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Financial Crimes Commission Bill : un nouveau cadre légal qui inquiète

17 décembre 2023

La classe politique de l’opposition – parlementaire et extraparlementaire – émet de sérieux doutes concernant le FCC Bill. Des légistes également, à l’instar de Me Richard Rault.

Ça gronde, ça tonne. Des éclairs de réprobation fusent de toutes parts. Les détracteurs du Financial Crimes Commission Bill, qui fait l’objet de débats au Parlement, évoquent des nuages noirs qui s’amoncellent sur nos institutions ; le déluge sera terrible avancent-ils. Pourtant, le cyclone, lui, poursuit son chemin et se nourrit des vents chauds, et positifs, du gouvernement. Non, vous ne vous êtes pas trompé.e de texte, ce n’est pas un point météo. Mais qui fera la pluie et le beau temps concernant ce nouveau projet de loi ? Les prochains jours devraient être décisifs ; les débats parlementaires se poursuivront le mardi 19 décembre et un vote se profile à l’horizon. Mais qu’est-ce qui provoque autant de vents contraires à l’encontre du FCC Bill et de la commission qui en découlera. Éléments de réponse ici.



Pour combattre les crimes financiers. Lors du lancement des débats, le mardi 12 décembre, Pravind Jugnauth a expliqué la nécessité de la création de cette commission. Pour le Premier ministre, il s’agit de marcher avec son temps : «La criminalité financière reste un phénomène complexe et en constante évolution, et les méthodes traditionnelles d’enquête ne sont plus adaptées.» Il a rappelé que la FCC aura la possibilité de mener des enquêtes et d’engager des poursuites pénales de façon indépendante mais que cela n’empiète pas sur les pouvoirs constitutionnels du bureau du DPP.

 

• Une impressionnante restructuration. Plusieurs lois seront remplacées par le Financial Crimes Commission Bill s’il devient loi ; le Prevention of Corruption Act (POCA), l’Asset Recovery Act, le Good Governance and Integrity Reporting Act et le Part II of the Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act. Et la commission qui sera créée suite à ce nouveau cadre légal remplacera l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), l’Asset Recovery Investigation Division (ARID) et la Financial Intelligence Unit (FIU). Elle recevra également toutes les déclarations sous le Declaration of Assets Act.

 

Une question de pouvoir.  Pour Xavier-Luc Duval, mais aussi tous les membres de l’opposition, aucune nuance n’est possible. La création de la commission est une attaque contre le bureau du DPP. C’est l’argument majoritaire de l’opposition. Reza Uteem, député du MMM, en fait état lui aussi : «Le FCC Bill permet à la commission de mettre fin à une enquête sans concertation avec le bureau du DPP.» Les légistes du pays s’interrogent également. Surtout que les relations entre le DPP et le commissaire de police, et par extension les autorités, ont connu des épisodes houleux cette année.

 

Pour Me Richard Rault, il n’y a aucun doute possible, même si au gouvernement on essaie de cultiver un temps brumeux sur la question. Il évoque le discours parlementaire d’Ivan Collendaveloo : «Je me demande comment l’auteur du POCA peut passer sur l’apparente disparition de l’article 82.1 du POCA, qui évoque l’obligation de l’ICAC de soumettre un dossier au DPP pour obtenir son approbation. Pour Me Collendaveloo, ça ne change rien… Il nous pousse à prendre des vessies pour des lanternes. Je ne sais pas comment la politique impose à ceux qui sont impliqués dans son fonctionnement de transformer ce qui est noir sur blanc et de nous prendre pour plus idiots que nous le sommes.»

 

La police, par contre, rappelle l’avocat, a d’autres obligations : «Le DPP peut demander un dossier en cours d’investigation, un supplément d’enquête. Il peut interrompre l’investigation et rayer une affaire.» L’avocat rappelle que déjà sous le POCA, l’ICAC n’avait aucune obligation de soumettre un dossier en cours d’investigation au DPP : «Ce qui a toujours provoqué des doutes. C’était une certaine tradition, ce n’est qu’en fin de parcours que le DPP recevait le dossier. Ce qui explique que certains dossiers dorment dans les tiroirs ; les affaires Angus Road, Pack and Blisters ou encore Kistnen, pour ne citer que celles-là.» Avec la FCC, la situation sera pire, estime l’avocat.

 

Du côté du gouvernement, on rassure ; le DPP ne voit pas ses pouvoirs menacés… Néanmoins, la question de l’accès au dossier reste un problème majeur selon les détracteurs de la loi et de la commission qui en découle, surtout qu’il semblerait qu’aucun cadre légal n’existerait pour pousser la FCC, même sous ordre de la cour, de soumettre un dossier au DPP.

 

Le.la directeur.trice général.e : un.e surhomme.femme. La question de la personne qui dirigera la commission est également au cœur des inquiétudes. Me Rault estime que dans l’absolu «un tel organisme ne peut être victime d’un contrôle politique par ceux qui nous gouvernent» : «Ce poste sera entre les mains des politiciens, ils y mettront leur sale patte. Il est impensable qu’un nominé politique puisse être à cette place ; elle est nommée par les politiques, elle est révocable par les politiques. Adieu à l’indépendance d’une institution ! On le voit bien avec l’ICAC.» Selon le projet de loi, souligne Me Rault, le.la directeur.trice général.e devra répondre à la commission parlementaire, composée en majorité d’élus du gouvernement. Pour licencier ou suspendre cette personne, les critères sont vagues et quasi-inexistants : «On parle de misconduct, ça peut vouloir dire tout et n’importe quoi ! Alors, si la personne s’occupe trop d’une enquête, on peut la suspendre ? C’est inquiétant. Ce n’est pas le cas du DPP ou des juges ; s’il y a un quelconque souci, des sanctions sont déjà établies. Ces personnalités ne sont pas à la merci des politiques.»

 

Olivier Barbe, avocat également et secrétaire général de la Middle Temple Association, estime que «le futur directeur général ne peut être un nominé politique». Xavier-Luc Duval s’est aussi fortement exprimé contre, même si, selon la loi, le leader de l’opposition doit être consulté avant nomination : «Il s’agit d’une farce !»

 

Au cœur des craintes, ce sont les pouvoirs – encore une fois ! – que détiendra cette personne. D’abord, il y a la nature des cas qui seront traités sous sa direction ; blanchiment d’argent, richesse inexpliquée, accumulation de biens liés au trafic de drogue, reprise des assets, entre autres. Mais aussi des actions qu’elle pourra décider sans vraiment de contrôle : des écoutes et des surveillances sans ordre de la cour (entre autres techniques de surveillance), des investigations indépendantes sans réel monitoring : «Au vu de ces attributions, ce sont des pouvoirs multipliés à quasiment l’infini. C’est une institution avec des pouvoirs qu’on n’a jamais vus depuis que le Parlement existe et nous confions cela à un nominé politique ?» alerte Me Rault.

 

• «Un poids financier énorme». Il s’insurge également contre ce qu’il qualifie de «parachute doré payé par les contribuables» aux employés des institutions concernées par la refonte et qui ne retrouveront pas d’emploi sous la nouvelle commission : «Si les postes ne sont pas conservés et qu’il s’agit de fonctionnaires, par exemple, ils obtiendront une compensation du temps de service restant jusqu’à la retraite. Et pour les contractuels, c’est jusqu’à la fin du contrat. C’est un magnifique cadeau de la part de ceux qui ont rédigé ce texte de loi. Imaginez le poids financier énorme. Sous l’empire de ce texte de loi, le Parlement est en train de nous obliger à employer tout ce monde sous peine d’avoir à les compenser. On a jamais vu une telle motivation à préserver des emplois. Ces personnes sont aveuglées par les besoins de partisanerie politique et prêtes à passer sous silence des conséquences graves.»

 

Une «nécessité» qui passe mal. Même les détracteurs de la FCC estiment qu’un cadre légal renouvelé et une agence indépendante capable de regrouper le travail de plusieurs institutions qui œuvrent actuellement de manière parallèle autour des crimes financiers, c’est une bonne idée. Sur papier et avec de bonnes conditions, bien sûr. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, avance Me Richard Rault : «La création de la FCC relève d’un besoin de contrôle propre à notre cher gouvernement, il s’agit d’un besoin obsessionnel !» Si les choses s’étaient passées de manière indépendante, il n’aurait rien eu à redire. Il était possible de rendre au DPP le contrôle du Asset Recovery qui lui a été enlevé en 2016 (pour se retrouver sous la Financial Intelligence Unit) et lui permettre de gérer la question des avoirs acquis indûment suite au trafic de drogue, poursuit-il. Malheureusement, cela n’a pas été le cas : «Au contraire, le gouvernement a décidé de créer une institution au pouvoir faramineux. Le texte de lecture est allé trop vite alors que beaucoup de collègues soulèvent des questions sur ce qui est constitutionnel et ce qui ne l’est pas, comme les écoutes téléphoniques et cette absence d’obligation de soumettre les dossiers au DPP. Une telle rapidité des débats alors que cette loi va changer tellement de choses dans notre système… On sent une volonté d’établir un contrôle strict sur une law enforcement agency.»

 


 

Le bureau du DPP : «Sérieuses préoccupations et réserves»

 

En fin de communiqué, quelques lignes pour dire son stand. Le bureau du DPP avait tenu à s’exprimer sur des déclarations au Parlement concernant une affaire contre le député du PTr Eshan Juman. Après les clarifications, l’Office of the DPP a apporté la précision suivante : «L’ODPP a déjà exprimé ses sérieuses préoccupations et réserves au gouvernement à l’égard du projet de loi. À ce stade, l’ODPP ne fera aucun commentaire afin de ne pas interférer avec le débat démocratique en cours. L’ODPP envisagera de publier un autre communiqué à un moment plus approprié (si nécessaire).»

 

PS : rencontre Bar Council-Maneesh Gobin. Sollicité par le Bar Council car ses membres ont des inquiétudes concernant la FCC et souhaitaient en faire part au ministre, cet échange a eu lieu le vendredi 15 décembre. Et les membres du Mauritius Bar Council ont pu s’exprimer sur le projet de loi et faire part de certaines suggestions.

 

L’opposition manifeste

 

C’était avant la séance parlementaire de ce vendredi 15 décembre. L’opposition parlementaire a décidé de dire sa désapprobation (encore !) contre l’attitude du Speaker, Sooroojdev Phokeer. Mais aussi contre le FCC Bill. Pancartes à la main et slogans harangués, les députés ont dit non à la dictature. L’opposition extra-parlementaire a également décidé de s’exprimer contre le projet de loi, ce jour-là.

 

• Navin Ramgoolam s’est aussi exprimé contre le FCC Bill. Pour lui, ce projet du gouvernement est «extrêmement dangereux» et est anticonstitutionnel. Il était au jardin botanique de Pamplemousses pour une cérémonie commémorative marquant le 38e anniversaire de la mort de sir Seewosagur Ramgoolam ce vendredi 15 décembre.

 


 

À l’heure des débats…

 

Le vendredi 15 décembre, les débats autour du FCC Bill se sont poursuivis. Parmi ceux qui ont pris la parole : Joe Lesjongard, Paul Bérenger et Nando Bodha. Extraits.

 

Joe Lesjongard : «Un système plus solide et efficace»

 

«Ce que nous voulons, c’est un système plus solide et efficace contre les activités illicites et financières des trafiquants de drogue (…) Il s’agit d’un projet de loi novateur et avant-gardiste (…) Navin Ramgoolam doit cesser de croire que tout dans le pays tourne autour de lui et de ses coffres. La loi vise les criminels. Les citoyens qui respectent la loi n’ont aucun souci à se faire (…)», a dit le ministre au Parlement. Concernant la nomination de la personne en charge de la commission, il a tenu à faire ce rappel : «Toutes les nominations se font de cette façon. C’est le cas pour le directeur de la commission anticorruption depuis 2005. Ceux qui critiquent sont des démagogues. Car ils avaient eux-mêmes revu la loi pour que la nomination se fasse de cette manière. C’est Navin Ramgoolam qui avait proposé ces amendements et Paul Bérenger l’avait félicité.»

 

Paul Bérenger : «Une super cover-up machine»

 

«Le FCC Bill fait de la commission une super cover-up machine (…)», a lancé le leader du MMM. Il a, entre autres craintes, dénoncé les special investigative techniques prévues par le projet de loi : «Nous aurons droit à des chirurgiens de l’espionnage. Le bill donnera à la FCC des techniques afin de surveiller et d’espionner.» Il a proposé plusieurs avenues pour la nomination de personnes aux postes-clés ; elles devraient être nommées, selon lui, par la Judicial and Legal Services Commission. De plus, il a raillé le Premier ministre qui avait affirmé que le FCC Bill n’était pas une menace pour le bureau du DPP : «C’est faux et il le sait (…) Le DPP conserve ses pouvoirs en vertu de la Constitution parce que le gouvernement est dépourvu d’une majorité de trois-quarts.»

 

Nando Bodha : «Atteinte aux principes fondamentaux de la démocratie»

 

«On peut causer d’énormes dégâts avec cette loi et l’utilisation de la charge provisoire. Ce texte portera atteinte aux principes fondamentaux de notre démocratie (…) Il faut absolument une volonté politique réelle et une personne intègre, compétente et en qui la population a confiance à la tête de l’institution, quelle qu’elle soit», a dit le leader du Rassemblement Mauricien. Il s’est interrogé sur la nomination du directeur.trice général.e et de la précipitation à faire passer le texte : «Pourquoi le présenter à la seconde semaine de décembre juste avant qu’on parte en vacances ?  (…) Comment une commission d’une telle envergure peut-elle avoir un directeur général nommé par le Premier ministre. Il aurait fallu un Constitutional Appointments Committee.»

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