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13 juillet 2020 14:43
Elle est telle une proie traquée. Son regard terrifié et sur le qui-vive, sa voix cassée par l’émotion et son physique de jeune fille qui sort à peine de l’adolescence, confèrent à Clara un aspect fragile, vulnérable. Cette jeune Salesgirl de 24 ans vit dans la peur. Une peur telle qu’on a l’impression qu’elle ne vit pas vraiment, qu’elle survit seulement, dans une extrême douleur. Surtout depuis qu’elle a appris que son époux, arrêté pour son agression, a retrouvé la liberté. Malgré tout, Clara veut témoigner, veut parler de ce qu’elle a vécu en juin, et durant presque toute leur relation, entre les mains de son bourreau de mari. Le 8 juin, lors d’une énième dispute conjugale, Trevor, 20 ans, l’a ligotée et emmenée dans les toilettes, où il a aspergé d’eau bouillante ses parties intimes, et lui a fait subir d’autres sévices tout aussi douloureux. Il a aussi filmé toute la scène sur son portable. Des images qui ont atterri sur les réseaux sociaux cette semaine. Faisant découvrir aux internautes choqués un acte qui relève de la barbarie.
Clara se prépare à aller porter plainte à la Cyber Crime Unit cette semaine pour faire stopper la diffusion de cette horrible vidéo où elle se fait torturer par son époux et qui constitue l’ultime humiliation pour elle. Si elle veut bien raconter son histoire pour dénoncer son calvaire et son bourreau, et peut-être encourager d’autres femmes à sortir de telles situations, elle ne veut pas voir les pires moments de sa vie conjugales et de sa vie tout court, et son intimité torturée, exposés aux yeux de tous à travers une vidéo. Oui, celle qui s’est enfuie de sa maison trois jours après son agression, profitant d’un moment d’inattention de son époux, laissant son bébé sur place – qu’elle retrouvera après quelques jours –, racontera tout à visage caché. «J’ai dû m’enfuir seule. Je savais que j’allais passer un sale quart d’heure encore cette nuit-là car il était déjà dans un état second. Mon époux consomme régulièrement de la drogue de synthèse», explique Clara.
Mais avant de raconter les tristes événements de juin, elle tient à revenir en arrière. À raconter comment tout a commencé entre elle et lui. À retourner aux origines de l’horreur. Quand elle rencontre Trévor il y a environ trois ans, c’est le bonheur total. C’est dans une maison de jeux, dit-elle, qu’elle a fait sa connaissance. «Nous travaillions tous les deux dans une maison de jeux. Moi, comme croupière et lui, comme agent de sécurité. Ça a été le coup de foudre. Je suis petite de taille, lui est assez grand. Je me sentais en sécurité dans ses bras», se souvient la jeune femme. Peu de temps après, le couple décide de se marier. «Avant le mariage, il est venu habiter chez moi à Roche-Bois, et à partir de là, les disputes n’ont pas arrêté, à chaque fois sur le même sujet. Mon ex-petit ami est resté très proche de ma sœur et de mes frères, et venait souvent les voir chez nous, à la maison. Et à chaque fois, Trévor me reprochait d’avoir toujours des sentiments pour lui. Les premiers coups ont commencé le jour de notre mariage. C’était en décembre 2018. Il m’avait mordu au cou lors de notre nuit de noces. Je recevais des coups à chaque fois que ma sœur ou mes frères rencontraient mon ex. Trevor souffre d’une jalousie excessive», souligne Clara.
À l’époque, sa soeur Jessica remarque très vite que quelque chose ne tourne pas rond dans leur vie de couple. «Mo ti ser ti gagn drwa sorti zis pou al travay. Alor ki mo bofrer, ki pa ti travay, zame ti la dan la zourne, li ti rantre zis kan mo ser la. Li ti pe mem anpes mo ser gagn dialog ek nou kan so ex vinn get nou. Mo ser inn bien soufer an silans ek sa boug-la. Zame li pann dir nou ki li ti pe gagn bate aswar dan so lasam. Mo ser inn gagn boukou bate ek li. Linn bien fer dominer ek li parski li kone so karakter feb. Mo ser pa enn dimounn ki pou reponn, diskite. Linn touzour res trankil dan so kwin», se désole Jessica.
Lorsque Clara et Trévor décident d’emménager à Cité Florida, à Baie-du-Tombeau, quelques mois plus tard, dans une maison appartenant au père du jeune homme, Jessica et les siens pensent qu’ils le font pour avoir plus d’intimité, surtout avec la venue prochaine de leur bébé. Mais Clara, elle, souffre le martyre en silence. «Trévor, qui est maçon, avait arrêté de travailler. Je venais de prendre de l’emploi comme Salesgirl. J’étais la seule à faire bouillir la marmite. Il me réclamait de l’argent tous les jours pour aller se droguer. Je n’étais autorisée à sortir que pour aller travailler. Il était constamment sur mon dos lorsque j’étais à la maison. Il m’insultait. Il me torturait moralement. Je ne compte plus les gifles que j’ai reçues.»
Un soir, Jeffrey s’est rendu au domicile de sa petite sœur après avoir appris qu’elle venait de se faire tabasser par son époux. Il n’a toutefois pu intervenir car ce dernier a sorti un couteau pour le menacer. La jeune femme a, quant à elle, refusé de suivre son frère car elle craignait que son tortionnaire ne la torture davantage. Quelque temps plus tard, Trevor, connu pour son caractère violent, a été arrêté et placé en détention pour un cas d’agression à Grand-Baie d’où il est originaire. Trois semaines plus tard, il a retrouvé la liberté sous caution. «Sa grand-mère a payé une caution de Rs 5 000. Il a insisté pour que je la rembourse», s’indigne Clara. Après cela, sa vie est devenue encore plus infernale.
À chaque fois, Trevor lui reproche d’entretenir une relation extraconjugale avec son ex-petit ami, surtout durant son séjour en prison. «Sak fwa li dimann mwa ki monn fer kan li pa ti la. Sak fwa li dir mwa dimounn pe koz mo koze dan site. Sak fwa mo dir li mem repons, ki mo pann sorti mem akoz mo ti fek gagn ti baba pandan konfinnman. Malgre sa, sak fwa li bat mo mem. Mo dir li wi ou non, mo gagn bate mem kan li dan sa nisa sintetik-la. Li pale travay ditou. Mo bizin kasiet kas pou aste dile, kous ek lezot zafer pou mo ti baba. Li dimann mwa kas toulezour pou al fime», souligne Clara.
Le 8 juin, les choses ont pris une tournure encore plus dramatique que d’habitude. Ce soir-là, le jeune homme est rentré à la maison dans un état second, visiblement sous l’effet de la drogue synthétique. «Je savais que j’allais passer une autre nuit de calvaire. Je venais de mettre notre bébé au lit lorsqu’il a commencé à me bombarder de questions, toujours concernant ses soupçons d’infidélité. À chaque fois, je lui disais que je n’avais rien fait durant son séjour derrière les barreaux. Il a, par la suite, commencé à me gifler avant de me demander de me déshabiller. Je savais qu’il n’allait pas s’arrêter là car il m’avait demandé de mettre mes mains derrière mon dos. J’étais en larmes. Il insistait. J’ai dû lui obéir pour éviter de prendre d’autres coups», raconte Clara.
Son époux l’a alors ligotée et traînée jusqu’aux toilettes. «Là, il a lancé de l’eau bouillante à plusieurs reprises sur mes parties intimes. Il disait qu’il voulait me punir. Il me reprochait sans cesse de l’avoir trompé avec mon ex. À un moment, tellement je souffrais, j’ai dû lui dire oui mais cela ne l’a pas arrêté. J’ai subi d’autres sévices. Je pleurais. Je hurlais. Il me torturait encore et encore. Je lui disais que mes cris allaient réveiller notre bébé mais il n’en avait rien à faire. Pendant tout ce temps, il filmait la scène. Puis, il m’a demandé de me rhabiller et de me mettre au lit. J’ai eu des douleurs toute la nuit. J’ai souffert en silence pendant qu’il dormait à côté.»
Trois jours plus tard, elle décide de prendre la fuite pour éviter une nouvelle soirée cauchemardesque. «Je venais de mettre notre fille au lit. Il est rentré à la maison dans un état second. Là, profitant d’un moment où il était dans la cuisine, je me suis enfuie avec la carte mémoire de son téléphone qui contenait la vidéo où il m’ébouillante. J’étais en larmes car je n’avais pu prendre notre bébé. Une voisine est alors venue à mon secours dans la rue. Elle m’a conduite chez elle, avant de téléphoner à la police. Des policiers sont venus et m’ont emmenée à l’hôpital. Une ambulance m’a, par la suite, déposée chez ma sœur. Ce soir-là, un policier s’est rendu chez nous pour récupérer notre bébé. Mais il a refusé de le lui remettre.»
La belle-mère de Trevor est finalement venue déposer leur bébé chez la sœur de Clara, à Roche-Bois, deux jours plus tard. La veille, la jeune femme était allée consigner une déposition à la police dans laquelle elle raconte qu’elle est une femme battue, sans toutefois mentionner la vidéo où elle est ébouillantée et torturée par son époux. Ledit clip n’avait pas encore commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Clara a, par la suite, obtenu un Interim Protection Order. Trevor a, lui, été arrêté le 3 juillet dans un appartement à Péreybère. Dans sa déposition, il explique qu’il s’agissait d’une plaisanterie qui a mal tourné et que l’eau qu’il a utilisée était celle du bain de leur bébé qui était déjà tiède au moment où il l’a versée sur Clara. Ce que réfute fermement la jeune femme qui affirme que l’eau était bel et bien bouillante.
Arrêté et poursuivi sous le Domestic Violence Act, Trévor a d’abord payé une caution de Rs 4 000 pour retrouver la liberté conditionnelle, puis a été condamné à payer une amende de Rs 35 000, le 6 juillet, suivant l’agression de sa femme. Outrée, Clara ne compte pas baisser les bras. Elle compte se rendre au Central Criminal Investigation Department cette semaine pour porter plainte pour tentative d’assassinat. Elle dit également craindre pour sa sécurité depuis qu’elle a appris que son époux est à nouveau en liberté. Elle va également demander à la Cyber Crime Unit de faire stopper la diffusion de ce clip qui suscite une vague d’indignation sur les réseaux sociaux. Clara ne veut qu’une chose maintenant, pouvoir panser tranquillement ses blessures, tout en s’occupant de son bébé et retrouver une vie sereine.
Le 8 juillet, Trevor a consigné une déposition à la police pour dire qu’il est harcelé par des proches de son épouse. Il allègue qu’il a reçu un appel la veille sur son portable et que Jessica, la sœur de son épouse, l’aurait insulté. Un peu plus tôt, une autre proche l’aurait également insulté. Dans sa déposition toujours, Trevor souligne qu’il ne comprend pas leur réaction car il a déjà payé une amende de Rs 35 000. Il était poursuivi sous le Domestic Violence Act devant le tribunal de Pamplemousses. Il avait, au préalable, été libéré après avoir fourni une caution de Rs 4 000. Des habitants de Cité Florida ont vivement exprimé leur colère après sa libération. Ces derniers ne digèrent pas le fait qu’il a été condamné à payer seulement une amende après avoir ligoté, torturé et ébouillanté son épouse. Des policiers ont dû intervenir pour l’évacuer lorsqu’il s’est rendu chez lui. C’est par le biais des réseaux sociaux qu’il se défend. «La police fini trappe moi pass moi la cour etan trouve mo innocent la cour fer largue moi b ki zot pas p dacor la dan dir moi 1 coup», dit-il sur la Story de sa page Facebook. Sollicité, Trevor est toutefois resté injoignable au téléphone.
Respecter Nous. C’est le nom d’un collectif qui a vu le jour pour soutenir Clara et les autres femmes victimes de violences conjugales. Jenssy Sabapathee, qui travaille dans le domaine légal, a eu l’idée de mettre sur pied ce collectif pour soutenir cette jeune maman. Elle a déjà sollicité l’aide de plusieurs avocats. L’un d’eux, à savoir Me Neelkant Dulloo, s’est d’ailleurs porté volontaire pour accompagner la jeune femme aux Casernes centrales dans les jours à venir. Il va également l’aider dans ses autres démarches légales. «Clara n’est plus seule. Il y a une équipe derrière elle maintenant. D’autres victimes de violences conjugales peuvent également nous contacter sur notre page Facebook qui porte le même nom que notre collectif : Respecter Nous», explique Jenssy Sabapathee qui a, elle-même, été victime de violences conjugales dans le passé.
Cette affaire ne laisse pas insensible Kalpana Koonjoo-Shah. «Le Protection From Domestic Violence Act sera amendé afin de rendre la réhabilitation des agresseurs obligatoire. Dans le cas présent, cette dame reçoit notre soutien. Elle a déjà bénéficié d’un Interim Protection Order. Elle bénéficie également d’un soutien psychologique de mon ministère», explique la ministre de l’Égalité des genres.
La Platform Stop Violans Kont Fam condamne le fait que des internautes partagent la vidéo de l’agression «barbare et inacceptable» qu’a subie Clara. «Repartager et diffuser cette vidéo est une nouvelle agression que chaque personne commet sur cette victime. Nous n’avons absolument pas le droit de partager ces images. C’est une autre forme de souffrance pour cette victime qui a besoin de respect. La plateforme espère que les autorités ont visionné ces images et que l’agresseur recevra une punition exemplaire», souligne Marie-Noëlle Elissac-Foy, membre de la plateforme.
Un mauvais signal. Voilà comment Catherine Prosper de Linion Fam décrit la décision de la cour de condamner Trevor à payer seulement une amende. «Cet acte de torture est tout sauf une plaisanterie, comme veut nous faire croire le principal concerné. Il ne faut pas qu’il y ait un mort à chaque fois pour que la justice donne une sanction pénale. La vie d’une personne n’est pas une banalité. C’est une faille dans le système du judiciaire. Les agresseurs en profitent à chaque fois. Faut-il d’autres cas de féminicide pour un changement d’attitude ?»
Oui. C’est bien un acte de torture qu’a subi Clara, affirme Jasmine Toulouse, membre du MMM et ex-victime de violences conjugales. «C’est bien un acte de torture. Il a eu le culot de filmer ce qu’il a commis. C’est pour humilier son épouse. Ce qu’il a fait est inadmissible. C’est une forme de violence domestique. Il est dommage que la loi n’ait pas encore été renforcée. Les personnes violentes ne peuvent pas s’en sortir à chaque fois avec une caution ou une amende. Cette faille encourage d’autres à en faire de même. Les victimes, elles, se sentent alors en danger.»
Ils se sont unis pour le meilleur et pour le pire mais pas pour la torture. Voilà comment Malini Sewocksingh du PMSD analyse le cauchemar vécu par Clara. «Il faut renforcer la loi pour éviter aux femmes de souffrir en silence. Je suis animée par un sentiment de colère car nous reculons au lieu d’avancer s’agissant de la violence domestique dans une société civilisée et éduquée. Clara est l’exemple même d’une femme qui souffre en silence. La femme n’est pas une proie. Le mari ne doit pas être un bourreau. La femme ne doit pas subir des atrocités et des violences physiques et verbales.»
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