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Le Privy Council rejette l’appel de Suren Dayal : un gouvernement requinqué, une opposition fragilisée

22 octobre 2023

D’un côté, on jubile et on affiche sans réserve la satisfaction. De l’autre, face à la déception, on botte un peu en touche. Alors que tout le pays avait les yeux rivés sur le Privy Council s'agissant de l’appel de Suren Dayal qui contestait le verdict de la Cour suprême sur sa pétition électorale, en date du 12 août 2022, le nouveau verdict est tombé. À savoir que Suren Dayal réfutait l’élection de Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden dans la circonscription n° 8 (Moka – Quartier-Militaire) lors des élections générales de 2019. Après une longue attente, le Privy Council a, le lundi 16 octobre, rejeté l’appel de Suren Dayal, qui a été «dismissed on all grounds», pour se prononcer en faveur de Pravind Jugnauth et de ses colistiers.

 

Au même moment, au Sun Trust, c’est devant une foule orange en liesse que le Premier ministre, plus en confiance que jamais, a prononcé ses premiers mots tout en profitant de l’opportunité pour tacler ses adversaires politiques. «Une élection, deux victoires. Privy Council finn sot fizib lalians bann konploter. Rod zot pa trouv zot, zonn finn al kasiet. C’est une victoire écrasante, malgré leurs diverses tentatives pour faire croire à la population que les élections étaient truquées. Je vais leur laisser dire que les élections sont derrière la porte. Nous avons un Budget à préparer l’année prochaine. Tout le monde sait qu’en s’approchant de la fin de notre mandat, les élections ne sont pas derrière mais devant la porte.»

 

Un discours dithyrambique qui atteste de la confiance et de l’assurance de Pravind Jugnauth après cette victoire. Depuis une semaine, les observateurs politiques débattent de l’influence qu’aura ce dénouement sur l’échiquier politique. Si une chose est évidente pour l’heure, c’est qu’avec ce jugement du Privy Council, Pravind Jugnauth et son gouvernement se sentent pousser des ailes. Libéré de ce poids qui pesait jusqu’ici sur ses épaules, Pravind Jugnauth semble avoir reçu un coup de boost, le faisant camper bien solidement dans son rôle de leader. Avec cette crédibilité et cette légitimité retrouvées, il ne compte pas laisser passer sa chance, bien décidé à jouer jusqu’à la fin du match.

 

Pour l'observateur politique Abdallah Goolamallee, les retombées sont pour l’heure positives pour le camp Jugnauth : «C’est un boost psychologique pour lui. Après Medpoint, cette nouvelle victoire au Privy Council vient consolider sa position en tant que leader politique, lui donnant ainsi plus de confiance et d’assurance non seulement comme PM, mais aussi au sein de son parti. Il adopte une position de force face à ses membres, ses alliés et surtout face à l’opposition. Il gagne plus en crédibilité face à son challengeur au poste de PM, Navin Ramgoolam. Ce jugement vient aussi lui donner plus de légitimité pour venir demander un nouveau mandat à la population.»

 

Des leçons à retenir

 

Ce jugement va-t-il pousser les indécis et ceux qui ne soutiennent pas Pravind Jugnauth à changer d'avis ? Est-ce que ceux-là attendaient le Privy Council  pour décider qui soutenir aux prochaines élections ? Voilà le genre de questions que l’on devrait se poser, affirme, pour sa part, Kris Valaydon : «Cela peut faire du bien à son moral et à celui de ceux qui soutiennent le parti, mais ce serait mal connaître le fonctionnement de l’opinion publique mauricienne et le processus de construction de la conscience collective. Changer ses réflexions sur un parti ou son leader, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, du jour au lendemain, sur la base d’une décision du Privy Council, est simpliste comme raisonnement. Surtout que cette décision ne change en rien la composition du gouvernement ni celle de l’opposition.»

 

De plus, souligne l’observateur Faizal Jeeroburkhan, rien n’est joué d’avance en politique. «L’opposition a certainement, malgré elle, fait un cadeau électoral à l’alliance au pouvoir pour les prochaines élections. C’était malheureusement le prix à payer pour contester les conditions douteuses dans lesquelles les dernières élections se sont déroulées. Le Premier ministre ne se privera pas pour exploiter à fond la situation et en tirer un capital politique décisif. Est-ce que cela suffira pour faire pencher la balance dans le camp du pouvoir actuel ? C’est peut-être un peu tôt pour se prononcer sur le verdict final des urnes aux prochaines élections, vu le nombre et la fréquence des scandales liés au népotisme, au favoritisme et autres qui remontent à la surface chaque semaine.»

 

De son côté, alors qu’elle avait fait des fraudes électorales son cheval de bataille pour discréditer le gouvernement, l’opposition y laisse des plumes et sa stratégie politique en prend un coup. Le revers, estime Abdallah Goolamalee, n’est en effet pas négligeable. «Il ne s’agit pas uniquement de Suren Dayal, mais de toute l’opposition, dont principalement le PTr et son leader, qui pendant quatre ans ont bâti un discours rhétorique autour du thème : eleksyon finn kokin. C’est un argument qui, après deux défaites, a permis à Ramgoolam de rester dans le fauteuil de leader du parti. Contesté, il a essayé de légitimer sa place de leader en martelant ce discours.» Avec cet argument qui tombe à l’eau, il n’écarte pas la possibilité que la position de leader soit contestée au sein du PTr. «Il ne faut pas oublier que Boolell avait déclaré, en 2020, que Ramgoolam devrait partir si toutes les pétitions finissaient par tomber. Cela va peut-être donner lieu à de nouvelles frictions au sein de l’alliance en ce qui concerne le leadership de Ramgoolam. En tout cas, l’opposition devra trouver un nouveau discours et une nouvelle stratégie pour discréditer le gouvernement avec les élections qui approchent.»

 

Une fois de plus, l’opinion de l'observateur Kris Valaydon diffère. «Ce serait absurde de prétendre que ceux qui soutiennent l'opposition, qui participent aux grandes manifestations de ces derniers temps, vont soudainement changer d’adhésion. Au contraire, je pense que ceux qui s'opposent au présent régime verront leur colère s'accentuer avec cette décision du Privy Council qui est vue comme une provocation à leur intelligence.» Pour lui, une chose est sûre : «L’opposition va faire usage d'un discours à la rigueur cynique, en brandissant les épisodes du T Square, des bulletins d'une circonscription qui se trouvent dans une autre ou de la prestation de la MBC TV durant la campagne électorale, avant de conclure qu'avec tout ça, les Anglais ont vu qu'il n'y avait pas de fraude. Leurs experts en communication vont trouver des astuces pour utiliser la décision du Privy Council en la ridiculisant et faire rire la foule...»

 

Pour Faizal Jeeroburkhan, si l’opposition se retrouve définitivement en position de faiblesse bien qu’elle ait rassemblé des foules importantes lors de ses derniers meetings, ce n’est pas gagné pour Pravind Jugnauth et son équipe non plus. «Tout en respectant ce jugement, pour l’opinion publique, c’est évident qu’il y a eu des manquements et des abus pendant la dernière campagne électorale. C’est surprenant que les juges n’aient pas jugé utile de faire des recommandations précises (qui auraient servi de jurisprudence) pour prévenir et corriger les faiblesses notées dans le système électoral actuel. C’est triste que la voie soit toujours ouverte pour des multiples formes de manipulations qui vont à l’encontre d’une fair and free election.» Néanmoins, il y a dans cette affaire, poursuit l’observateur politique, plusieurs leçons à en tirer. «D’abord, c’est difficile à réunir des preuves valables pour prouver les cas de fraudes électorales. Ensuite, le bien commun du pays et des citoyens est relégué au second plan par la technicité judiciaire quand il s’agit des élections. Puis, tout ce qui est légal électoralement n’est pas nécessairement moral. De plus, il sera difficile de contester les fraudes électorales dans le futur avec les lois électorales existantes.»

 

Aux yeux de Kris Valaydon, la leçon la plus importante à tirer de cette affaire reste les moyens mis à disposition pour contester l’irrégularité d’une élection par voie de pétitions électorales : «Ils sont obsolètes et constituent un non-sens démocratique. Ne serait-ce que le temps que prend une pétition pour être entendu alors qu'il n'est donné que 21 jours pour ficeler un dossier pour prouver la fraude, et presque quatre ans pour avoir un verdict, relève d'une absurdité acceptable consacrée par la Constitution et les lois de notre pays.» Le fait qu’il n’y ait eu jusqu’à présent aucune initiative pour revoir ce mécanisme, devrait, conclut-il, nous interpeller.

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