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Quatre personnes meurent noyées en trois jours : leur entourage pleure ces vies brisées

6 mars 2022

Deevesh, 27 ans, et Thanesh, 21 ans, perdent la vie dans le lagon de Savinia

 

Leurs parents Manoj et Sunita Mudun : «Zot ti touletan ansam dan lavi ek zot finn ale ansam»

 

 

Les choses auraient-elles pu se passer autrement ? Ont-ils eu tort d’avoir toujours laisser leurs enfants prendre leurs propres décisions ? Tellement de questions taraudent Manoj et Sunita Mudun, les parents de Deevesh, 27 ans, et Thanesh, 21 ans, après que ces derniers ont perdu la vie dans le lagon de Savinia, non loin du Souffleur, le dimanche 27 février. Même si la vie n’a pas pris la tournure qu’ils auraient souhaitée, même s’ils ne sont pas responsables du départ tragique de leurs deux fils, ils ne peuvent s’empêcher d’éprouver de la culpabilité. «Peut-être avons-nous failli dans notre rôle de parents ?» se demandent-ils, meurtris et brisés d’avoir perdu leurs seuls enfants.

 

Depuis que ces derniers sont tout petits, disent-ils, «(nous) n’avons jamais voulu prendre de décisions à leur place, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel, car ils se sont toujours montrés responsables». Le dimanche 27 février, comme d’habitude, «nous ne les avons pas empêchés d’aller s’amuser. Ils sont jeunes, ils ont simplement voulu sortir avec leurs cousins. Pourquoi les aurions-nous blâmés d’avoir voulu aller nager ? Avec la pandémie, ils n’avaient pas beaucoup de distractions. Si nous pouvions retourner en arrière, nous leur aurions certainement demandé de ne pas s’y rendre mais ils ne nous auraient peut-être pas écoutés». Malheureusement, ils n’auront jamais la possibilité de revenir en arrière, de ramener leurs deux fils à la vie ou d’envisager un avenir différent pour leurs enfants qui avaient tant de projets.

 

En effet, Deevesh et Thanesh Mudun n’ont jamais manqué de rien. «En tant que parents, nous avons toujours voulu le meilleur pour nos enfants. Nous les avons toujours encouragés dans le domaine de leur choix. Nous les avons laissé vivre leurs rêves à fond et faire ce qui les rendait heureux.» Cette liberté dont ils bénéficiaient, disent-ils, «ils n’en ont jamais abusé. Zot ti bann bon zanfan. Ils ont toujours obéi, ils se sont toujours montrés respectueux envers leurs aînés. Ils aimaient simplement faire des sorties de temps en temps». Ils avaient aussi, comme tous les autres jeunes de leur âge, des rêves et de l’ambition.

 

«On dit toujours qu’une mère n’aura que du bien à dire de ses enfants», reconnaît Sunita Mudun. Mais ses deux fils, dit-elle, l’ont toujours rendu fière. L’aîné, Deevesh, a brillamment réussi sur le plan éducatif. Gradué, il avait décroché un poste à la Child Development Unit (CDU) il y a à peine cinq mois. «Il était passionné par son emploi et avait été très bien accueilli par ses collègues. Il avait toujours une anecdote à nous raconter en rentrant du travail. Nous avons toujours été très proches.»

 

Quant au benjamin, Thanesh, il a étudié à la Mahatma Gandhi Secondary School (MGSS) de Nouvelle-France jusqu’en Form V, avant d’entamer des cours au Mauritius Institute of Training and Development (MITD) dans le domaine de la mécanique. «La pandémie avait chamboulé ses études. Il s’était récemment renseigné afin de pouvoir poursuivre ses cours en septembre. Il était passionné par les voitures. Je lui disais toujours qu’après ses cours, dans quelques années, je l’aurais aidé financièrement pour qu’il puisse ouvrir son propre garage. Je lui disais qu’il pourrait travailler, mettre de l’argent de côté, pour qu’il puisse réaliser son rêve par la suite, même si cela devait lui prendre plusieurs années», confie Manoj Mudun.

 

Pour leurs enfants, son épouse et lui n’avaient qu’un souhait : «Nous voulions simplement les voir heureux. Nou ti anvi ki zot fer kitsoz ki zot anvi. Nou finn les zot lib ek zot finn montre nou ki zot finn arive dan lavi. Nous avions, certes, notre rôle de parents à jouer. Nous les avons aidés à réaliser leurs rêves. Nous leur avons tout donné. Nous avons fait en sorte de leur faciliter la vie.» Ils poursuivent : «Nous avons toujours été une famille soudée. Nous étions bien plus que leurs parents ; nous étions leurs amis.»

 

Malgré cette douleur incommensurable, Sunita Mudun essaie tout de même de garder la tête hors de l’eau et de se faire une raison. «J’avais uniquement deux enfants. Ils ont toujours été très complices, prêts à se défendre l’un et l’autre. Lorsque je m’interroge sur ce qui s’est passé, je me dis que cela aurait peut-être été plus dur si l’un avait survécu car l’autre se serait retrouvé seul. Zot ti touletan ansam dan lavi ek zot finn ale ansam. Mo ena enn gran ladmirasyon pou mo gran garson ; li pa finn ezite rant dan delo pou sap lavi so ti frer. Sa montre ki kalite lamour li ti ena pou li.» Ils ne tarissent pas d’éloges au sujet de Jeetun Panchye qui a également laissé la vie en tentant de leur porter secours. «J’ai beaucoup de respect pour cet homme», lâche Sunita Mudun.

 

Son époux et elle tiennent à remercier tous ceux qui les ont soutenus dans cette douloureuse épreuve. «Se sipor tou sa dimounn-la ki finn ed nou. Nou kone li pou difisil pli divan, me se lapriyer dimounn ki pou ed nou sirmont tousala.» Ils espèrent désormais que la disparition de leurs fils interpellera : «Nous demandons au public de faire attention à l’avenir. Nou espere ki dimounn pou evit naz dan bann plas kot zot kapav riske zot lavi pou zot pa pas par mem zafer…»

 


 

Girish Mudun, l’un des rescapés : «Zame fer konfians lamer…»

 

Le Souffleur, site emblématique de L’Escalier, est connu pour ses falaises et ses vagues offrant un spectacle incroyable. Une centaine de mètres plus loin, sur la droite, se situe Savinia, une petite plage bordée de rochers formant de petites baies. C’est en ces lieux, précise le Dr Girish Mudun, que sa famille et lui s’étaient rendus le dimanche 27 février. «Il s’agit d’une plage que nous connaissons bien et qui est très fréquentée. Des gens des quatre coins de l’île y viennent pour pique-niquer ou se détendre. Nous nous y rendons souvent pour nager mais ce jour-là, le malheur s’est abattu sur notre famille», se désole-t-il.

 

Les images du drame le hanteront probablement toute sa vie. Bouleversé, anéanti, il revient avec beaucoup de douleur sur la chronologie des événements du dimanche 27 février, où sa vie et celle de ses proches ont été chamboulées à jamais… Il est environ 16h30 lorsque son frère Avish, son cousin Thanesh et lui se jettent à l’eau. «Je me trouvais un peu plus près du rivage, tandis que mon frère et mon cousin nageaient un peu plus loin. Ils se sont soudainement retrouvés en difficulté lorsqu’ils ont été entraînés par une vague. Mo finn resi trap mo frer, li ti pli pre avek mwa.»

 

Sans tarder, son neveu Keshav Guddah, son beau-frère Jeetun Panchye et son cousin Deevesh, le frère aîné de Thanesh, se jettent également à l’eau pour leur venir en aide. «Bizin dir nou ti ena bann ero parmi nou, me ladan, se zis Keshav Guddah ki finn resi sorti», raconte le Dr Girish Mudun. Ce dernier a pu nager jusqu’aux rochers, où un pêcheur lui a tendu une canne à pêche pour les aider, son frère et lui, à sortir de l’eau. Quelque temps plus tard, le Police Helicopter Squadron est arrivé sur place et a pu secourir Keshav Guddah. «Kan nou finn trouve li ti konsian, nou finn gard lespwar ki pou gagn bann lezot. Nous avons sillonné la plage, jusqu’au moment où nous sommes tombés sur le corps de Deevesh. Nous avons tenté de le réanimer, nous avons pratiqué un CPR,  mais il était déjà trop tard. Apre sa, finn amenn lekor mo kouzin Thanesh ek le landemin, zot finn retrouv lekor mo bofrer. Seki finn arive, li vreman tris, mo pena mo. Se bann frer ki nou finn perdi.»

 

Il tient toutefois à préciser que ses proches et lui n’ont jamais cherché à prendre des risques inutiles. «C’est un endroit très fréquenté. C’est la première fois que nous rencontrons un tel problème sur place. Cela aurait pu arriver à n’importe qui et n’importe où, que ce soit à Flic-en-Flac, à Belle-Mare ou ailleurs.» Il lance un appel au public : «Zame fer konfians lamer, ninport ki lamer.» Il lâche, désemparé : «Nous nous y sommes rendus avec un gâteau dans l’espoir de faire une surprise à Deevesh mais au final, c’est son corps sans vie que nous avons ramené à la maison.»

 


 

Meenakshi, la sœur de Jeetun Panchye, une des victimes  : «Nou pa ti atann li pou ena enn destin koumsa»

 

 

Il était issu d’une fratrie de sept enfants. D’ailleurs, Boodev Panchye, plus connu sous le nom de Jeetun (photo), était très proche de ses frères et soeurs. Il l’était davantage depuis le décès de sa mère, survenu il y a bientôt deux ans. La dernière fois que sa soeur Meenakshi et lui se sont parlés remonte au mardi 22 février. «Je l’avais invité chez moi, à Camp-de-Masque, quelques semaines plus tôt mais il n’avait pas voulu se déplacer parce qu’il devait s’occuper de ses chiens. Il m’avait invitée chez lui le week-end suivant mais je l’avais reporté à plus tard car nous avions tous déjà prévu de nous réunir le 12 mars à l’occasion de l’anniversaire de l’une de nos nièces», explique-t-elle. C’était sans savoir que la prochaine fois qu’elle le verrait, ce serait pour identifier son corps sans vie à la morgue.

 

Le dimanche 27 février, Jeetun Panchye, un habitant de Cité Burrenchobay, Plaine-Magnien, âgé de 42 ans, a emprunté les clés du camion de son frère Roshan à la mi-journée. «Il m’avait dit qu’il devait se rendre à une partie de pêche mais j’avais deviné qu’il irait sûrement rejoindre des proches pour une petite fête. Je ne le lui ai pas refusé», reconnaît-il. Quelques heures plus tard, un appel téléphonique a tout chamboulé : «Il s’agissait de l’une de mes soeurs, en larmes. Elle me disait que Jeetun avait disparu en mer à Savinia et je suis allé la rejoindre. Je suis arrivé sur place pendant que les gardes-côtes extirpaient le corps sans vie de Deevesh et de Thanesh.»

 

Les heures qui ont suivi ont probablement été les plus longues de toute leur vie. Les recherches étaient toujours en cours à Savinia lorsque les officiers de la National Coast Guard (NCG) ont reçu un appel de leurs collègues, leur indiquant que des pêcheurs avaient aperçu le corps d’un individu portant un short bleu dans les parages de Pont-Naturel. Lorsqu’ils se sont rendus sur place, cependant, celui-ci avait déjà disparu. «Nous avons dû passer plusieurs coups de fil afin que la police accepte de poursuivre les recherches pour quelques minutes de plus», déplore Meenakshi. «De plus, ceux qui effectuaient les recherches ne disposaient pas des équipements nécessaires pour l’opération de search and rescue. Ne savent-ils pas qu’ils doivent toujours être parés à toute éventualité ?»

 

La NCG a mis fin à l’opération peu après 18 heures à cause de la mauvaise visibilité, promettant aux proches de Jeetun Panchye de les poursuivre dès l’aube, le lendemain matin. «Avec l’aide de volontaires, nous avons poursuivi les recherches jusqu’à fort tard mais celles-ci n’avaient rien donné. Nous n’avons pas pu fermer l’œil de la nuit. Une partie de nous voulait croire qu’il finirait par franchir la porte en nous disant qu’il ne s’agissait que d’une blague car il avait toujours été un farceur», confie Meenakshi. Mais tous leurs espoirs se sont écroulés quand, le lendemain matin, un corps a été repêché à 700 mètres du rivage. Durant l’exercice d’identification, confie-t-elle, «je n’ai pas réalisé qu’il s’agissait de lui à cause de l’état du corps. J’en étais presque soulagée, pensant qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre, mais mon neveu m’a confirmé qu’il s’agissait bien de lui. Nou pa ti atann li pou ena enn destin koumsa.»

 

Plus jeune, Jeetun Panchye, célibataire et sans enfants, a cumulé plusieurs emplois avant de tout arrêter pour s’occuper de sa mère malade. «Lorsqu’elle nous a quittés, il avait été très affecté car il avait toujours été l’enfant gâté.» Il s’est aussi beaucoup occupé de l’un de ses frères, qui souffre d’un handicap. Plus récemment, il avait recommencé à travailler dans sa plantation de pistaches. Il a malheureusement perdu la vie avant d’avoir eu le temps de concrétiser d’autres projets.

 

Nazima, un témoin : «Pour moi, ce sont des héros…»

 

Cela fait des années que ses proches et elle fréquentent la plage de Savinia. Si elle habite à Port-Louis, cela n’a jamais dérangé Nazima et les membres de sa famille de faire des kilomètres en voiture pour venir se détendre sur cette plage qu’ils apprécient tant. Le dimanche 27 février, comme bon nombre de personnes, elle se trouvait sur place lorsque le drame s’est produit. «C’est habituellement un endroit tranquille. Au départ, la mer était calme mais pendant qu’ils nageaient, ils ont soudainement été surpris par une grosse houle et ils y ont laissé la vie», explique-t-elle.

 

«Pour moi, ce sont des héros, des personnes exemplaires. Zot finn fer tou pou sap lavi zot kamarad me zot pa finn resi. Ils ne sont pas à blâmer car cela aurait pu arriver à n’importe qui. L’an dernier, mon oncle est mort noyé dans le lagon de Belle-Mare mais le public n’a pas cessé de s’y rendre pour autant. J’ai aussi perdu un petit frère à cause d’une négligence médicale mais je n’ai pas arrêté de fréquenter les hôpitaux. Combien de gens perdent la vie dans des accidents mais les voitures continuent de circuler ? Enn malsans inn al arive. Bondie, kan li apel ou, ou pa kapav fer nanye kont sa.»

 


 

Goolam Codabaccus, 72 ans, décède à wolmar deux jours après son mariage

 

Naseeda, l’épouse : «Je ne crois pas que je pourrai l’oublier»

 

 

Elle est effondrée, anéantie. Pourtant, il y a à peine quelques jours, Naseeda Dindhoo nageait dans le bonheur. Le dimanche 27 décembre, elle avait contracté le nikkah avec Goolam Codabaccus à son domicile, à Quinze-Cantons. «Nous étions heureux. Nous avions l’impression de n’avoir jamais vécu un tel bonheur. Mon époux a même versé des larmes de joie.» Mais cela a malheureusement été de courte durée. Deux jours plus tard, soit le mardi 1er mars, le couple s’est rendu à la plage de Wolmar où un terrible drame s’est produit, mettant fin à tous ses rêves et projets d’avenir. Pendant qu’il faisait de la plongée, Goolam Codabaccus, 72 ans, s’est retrouvé en difficulté dans le lagon. Il a été extirpé de l’eau par des volontaires mais n’a pas survécu. Il a été conduit à l’hôpital par les garde-côtes, où son décès a été constaté. Une autopsie a attribué son décès à une asphyxie provoquée par la noyade.

 

Naseeda Dindhoo et son époux, qui vivait au Canada, ont fait connaissance il y a tout juste un mois par l’intermédiaire d’un proche. «Nous avons discuté pour la première fois via un appel vidéo et sommes très vite tombés amoureux. C’était quelqu’un de positif, qui me donnait beaucoup de courage. Nous discutions tous les jours, toute la journée. Par moment, je lui parlais même pendant que je faisais le ménage. Lorsqu’il m’a dit qu’il viendrait à Maurice, il a tenu sa promesse. C’était un homme de parole», confie-t-elle. C’est ainsi que le vendredi 25 février, le septuagénaire est rentré à Maurice pour retrouver sa dulcinée, après avoir passé 20 ans à l’étranger. «Ma famille l’a aussitôt apprécié. Lorsque nous avons parlé de mariage, cela l’a rendu heureux. Il ne voulait pas perdre de temps et me répétait qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps à vivre mais je n’y ai jamais prêté attention.» En y repensant aujourd’hui, elle est obligée de l’admettre : «Goolam me donnait souvent l’impression qu’il ne serait bientôt plus de ce monde.»

 

Le mardi 1er mars, se souvient Naseeda Dindhoo, «mon époux insistait pour que nous nous rendions à la plage. Li ti dir mwa ki so dernye plezir sete ki li anvi al lamer. Il était un amateur de plongée». En arrivant sur place, «il n’a pas tardé à se jeter à l’eau. Il m’a demandé de ne pas le quitter des yeux et m’a envoyé un bisou avant de plonger. Je ne sais pas à quel moment il s’est retrouvé en difficulté car je n’ai constaté aucun signe de lutte», confie-elle, submergée d’interrogations. Lorsque le drame est survenu, elle a senti son monde s’écrouler. Pour cause, celui qui avait su ramener de la joie dans sa vie avait beaucoup de projets avec elle. «Il me disait qu’il rentrerait au Canada en juillet pour quelques jours et qu’après, il rentrerait définitivement à Maurice pour s’occuper de moi et de ma fille. Là-bas, il avait tout, mais il avait retrouvé la joie d’être en famille avec nous. Je ne sais pas si je pourrai l’oublier un jour», regrette-t-elle.

 

Amère, Naseeda Dindhoo ne veut désormais plus mettre les pieds à la plage. «Ce qui s’est produit a brisé tous nos rêves. Mo nepli anvi trouv lamer», lâche-t-elle, en colère. «Seki finn arive fatig mwa. Kot mo ete, mo mazinn zis li. Sa kat zour ki nou finn pase ansam-la finn kouver boukou lane.» Elle espère aujourd’hui que des prières lui donneront le courage nécessaire pour surmonter cette douloureuse épreuve.

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