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Par Elodie Dalloo
20 septembre 2022 12:16
Chaque année, nos routes font de nombreuses victimes, plongeant plusieurs familles dans la douleur de perdre un être cher tragiquement et soudainement, toujours trop tôt. Ce que nous oublions bien souvent, c’est que la vie peut être tout aussi difficile pour ceux qui survivent. Cela fera bientôt cinq ans que les membres de la famille Berthelot ont été impliqués dans un grave accident de la route mais bien que conscients de s’être vus offrir une seconde chance par la vie après avoir vu l’un des leurs mourir sous leurs yeux, plusieurs d’entre eux en gardent des séquelles physiques, psychologiques et neurologiques qui marquent à jamais leur vie.
À tout juste 20 ans, Jovana Berthelot semble porter tout le poids du monde sur ses frêles épaules. Elle se souvient, comme si c’était hier, de ce lundi 16 octobre 2017 où sa vie a basculé. Ce jour-là, elle avait grimpé dans le véhicule d’une connaissance avec d’autres proches pour rentrer chez elle non loin, à Coteau-Raffin. Mais en chemin, la voiture a fait une sortie de route à cause d’un pneu crevé. Au moment du drame, huit passagers se trouvaient dans la voiture, notamment quatre enfants en bas âge. «Ma soeur tenait ma fille Eli-Yana, qui avait trois mois, alors que je tenais la sienne, qui avait seulement dix jours. Durant la collision, nous avons été projetés sur l’asphalte après être passés à travers le pare-brise. Ma nièce n’a pas survécu. Mo pann fer expre», s’excuse-t-elle d’une petite voix, se sentant toujours coupable d’une tragédie dont elle n’est, pourtant, pas responsable.
Après cet accident, explique Jovana, les malheurs se sont succédé. «Je suis restée dans le coma pendant un mois. Ensuite, j’ai été transférée en salle, où j’ai été hospitalisée pendant un mois de plus. Mes proches étaient admis à l’hôpital Victoria, alors que ma fille et moi étions à l’hôpital Jeetoo. Lorsque j’ai enfin pu sortir, je ne pouvais pas marcher et j’ai dû aller vivre chez ma tante pour qu’elle s’occupe de moi.» Et pendant que tous étaient à l’hôpital, leur maison à Coteau-Raffin a été cambriolée et pratiquement détruite ; un constat fait par sa mère quand elle s’y est rendue pour récupérer des affaires. «Nous avons tout perdu. Nous étions absents pendant longtemps et des voleurs en ont profité pour emporter les feuilles de tôle, le bois. Ils ont aussi emporté nos vêtements. Nous n’avions pour ainsi dire plus de maison.»
Durant la collision, Eli-Yana, qui n’était qu’un bébé, avait eu les côtes fracturées et avait reçu un violent coup à la tête. «Elle a subi plusieurs interventions chirurgicales mais les médecins n’avaient pas réalisé qu’elle avait aussi subi un traumatisme crânien. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines, lorsque sa tête a commencé à enfler, qu’ils se sont rendu compte qu’elle présentait d’autres problèmes de santé», lâche tristement Jovana. «Zot inn dir mwa ki se pa normal. Zot inn kone ki ena delo dan so latet ek zot inn oper li. Ils ont inséré un drain dans son crâne pour que l’eau puisse s’évacuer dans son urine.» Mais la petite était loin d’être sortie d’affaire. «Après l’opération, les médecins m’ont prévenue qu’elle ne grandirait pas comme les autres enfants de son âge.»
Déjà très affligée par le poids des regrets et des remords, Jovana a dû abandonner ses rêves d’avoir une vie sociale et professionnelle pour pouvoir s’occuper pleinement de sa fille Eli-Yana, dont les séquelles dues à l’accident étaient bien plus graves qu’elle ne l’avait pensé. C’était sans compter que quelque temps plus tard, sa mère Chantal, son unique soutien dans ces moments difficiles, présenterait les premiers signes de la maladie d’Alzheimer et ne pourrait plus travailler pour l’aider financièrement. Ayant perdu leur maison à Coteau-Raffin, la petite famille s’est, du jour au lendemain, retrouvée dans l’obligation d’aller vivre à Palma, Quatre-Bornes, où elle loue une modeste maison. À un si jeune âge, Jovana se retrouve seule à s’occuper de sa fille mais aussi de sa mère, et les trois ne vivent qu’avec une aide sociale. «Mo anvi travay, mo anvi ed mo fami, me mo pa kapav», lâche Jovana, en larmes.
Eli-Yana a célébré son cinquième anniversaire le 29 mai mais contrairement aux autres enfants du même âge, elle ne peut pas marcher, courir ou s’exprimer correctement. «Dokter inn dir ki pou bien difisil pou li marse, li pa pou kouma enn zanfan normal. À cause des fractures qu’elle a subies aux reins durant l’accident, elle n’est pas en mesure de se tenir debout ou de s’asseoir car elle n’a pas suffisamment de force.» Durant les quatre premières années, la petite ne pouvait pas se mouvoir mais ses proches n’ont jamais perdu espoir. «Mo mama ek mwa finn pas boukou letan frot so lame ek so lipie.» Elles ont commencé à voir la lumière au bout du tunnel lorsque, récemment, «linn koumans bouze». De plus, malgré le choc subi à la tête, «elle a appris à dire quelques mots. Elle sait dire “maman”, “papa” ou “miam”. Lorsqu’elle souffre, cependant, elle ne sait toujours pas comment l’exprimer, se met à pleurer et montre où elle a mal».
Tous les trois mois, Jovana doit conduire sa fille à ses rendez-vous chez le médecin ; une autre tâche ardue pour la jeune maman. «Quand elle était plus petite, j’ai tenté de la prendre dans mes bras pour l’y emmener mais vu que j’ai subi des blessures dans l’accident et que je porte des vis, mes bras ont lâché à deux reprises et je l’ai fait tomber. Depuis, j’ai peur de la tenir et je suis obligée d’utiliser une poussette. Notre plus grande difficulté est que celle-ci ne supporte plus son poids bien longtemps. Eli-Yana continue de grandir et n’a plus le poids d’un nouveau-né.»
Avec une pension de Rs 10 000 par mois, Jovana doit s’acquitter tous les mois d’un loyer, payer les factures d’eau et d’électricité, et acheter les provisions pour la famille et les médicaments pour Eli-Yana qui souffre régulièrement d’atroces maux de tête. Avec ce budget déjà insuffisant pour le strict minimum, impossible de prendre un taxi pour aller à l’hôpital. «Bien souvan, o milie le mwa, nou nepli ena nanye.» Le père d’Eli-Yana, qui n’est pas très présent dans la vie de celle-ci, ne les aide pas non plus financièrement.
Malgré les innombrables épreuves auxquelles sa famille et elle doivent faire face, cela n’empêche pas Jovana d’avoir des projets, des rêves et de l’ambition. «D’après les médecins, Eli-Yana aura toujours un retard par rapport aux autres enfants du même âge en grandissant mais elle mérite d’avoir une éducation. Elle fait ses efforts, grandit à son rythme.» Un des plus grands souhaits de Jovana est ainsi de trouver une institution qui puisse prendre en charge un enfant avec un tel handicap. «Je me suis rendue dans plusieurs écoles pour les enfants ayant des besoins spéciaux mais je n’ai eu que des réponses négatives. Elle a besoin d’une attention spéciale car elle ne peut pas marcher. Partou kot monn ale, zot inn dir mwa zot pa pou kapav pran li, ki zot pa pou konn okip li. Cela lui aurait fait du bien d’avoir une vie en dehors de la maison, de s’épanouir autrement.» Jetant un regard affectueux à son enfant, elle lui lance en souriant : «To anvi al lekol ? To anvi gagn bann ti kamarad pou to zwe ?» Le projet de Jovana pour sa fille finira-t-il par voir le jour ? Elle l’espère de tout son coeur.
Bien que souffrante, Chantal, la mère de Jovana, garde, elle, l’espoir qu’un jour, elles pourront retrouver leur maison à Coteau-Raffin. Son rêve est de recueillir suffisamment d’argent et de matériaux pour pouvoir la retaper, et de ne plus avoir à payer un loyer, ce qui les soulagerait financièrement et leur permettrait de retrouver une certaine stabilité. Inconsciemment, elle est souvent retournée dans son ancienne demeure lorsque sa mémoire lui a joué des tours. «À chaque fois, je cherche ma maison, je répète que j’ai perdu ma maison. Je sais que j’habite ici pour le moment mais lorsque je me mets à marcher, que je ne sais plus où je vais, je retourne à Coteau-Raffin.» C’est le seul endroit où sa fille et elle se sont jamais senties chez elles et en paix, et elles aimeraient voir Eli-Yana y grandir.
Mère et fille lancent ainsi un appel à quiconque pourrait leur venir en aide pour les aider financièrement à joindre les deux bouts et à récupérer leur maison. Elles espèrent aussi trouver une institution pouvant donner l’opportunité à la petite Eli-Yana de s’épanouir, entourée de petits camarades.
Si vous souhaitez leur venir en aide, vous pouvez les appeler sur le 5506 1373.
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