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1 juillet 2021 14:38
Avons-nous déjà perdu le combat contre le trafic de drogues ? En tout cas, l’Anti-Drug & Smuggling Unit (ADSU) enchaîne les grosses saisies. La dernière en date a eu lieu en mai, lorsque 243 kg d’héroïne et 26 kg de haschich ont été déterrés à Pointe-aux-Canonniers. Leur valeur marchande est estimée à plus de Rs 3,4 milliards. Les limiers de la brigade antidrogue ont procédé à plusieurs arrestations dans cette affaire qui suscite des interrogations ; comment la drogue entre-t-elle sur le territoire mauricien ? Est-ce par voie maritime ?
Un récent rapport de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GIATOC) sur l’évolution du commerce des produits illicites dans l’ouest de l’océan Indien aborde le sujet. Ce document de 77 pages évoque notamment la façon dont procèdent les trafiquants pour acheminer des produits illicites – l’héroïne, la cocaïne, le cannabis, les drogues de synthèse et les psychotropes – à destination. Le moyen de transport le plus prisé serait la voie maritime. Les trafiquants profiteraient du positionnement géographique de Maurice pour œuvrer en toute impunité. La drogue débarquerait chez nous en provenance d’Afghanistan par voie maritime, en passant par la Somalie, le canal du Mozambique et Madagascar. Les drogues de synthèse, elles, proviendraient de la Chine et de la Corée.
D’après ce rapport toujours, Maurice servirait de plaque tournante pour acheminer de l’héroïne vers La Réunion, les Seychelles et Rodrigues. À bord de puissants hors-bord ou yachts guidés par des appareils électriques dernier-cri, les trafiquants mauriciens récupéreraient les cargaisons (jusqu’à 500 kg de drogue) sur le banc de Soudan, au nord de l’île. Profitant des lacunes et manquements dans les protocoles de surveillance des autorités pour écouler la drogue.
Dans son rapport, la GIATOC indique que des trafiquants regroupés au sein de plusieurs cartels importeraient des stupéfiants à travers un réseau bien huilé. Ce qui permettrait à la drogue d’entrer sur le territoire mauricien malgré la fermeture des frontières en 2020 et 2021.
Autre observation de la GIATOC : de l’argent émanant du drug trafficking serait blanchi dans les restaurants, snacks, discothèques, magasins de vêtements, maisons de jeux, magasins de spare parts spécialisés en car tuning, etc. D’ailleurs, la police a procédé à plusieurs arrestations pour blanchiment d’argent. Parmi, l’arrestation récente de Khalil Ramoly, propriétaire d’un magasin de spare parts très fréquenté à la route des Pamplemousses, à Port-Louis, pour blanchiment d’argent. Le rapport souligne également que les trafiquants s’enrichiraient à travers la corruption et des protections occultes.
Malgré les campagnes de sensibilisation et le programme de substitution par la méthadone, entre autres, le marché de la drogue reste la plus importante économie illicite à Maurice. La non mise en pratique de certaines recommandations du rapport de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, n’a pas arrangé la situation. Ce dernier, publié en 2018, recommandait notamment la mise sur pied d’un seul organisme regroupant l’ADSU, la MRA, la FSC et l’ICAC pour lutter plus efficacement contre le trafic de drogues.
Mais en 2019, le pays est placé sur la liste grise de la Financial Action Task Force en raison de son incapacité à lutter comme il se doit contre le blanchiment d’argent émanant du trafic de drogues. Maurice est-elle devenue un drug trafficking hub par excellence ? En tout cas, la GIATOC souligne la question dans son rapport.
L'héroïne est introduite à Maurice dans les années 70. À l’époque, elle porte le nom de brown sugar. Le succès est tel que l’opium disparaît complètement du marché local. Dans les années 80, le pays devient une destination secondaire du trafic d’héroïne, via l’Inde vers l’Afrique de l’Est, par le biais de la Southern Route. La consommation d’héroïne grimpe en flèche une décennie plus tard.
Un rapport des Nations unies, publié en 1996, fait mention d’une prévalence de 0,4 % à cette drogue chez ceux âgés de 15 ans, alors que 2,5 % de l’ensemble de la population est déjà accro par injection. 2 % de la population mauricienne est déjà considérée comme «héroïnomane». Il s’agit alors des taux les plus élevés en Afrique. La consommation d’héroïne chute fortement dans les années 2000, avec l’arrivée de la première vague de cannabis de synthèse. Cette baisse est toutefois temporaire car les chiffres indiquent que la consommation est montée en flèche en 2012. Les grosses saisies qui s’enchaînent les années suivantes le confirment. L’une d’elles est la découverte de 135 kg d’héroïne dans des compresseurs en 2015. Depuis, l’ADSU a effectué d’autres grosses saisies. Confirmant la hausse dans la consommation d’héroïne à Maurice.
Les récentes saisies de 243 kg d’héroïne et 26 kg de haschich à Pointe-aux-Canonniers, le 2 mai, et l’interception d’un speedboat qui se dirigeait vers La Réunion quelques jours plus tard, avec trois personnes à bord, ayant sur elles 13 000 euros, sont le fruit d’un travail de fourmi sur le terrain, suivant des informations vérifiées et contre-vérifiées. C’est, du moins, ce que soutient l’ASP Hossenee de l’ADSU. Pour lui, «le combat contre le trafic de drogues n’est pas perdu». L’ASP Hossenee fait ressortir que «la brigade anti-drogue et la NCG restent constamment en état d’alerte et de vigilance. Les autorités ont déjà renforcé la collaboration entre la MRA, la douane et les officiers des départements Fisheries et Forestry. They are our eyes and ears».
L’officier souligne que son unité est très efficace en matière de collecte d’informations. Ce qui, dit-il, a permis aux autorités de faire de grosses saisies récemment. «La surveillance de notre zone maritime a porté ses fruits. Il y a un centre de fusion à Madagascar et un autre aux Seychelles. Des hauts gradés de la force policière y sont en poste pour collecter le maximum d’informations sur les trafiquants et les réseaux sur lesquels ils opèrent. Il y a aussi la Force navale mise sur pied par la Commission de l’océan Indien, qui effectue des patrouilles régulières dans notre zone maritime», explique l’ASP Hossenee.
Sur le plan local, l’ADSU a également mis sur pied une Educational Cell, il y a trois ans, pour «donn koudme dan sa komba-la». Cette équipe organise des campagnes de sensibilisation à travers le pays, dans les écoles primaires, secondaires et tertiaires. Cette Educational Cell s’est également rendue dans plusieurs lieux de culte. «Bizin dir zanfan ki ladrog pa bon depi zot tipti», explique l’ASP Hossenee.
Le combat contre la drogue, ajoute-t-il, passe par la réduction de la demande et la réduction de l’offre. La réduction de la demande, c’est la prévention. C’est le travail de la société civile, des ONG, des religieux, des institutions éducatives et de la famille. En revanche, la réduction de l’offre, c’est l’affaire des autorités. Elle concerne, entre autres, la douane et la police.
Il est catégorique : la lutte contre le trafic de drogues à Maurice est une cause perdue. Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice (ATSM), se base sur une «evidence base» pour arriver à cette conclusion. «Le plus jeune garçon en traitement au Centre Idriss Goomany n’a que 10 ans. La plus jeune fille n’a que 14 ans. Les deux sont déjà accros aux drogues de synthèse», interpelle le travailleur social. D’après lui, l’adolescente serait la victime d’un proxénète qui la forcerait à se prostituer pour se procurer de l’argent facile et pouvoir ainsi se droguer. «C’est un combat que nous avons déjà perdu. On ne parle plus de millions maintenant mais de milliards. C’est la preuve qu’il y a beaucoup de consommateurs. La situation empire de jour en jour malgré la fermeture des frontières», souligne Ally Lazer.
Le plus grand obstacle dans ce combat, observe-t-il, c’est la corruption. Ally Lazer dénonce aussi les protections occultes : «J’ai peur pour l’avenir de nos enfants. J’avais dénoncé 136 trafiquants pendant mon audition devant la commission d’enquête sur la drogue. Dans son rapport, l’ancien juge Lam Shang Leen avait proposé à l’ADSU d’utiliser des drones pour surveiller les faits et gestes des trafiquants mais rien n’a été fait.»
Les récentes enquêtes policières révèlent que les trafiquants, eux, utilisent des radios et GPS sophistiqués lors de leurs opérations. «C’est pourquoi je dis que nous avons déjà perdu ce combat. Qu’est-ce que le gouvernement a fait du rapport ? On avait mis un comité interministériel sur pied. Puis, il y a eu une Task Force. Nepli tann nanye lor sa ziska zordi. Se enn gaspiyaz bann fon piblik», soutient Ally Lazer. «Cela m’attriste de le dire mais il n’y a pas d’autre choix que de vivre avec. Les drogues de synthèse ont pris une ampleur incroyable. Il n’y a pas une localité qui est épargnée. Dans certaines régions, les deals se font au nez et à la barbe des autorités. À Plaine-Verte, les trafiquants le font ouvertement dans le jardin qui se trouve en face du poste de police. Zot propoz ou ladrog kouma dir dan katalog.»
La valeur marchande d’un gramme d’héroïne est de Rs 15 000. Selon des travailleurs sociaux, le taux de pureté de l’héroïne disponible sur le marché local actuellement serait très élevé. Ce qui expliquerait que plusieurs toxicomanes ont fait une overdose. «Li vre ki pirte eroin-la pli for pou le moman. Bann trafikan pa le pran risk gard stock. Zot vann li kouma li ete, san koup li», avance Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice.
Un gramme de cocaïne se vendrait, lui, à Rs 20 000. Le prix du gramme de cannabis varierait, pour sa part, d’une région à une autre. Il serait généralement disponible entre Rs 600 et Rs 900, pouvant grimper jusqu’à Rs 1 500, dépendant de la disponibilité et de la qualité mise en vente. La variété la plus prisée serait la célèbre «lake sat» de La Réunion.
Le cannabis provenant de Madagascar serait également très apprécié par les consommateurs de gandia locaux. Le comprimé de Subutex serait, lui, en vente à Rs 1 500. Et le gramme d’une drogue de synthèse pure serait vendu à Rs 5 000. Les trafiquants mélangeraient ensuite le contenu avec différents produits pour arriver jusqu’à 300 g, selon une source au Forensic Science Laboratory.
Selon elle, environ 35 variétés de drogue de synthèse ont été recensées. Le seul hic : les autorités ignorent toujours la composition des différentes drogues vendues généralement à Rs 50 la dose.
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