, ce sont nos enfants qui subiront ce système de division.» Alors, cette décision politique, il l’a prise en accord avec lui-même  : «Choisir une catégorie m’exclurait du reste. Je porte en moi chaque culture qui est présente à Maurice, comme chaque Mauricien. Je ne veux pas me catégoriser parce que je ne peux pas laisser un système archaïque m’attribuer une étiquette ! C’est impossible pour moi de céder à un système qui impose une division communale à chaque fois qu’il y a une élection générale.»

 

Jeff Lingaya, citoyen sans parti, engagé depuis toujours, a dit son choc. Son dépôt de candidature rejeté, car il a refusé de dire son ethnie et de payer la caution demandée pour chaque candidature, c’était une façon de protester contre un système archaïque qui ne peut le représenter : «À chaque fois, je suis choqué quand je dois me rappeler que le communalisme existe actuellement à Maurice. C’est encore plus choquant quand j’ai besoin d’accepter le fait que c’est un communalisme institutionnalisé via ‘‘nos élections démocratiques’’ qui sont supposées être free and fair. Pire, ceux qui sont contre ces classifications, au lieu d’être récompensés pour être des active pioneers of nation building, sont ostracisés du fait d’être des candidats.» C’est cette indignation qui l’avait poussé à faire de même en 2010 au sein du Blok 104…

 

Tout comme Shimanda Mungur qui s’est enregistrée sans classification le mardi 22 octobre. Comme elle l’avait fait il y a neuf ans. Un refus de se catégoriser pour une «simple et bonne raison»  : «Je ne l’ai jamais fait depuis mon enfance. Ça n’a jamais existé dans mon cadre familial, dans ma façon de vivre. Ma way of life est tellement riche en tant que Mauricienne, on ne va pas pouvoir me résumer à une chose.» Elle raconte en quelques mots son enfance dans une école maternelle où elle a appris le mandarin. Ces réunions familiales aux traditions multiples, dans le respect. À cette richesse d’être, tout simplement. En 2010, elle pensait s’être mobilisée pour le changement  : «Nou pe rekile.» La regulation rendant le mini-amendement de 2014 caduque «ostracise une partie de la société mauricienne qui ne vit pas dans le cloisonnement». Et ne pas se classifier était nécessaire pour elle, pour son pays et pour ceux qui «se sentent forcés de se classifier afin de participer à cette élection»  : «Pour moi, c’est un devoir.»

 

Car elle a dans les veines, le sang d’une île. Qui a connu les mélanges et les rencontres…

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