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Meurtre d’Amrit et Asha Beeharry à Mare-La-Chaux : le terrible sort d’un père «aimant» et de sa fille handicapée

31 août 2022

Le mystère plane toujours quant à l'identité du meurtrier d'Amrit et de sa fille Asha.

Ce terrible drame est sur les lèvres de tous les habitants de ce petit village depuis une semaine. Depuis le matin du lundi 22 août précisément, jour où la présence des forces régulières de Belle-Mare, de la brigade criminelle de Flacq et des officiers du Scene of Crime Office (SOCO) au domicile de la famille Beeharry, en face du terrain de football sur la route principale de la localité, a jeté le trouble dans cette localité habituellement paisible, attisant la curiosité de tous. Ils n’ont pas tardé à apprendre, avec horreur et stupéfaction, que les corps sans vie d’Amrit, un homme sans histoires, et de sa fille Asha, une handicapée mentale, avaient été découverts dans leur maison. Une atroce nouvelle qui s’est répandue comme une traînée de poudre dans le village et ailleurs.

 

Au départ, la police avait privilégié la thèse selon laquelle le sexagénaire, veuf depuis un an, aurait agressé mortellement sa fille avant de s’ôter la vie. Pour cause, son cadavre a été retrouvé avec du fil électrique autour du cou, contre un barreau, à quelques mètres seulement de celui de sa fille, qui avait des entailles au cou ; ils étaient dans la même pièce. Avant même qu’une autopsie soit pratiquée, les proches des défunts refusaient catégoriquement de croire en cette version, ayant toujours eu d’Amrit Beeharry l’image d’«un père aimant et attentionné». Les examens pratiqués dans la soirée par le Dr Prem Chamane, médecin légiste de la police, sont venus balayer cette possibilité en attribuant le décès du sexagénaire à un slash wound entraînant une hémorragie et celui de sa fille à un stab wound. L’enquête s’est alors orientée vers un «foul play».

 

Faire l’impasse sur ce qui a pu se produire chez la famille Beeharry est impossible pour les habitants de ce quartier où tout le monde connaît tout le monde. D’autant qu’au mercredi 24 août, alors qu’avait lieu une session de prières chez eux, la maison était toujours sous l’étroite surveillance des services de police. «Se enn sok. La dernière fois que nous nous sommes vus, Amrit et moi, remonte à dimanche matin. Il était venu acheter le pain, comme à son habitude», lâche le boutiquier du coin. Il poursuit, visiblement affecté : «Li ti enn dimounn trankil, li pa ti ena move karakter. Nou finn grandi ansam.» Lui aussi ne tarit pas d’éloges sur le sexagénaire qu’il décrit comme un homme qui aimait sa fille d’un amour inconditionnel. «Li finn touzour bien okip so tifi. Kot li ti pe ale, li ti pe amenn li.»

 

Même son de cloche du côté d’un petit groupe de personnes qui a l’habitude de passer ses journées à discuter devant le Village Hall de Mare-La-Chaux. «Environ deux fois par semaine, nous le voyions accompagner sa fille pour les classes de Zumba. Li ti enn bon dimounn. Zame li pann fer koler ek personn.» Même s’ils n’avaient pas beaucoup d’affinités avec les défunts, disent ces personnes, ce qui leur est arrivé ne les touche pas moins. «La nouvelle de leur mort a été un immense choc pour nous. Nous sommes vraiment attristés par ce qui s’est produit. Nous espérons que la police résoudra cette affaire au plus vite pour que leurs proches puissent trouver la paix.»

 

Chauffeur de Dalida

 

Il y a tout juste un an, soit le 21 août 2021, Amrit Beeharry a perdu son épouse des suites d’une longue maladie, deux années seulement après le décès de sa mère d’un cancer. Des pertes qui l’ont beaucoup affecté. Il s’est ainsi retrouvé seul à s’occuper de sa fille Asha ; ses autres enfants ayant chacun fait leur vie de leur côté. C’est la raison pour laquelle il a dû prendre sa retraite après avoir travaillé comme chauffeur de taxi pendant de nombreuses années ; une carrière au cours de laquelle il a été longuement posté à l’hôtel Constance Belle Mare Plage. Ses anciens collègues, que nous avons rencontrés, sont également déboussolés. «Nou pa ti atann li gagn enn lamor koumsa.» Celui qu’ils appelaient affectueusement Bébé, disent-ils, «était quelqu’un de calme et gentil. Li ti enn mari bon dimounn. Tou travayer lotel ti konn li».

 

Témoins de son professionnalisme, ces chauffeurs de taxi racontent que «Bébé avait appris à parler plusieurs langues vu que ses clients étaient essentiellement des étrangers. Li ti konn travay-la par ker. Nous avons tous beaucoup appris de lui». Mais sa profession n’était pas le seul domaine dans lequel il avait une connaissance sans égal, selon eux. «Il était toujours le mieux placé pour nous donner des conseils en matière de santé. Lorsque nous avions des problèmes dans ce domaine, il nous conseillait toujours sur les médicaments ou tisanes à prendre pour aller mieux. Cela lui avait aussi valu le surnom de Dr Beeharry», lâchent-ils en souriant. La dernière fois qu’ils l’ont vu sur place remonte à l’an dernier. «Il a travaillé pendant quelques mois après le décès de son épouse mais n’a pas été en mesure de continuer. Il devait quotidiennement rentrer à la maison pendant ses heures de travail car il devait donner des médicaments à sa fille à des heures spécifiques. Li ti bien pran kont so zanfan.»

 

Cette longue carrière comme chauffeur de taxi lui a permis de faire de belles rencontres. À en croire Bertie Beeharry, un cousin de la victime, «Amrit avait même eu l’occasion d’être le chauffeur de la défunte chanteuse Dalida lorsqu’elle était venue passer des vacances dans l’île». Cet habitant de Pointe-aux-Sables, qui n’a pas revu son cousin depuis le décès de sa mère, il y a trois ans, raconte qu’il a appris la mauvaise nouvelle à travers les médias. «Cela m’a bouleversé. Je ne voulais pas y croire.» C’est avec nostalgie et amertume qu’il revient sur tous les bons moments qu’ils ont passés ensemble à chaque célébration familiale. «Nous ne nous voyions pas souvent mais nous nous parlions assez régulièrement. Après le décès de sa mère et de son épouse, nous nous sommes tous demandés comment il allait se débrouiller pour s’occuper d’Asha mais il a toujours tenu bon. Li ti pe met likou lor biyo, ti pe tombe-leve pou so tifi. Même quand il devait d’aller rendre visite à son autre fille en Angleterre, il faisait toujours en sorte d’obtenir le billet d’avion d’Asha avant le sien. So zanfan ti pe pas avan tou.»

 

Il poursuit, terriblement affligé : «Ce n’est pas la première fois que notre famille fait face à une série de tragédies en peu de temps. Il y a quelques années, j’ai perdu mon père et mon oncle le même jour, et d’autres décès se sont succédé les uns après les autres dans notre famille. À chaque fois que l’un des nôtres s’en va, il emmène avec lui d’autres proches.»

 

Toujours selon Bertie Beeharry, le défunt Amrit était un homme très débrouillard qui a toujours adoré son métier. Après avoir pris sa retraite, dit-il, Amrit a confié son business à son fils Veeraj. «Il lui a donné tous les outils en main pour réussir sa vie.» À ce stade de l’enquête, ce même fils, âgé de 27 ans, est le principal suspect dans cette affaire à cause de ses antécédents. Ayant autrefois eu des démêlés avec la justice pour vol et possession d’héroïne, il a été appréhendé par la CID de Flacq après cette double tragédie ; non pas pour les meurtres mais parce qu’un mandat avait été émis contre lui car il ne s’était pas présenté au tribunal pour régler une amende. Cependant, il devra également être questionné dans le cadre de ces drames. L’un de ses proches amis, un habitant de Mare-La-Chaux de 31 ans, intéresse aussi la police. Il a été arrêté durant la semaine écoulée après une série de vols à Belle-Mare. Questionné, il a expliqué aux enquêteurs qu’il était en compagnie de Veeraj le dimanche 21 août pour voler des légumes dans la région.

 

Une déposition contre son fils

 

D’après l’entourage des victimes, Veeraj Beeharry est tombé dans le fléau de la drogue il y a quelque temps, ce qui lui a valu de nombreuses disputes avec son père, à qui il réclamait constamment de l’argent. Le sexagénaire n’avait alors eu d’autre choix que de lui demander d’aller vivre dans leur maison secondaire, à Flacq. Il y a tout juste deux semaines, Amrit Beeharry avait même consigné une déposition contre son fils parce que celui-ci avait subtilisé sa carte bancaire et fait un retrait à son insu ; un autre élément qui ne joue pas en faveur du jeune homme. Pour l’heure, ce dernier nie toute implication dans ces crimes.

 

Le fils aîné du sexagénaire, Khamlesh, 31 ans, a aussi été entendu par les enquêteurs. La veille du drame, soit le dimanche 21 août, l’habitant de Quatre-Bornes avait fait le déplacement jusqu’à Mare-La-Chaux pour rendre visite à son père et sa soeur. Il a confié aux enquêteurs que lors de sa visite, ses proches et lui ont évoqué, autour d’un repas, les bons souvenirs qu’ils gardaient de sa défunte mère, décédée il y a exactement un an. Khamlesh Beeharry serait ensuite rentré chez lui. Il a été autorisé à regagner son domicile après son interrogatoire mais doit rester à la disposition des enquêteurs. Rencontré au domicile de ses proches à Mare-La-Chaux le mercredi 24 août, Khamlesh, vêtu de blanc en signe de deuil, n’a pas souhaité faire de commentaires : «Je suis bien trop bouleversé par tout ce que traverse notre famille en ce moment.»

 

Si la police ne néglige aucune piste quant aux circonstances ayant conduit à ces drames, l’entourage d’Amrit et Asha Beeharry refuse de croire que le benjamin de la famille puisse y être pour quelque chose. «La polis ankor pe fer so lanket ; nou pa kapav tir konklizion. Zot tou pe akiz li alor ki pa finn ena okenn prev. Ils avaient, certes, eu des différends mais Veeraj n’aurait jamais pu commettre un acte aussi abominable», laissent entendre les proches des victimes. Raj Beeharry, le cousin d’Amrit, abonde dans le même sens. «Li trist me personn pa pou kapav dir kinn arive dan sa ler-la. J’habite moi-même à côté mais je n’ai rien entendu de suspect ce soir-là. Mon cousin était quelqu’un de discret qui ne sortait pas beaucoup. Li ti enn dimounn korek, trankil, ki ti pe bien okip so tifi», dit-il. «Un homme calme, travailleur, qui a toujours été très débrouillard, et aussi un père attentionné», avancent également ses neveux.

 

En attendant que la police fasse la lumière sur cette sordide affaire, les proches d’Amrit et Asha Beeharry essaient de faire leur difficile deuil malgré la multitude de questions qui les taraude.

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