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Dérapage du PM au Parlement : un écart qui choque et qui interpelle

22 mai 2023

Pour Carina Gounden, Reuben Pillay et Adi Teelock, la vie démocratique est en danger.

Pravind Jugnauth pensait-il marquer des points en discréditant l’ancien Premier ministre à travers tout un exposé sur les pilules saisies dans le coffre-fort de celui-ci en 2015 ? Probablement. Surtout que le Premier ministre, en répondant à la question de Kavi Doolub, que beaucoup qualifient de scénario savamment orchestré, semblait afficher une fière satisfaction, prenant le soin de ne laisser passer aucun détail sur ces médicaments dont certains sont utilisés pour améliorer la performance sexuelle et d’autres pour faciliter le sommeil.

 

Quelle urgence, quel intérêt y avait-il à sortir de telles informations dont, visiblement, personne ne se soucie hormis les membres de la majorité ? C’est la question que se posent de nombreux Mauriciens depuis que Pravind Jugnauth s’est attaqué une fois de plus à Navin Ramgoolam durant la séance parlementaire du mardi 16 mai en étalant des informations liées à la santé et à la vie privée de celui-ci. Ce qui choque aussi, ce sont les allusions sexuelles que le PM a fait lors de son exposé sur ces produits en plein Parlement. «Comme si, après une hyperactivité sexuelle rendue possible par des produits dopants, la bête a besoin d’un profond sommeil pour récupérer. Même un Casanova ne pourrait imaginer un tel cocktail», a-t-il déclaré, faisant la joie des membres de son équipe qui n’arrêtaient pas de ricaner devant un tel spectacle.

 

Depuis ce que beaucoup considèrent comme un dérapage de la part du Premier ministre, les commentaires, que ce soit des membres de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, des citoyens engagés, des observateurs politiques ou des Mauriciens en général, se multiplient. Si certains estiment que ce qui s’est produit démontre «la bassesse» et «la lâcheté» de quelqu’un dont le comportement ne fait pas honneur au poste de Premier ministre, d’autres pensent que cette attitude représente bien l’état d’esprit et le style de gouvernance du MSM, qui a tendance à attaquer et persécuter ses opposants, qu’ils soient de l’opposition, de la presse ou de tout autre mouvement de protestation. On se souvient notamment de la férocité avec laquelle Pravind Jugnauth s’était attaqué, la semaine précédente, à la presse qui l’interrogeait sur les allégations de pots-de-vin contre Maneesh Gobin ou encore de ses piques lancées contre le Directeur des poursuites publiques et la Senior Magistrate de Moka dans l’affaire Bruneau Laurette.

 

Cependant, avec ce nouvel épisode, le PM semble franchir un autre palier dans la catégorie des attaques contre ses adversaires politiques. Son attitude interpelle particulièrement les citoyens engagés de ce pays qui, en plus de leur exaspération, se disent très inquiets pour notre démocratie. Pour Adi Teelock, il est clair que les Mauriciens ne s’attendent pas à ce genre de comportement à l’Assemblée nationale, encore moins de la part d’un chef d’État. «Je suis triste, triste pour mon pays et son peuple que nous soyons ainsi tirés vers les bas-fonds. L’Assemblée nationale est un forum officiel où des adultes ont été élu(e)s pour débattre de lois, de questions d’intérêt national, et non un vulgaire forum qui s’apparente à un obscure coin de rue où certains en mal de sensation ricanent de sujets d’ordre sexuel. L’on est en droit d’attendre des députés qu’ils/elles posent des questions qui ont un impact sur la vie des citoyens, et que les ministres offrent des réponses qui ne sont pas de vulgaires coups sous la ceinture.»

 

Mauvaise image

 

Ce qui s’est passé, poursuit-elle, envoie un mauvais signal sur le fonctionnement de notre démocratie. «À octobre 2022, le Premier ministre n’avait pas répondu à une centaine de questions qui lui avaient été adressées. Il semble qu’il fait un tri très sélectif des questions auxquelles il doit répondre. Il semble aussi qu’il confonde son rôle de Premier ministre avec celui d’un chef de parti. Qui plus est, le Speaker semble avoir limité le nombre de questions supplémentaires que les députés sont en droit de poser. En tant que citoyenne engagée, je suis outrée par cette perversion de la vie démocratique alors que nous sommes confrontés à tant de défis et enjeux graves.»

 

Aux yeux de l’activiste Reuben Pillay, une chose est claire : le comportement de Pravind Jugnauth ne fait pas honneur à la fonction qu’il assume. «Le mot honteux n’est pas assez fort pour qualifier cette attitude. Méprisable, voilà le terme ! Ce n’est pas possible d’agir comme ça en tant que Premier ministre. Il vient démontrer une fois de plus qu’il ne se préoccupe pas des vraies questions de la population, de ce dont elle a besoin, des vrais problèmes de la société mauricienne.»

 

Au lieu de cela, sa préoccupation principale, poursuit notre interlocuteur, c’est de faire taire et de discréditer ses opposants en utilisant des méthodes qui laissent à désirer. «En fait, il ne se rend pas compte qu’en agissant ainsi il montre quel type de personne il est en termes de petitesse d’esprit. Il fallait voir son sourire quand il a parlé de ça au Parlement. Il jubilait. Donc, nous avons là un Premier ministre qui ne se soucie absolument pas de la transparence dans la gestion du pays, de rester correct sans opprimer le peuple. Sa préoccupation principale, c’est de descendre ses adversaires, qu’ils soient politiques, de la presse, des activistes… Tous les moyens sont bons, même les moyens les plus exécrables.» Pravind Jugnauth a-t-il marqué des points aux yeux de la population en agissant de la sorte ? «Il donne une mauvaise image de lui-même et par conséquent, de notre pays. Il fait honte à la nation mauricienne.»

 

Carina Gounden donne également une très mauvaise note à Pravind Jugnauth. Elle est d’avis qu’il est grand temps que le Premier ministre et les parlementaires prennent conscience de leurs responsabilités. Selon la citoyenne engagée, le pays n’a pas besoin de ça. «Nous sommes dans un pays ravagé par la drogue, où tout coûte atrocement cher. Morisien-la pe diminie mem sak mwa seki li met dan kadi. C’est un pays que le Mauricien ne reconnaît plus, où on massacre l’environnement, où deux piliers se désagrègent – l'école et le système de santé publics –, où vos parents s’endettent pour vous payer des études et où on n’en aura rien à faire de vos compétences, où c’est à pleurer d'entendre le sort des enfants abandonnés, et par les parents et par l’État. Dans tout ce grand désarroi, pensez-vous que nous ayons besoin de clowns dans notre Parlement ?»

 

Considéré comme le temple de la démocratie, le Parlement s’apparente aujourd’hui bien plus à une foire où chacun tire à tout-va sur son adversaire, estime la jeune femme. «Quand ils ne jouent pas aux clowns, ils menacent à droite à gauche pour ne pas avoir à répondre de leurs actions, aux allégations graves. Vous rendez-vous compte du niveau des propos retranscrits noir sur blanc dans le Hansard ? Chaque séance parlementaire est un moment d’histoire qui s'écrit, c’est un lieu qui commande le respect, le respect envers le peuple d’aujourd’hui et celui qui vous lira après. Il est loin le temps des grands débats de qualité, aujourd’hui, ce sont les histoires de chambre à coucher.»

 

Selon Carina Gounden, il y a trop d’urgences dans le pays pour s’attarder sur ce genre de petits jeux. «C’est insultant de voir ceux qui sont censés défendre les intérêts de la nation se perdre de la sorte dans cette soif de dénigrement de l’adversaire. Serait-ce trop leur demander que de mener campagne contre leurs adversaires s’ils le veulent, mais de le faire sur la base d’un programme, d’une vision pour le pays ?» Pour la citoyenne engagée, il est plus que temps que les parlementaires se ressaisissent au nom de l’intérêt national.

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