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Par Yvonne Stephen
28 juin 2023 01:28
Il l’a redit lors de l’émission Au cœur de l’info, de Radio Plus (diffusée le vendredi 23 juin), où il a précisé qu’il était en congé maladie : «Je ne suis pas dans un état pour faire mon travail avec toute la sérénité voulue.» Il a dit envisagé des actions légales ; d’ailleurs il a déjà fait une precautionnary measure auprès de la police. Ce samedi 24 juin, il a annoncé sur sa page Facebook qu'une entrée a été faite à la police suite à un message menaçant qu'aurait reçu son épouse. Également sur le plateau de Radio Plus, Me Samad Golamauly, un des avocats présents sur le plateau de Murvind Beetun lors de l’entretien du boss de la SST, a précisé que le journaliste avait utilisé des termes provocants. Top FM a réagi par le biais de communiqués.
Pour commenter cette vidéo et tenter de donner un sens plus large à ces images, nous avons demandé leur avis à Padma Utchanah, du Ralliement Citoyen pour la Patrie, et à Joël Toussaint, éditorialiste et chercheur en Sciences humaines et sociales. Pour ce dernier, «ces images portent sur plusieurs considérations» : «Avant même l’intérêt médiatique, il y a des considérations juridiques, notamment au plan pénal et concernant le droit du travail. La portée de ces images est telle que, si j’étais responsable d’une corporation de journalistes, j’aurais demandé à mon conseiller juridique si les faits qu’elles présentent ne sont pas qualifiés au Code Pénal.»
«L’ASP Ashik Jagai n’aurait pas dû se trouver là». Pour Padma Utchanah, un préambule est nécessaire avant d'entrer dans le vif du sujet. La présence d’Ashik Jagai à une émission radio pose problème : «Dans des pays où l’État de droit incarne une impartialité, dans des pays démocratiques où le système institutionnel fonctionne d’une manière indépendante, l’ASP Ashik Jagai ne se serait jamais trouvé dans une émission pour essayer de clamer son innocence.» Ce qui s’est passé ce soir-là, mais pas que, appelle à la responsabilité du boss de la police : «Dans les pays où un commissaire de police agit avec un professionnalisme sans faille, il aurait suspendu de facto Ashik Jagai, le temps que l’enquête se fasse. Or, Anil Dip a donné son aval, il est donc entièrement responsable de certains policiers ripoux et milices.»
Si vous n’avez pas vu la vidéo en question ou n’avez aucune possibilité de la visionner, Joël Toussaint rappelle ce que l’on voit sur les images :
«Pas des gestes amicaux». «Murvind Beetun se fait admonester (...) par des individus qui ont investi les locaux de Top FM. On ne peut pas dire que ces individus ont des gestes amicaux envers lui, puisque les gestes de certains d’entre eux ressemblent à des menaces. On peut même dire que le journaliste est sujet à une confrontation physique qui restreint ses capacités à se mouvoir. Ce qui pourrait signifier que parmi cette assemblée de personnes hostiles, il y a eu au moins un assaillant, selon la définition qu’en fait le droit.»
Un «assaillant» et ceux qui regardent sans rien faire. «Nous apprenons qu’il y a au moins deux éléments de la Striking Team de M. Jagai qui ont accompagné leur chef. Nous avons donc, au moment des faits, deux agents qui sont de service.»
Des hommes, des questions. «Ah, ces individus seraient venus prêter main forte aux hommes de loi craignant des manifestations hostiles à leur encontre ? C’est quand même bizarre que ces hommes de loi, apparemment engagés par le commissaire de police, aient pu se fier à une milice privée plutôt qu’à la police elle-même.»
«Une infraction grave». Pour Padma Utchanah, ce qui est arrivé est symptomatique d’une «dégradation de l’État de droit» : «L’ordre public est sens dessus dessous. Pourquoi Ashik Jagai a-t-il senti le besoin de faire venir toute une bande, composée de policiers, pour une simple interview à la radio ? En soi, c’est suspect. Le fait qu’ensuite il y ait eu des menaces envers le journaliste est une infraction grave : un comportement hors-la-loi. Ce sont des policiers qui ont eu des comportements dignes de la mafia italienne. Le Premier ministre est tenu responsable de la dégradation de l’État de droit !»
«Le règne de l’incompétence et de l’impunité». Propos de Joël Toussaint qui estime que ces images projettent un «message grave en ce qui concerne l’ordre public» : «Nous avons là l’illustration même de ce que les gens perçoivent comme le règne de l’incompétence et de l’impunité. Je veux bien demander à un juriste de m’instruire au sujet de l’article 188 du Criminal Code Act qui stipule que "toute association de malfaiteurs envers les personnes ou les propriétés est un crime contre la paix publique"». Il va plus loin, évoquant l’article 190 du Code Pénal : «Il prévoit aussi de sanctionner les ringleaders de ces associations de malfaiteurs, non pas en les mettant à l’amende, mais en les destinant directement à la servitude pénale. C’est dire à quel point ces considérations sont sérieuses et lourdes de conséquences.»
«Ne pas laisser faire». Padma Utchanah est d’avis qu’il ne faut pas regarder ailleurs. Qu’il est essentiel d’agir pour faire réagir : «Laisser faire, c’est accepter l’idée qu’il y a un État dans l’État ! Il est impératif que le journaliste Murvind Beetun alerte Reporters sans frontières. Il y va de sa sécurité. Les médias doivent être solidaires afin de dénoncer les violations de la liberté d’information.»
L’indignation face au silence et au manque d’actions. Pour Joël Toussaint, le silence du CP est problématique : «Cela m’indispose que la police en général, et le commissaire en particulier, ne soient pas intervenus pour interpeller les malfaiteurs qui se sont introduits chez Top FM et que ceux-ci, et de même que leur ringleader, soient toujours dans la nature, alors qu’en cas de culpabilité, la loi prévoit qu’ils soient mis à l’ombre.» Autre silence qu’il faut souligner, estime-t-il : celui de la présidente du Bar Council. Mais aussi celui du barreau mauricien at large : «J’aimerais bien connaître leur position sur ces attributions de leurs membres comme courtier ou courtisan auprès du bureau du CP. (...).»
Les obligations de l’employeur. Pour Joël Toussaint, il faut absolument prendre en considération la sécurité du journaliste. «Je dois admettre qu’il est malheureux que les journalistes ne soient toujours pas regroupés au sein d’une corporation professionnelle à Maurice.» Car, explique-t-il, «au-delà de ces considérations criminelles, il y a la question de la sécurité sur les lieux du travail, qui fait l’objet d’une législation particulière (...)». Une sécurité qui aurait dû être assurée : «Je suis tenu de considérer les obligations de Krish Kaunhye en tant que directeur de Top FM, et donc employeur de Murvind Beetun, à la lumière de l’article 12 (2) (b) de l’OSHA, de "enable the employee to stop work and immediately proceed to a place of safety in the event to his being exposed to serious and imminent danger".»
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