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Questions à...

Parvèz Dookhy, avocat-constitutionnaliste et observateur politique : «C’est un boulevard que nous offrons à l’Inde»

15 mars 2025

**Nous avons reçu la visite de Narendra Modi pour la fête de l’Indépendance. Quels étaient, selon vous, les enjeux pour Maurice ? ***

Je pense que Maurice voulait principalement avoir le soutien fort d’une forte puissance régionale comme parrain de la rétrocession des Chagos. C’est pour peser dans la balance, et assurer les Britanniques et les Américains que les Chagos ne seront pas à la disposition de la Chine, comme craint par une partie de la classe politique en Grande-Bretagne. Il y a sans doute un deuxième enjeu ; c’est de continuer à obtenir les grandes faveurs de l’Inde. Car en réalité, hélas, sans l’Inde, il n’y a plus de grands travaux à Maurice. L’État mauricien est devenu incapable par lui-même. L’annonce de la construction par l’Inde d’un nouveau Parlement en est l’illustration. L’article premier de notre Constitution proclame le caractère souverain et démocratique de Maurice. Le Parlement réunit les représentants de la nation. Et nous ne sommes pas capables de nous prendre en charge nous-mêmes. D’ailleurs, après avoir construit la Cour suprême, la justice, et maintenant, le Parlement, ce sera ensuite le nouveau siège du gouvernement. L’Inde aura la mainmise sur les trois pouvoirs de l’État.

Cette coopération est-elle une opportunité pour l’Inde d’améliorer ses capacités en matière de sécurité maritime ?

En contrepartie, l’Inde va régner sur notre zone économique exclusive, ce qui est un agrandissement considérable de la zone d’influence indienne. L’Inde veut devenir le maître de l’océan Indien. C’est un boulevard que nous offrons à l’Inde. Quant à Agaléga, il faut se rappeler que les discussions et la mise à disposition des îles aux Indiens avaient débuté en 2010 déjà. Qui était Premier ministre ? En fait, Pravind Jugnauth a poursuivi, à sa façon, le travail déjà initié. Ce n’est pas étonnant, sauf pour ceux qui ont cru à la bonne musique, que l’actuel régime poursuit au plus fort l’indianisation qu’il avait lui-même enclenchée. Vous savez, il y a un langage dans l’opposition et puis, un autre, même un silence, au gouvernement. Mais c’est au peuple d’avoir davantage de maturité d’esprit.

**Plusieurs accords ont été signés. Comment vont-ils nous aider à affiner notre stratégie en matière de relations bilatérales **?

Les accords, c’est l’exportation à Maurice de toute la culture administrative indienne et la culture au sens large aussi. Maurice est la vitrine de l’exportation indienne : sa culture et ses technologies. Plus notre haute administration est indianisée, par l’influence, plus l’importation par Maurice de la culture indienne sera aisée et fluide. C’est en ce sens qu’on parle de la formation d’un nombre important de nos fonctionnaires par l’Inde.

Dans son message à la nation, le Premier ministre a fait plusieurs annonces. C’est la première fois qu’un PM s’engage à venir devant la population «tous les 100 jours» pour informer le public des progrès réalisés par le gouvernement. Que pensez-vous de cet engagement ?

En politique, une annonce, c’est fait pour tempérer une réalisation. Lorsqu’on réalise, on n’a pas besoin d’annoncer. Si on annonce, c’est juste pour donner un sentiment, endormir le peuple. Hélas, le peuple est très manipulable. C’est le travers de la démocratie. Je pense que ce discours est tenu pour atténuer l’impatience de certains ou de beaucoup qui ne voient, objectivement, aucun changement concret, à part des personnalités, et un rôle inversé. L’un a pris la place de l’autre devant les enquêteurs et la justice.

Le «same day counting» dans le cadre des municipales a aussi été annoncé. Comment accueillez-vous cette nouvelle ?

Ce serait bien de l’appliquer aux élections municipales à venir en guise de test. Car, ce qui est annoncé en début de mandat et ce qui est réalisé réellement en fin de mandat (les élections générales par définition auront lieu en fin de mandat), il y a un grand écart. Partout dans le monde, c’est ainsi. Encore une fois, en l’annonçant, c’est donner le sentiment de l’avoir fait. Et puis, on pourra toujours à la fin trouver un prétexte pour expliquer pourquoi, finalement, ça n'a pas été possible. Mais ainsi, la revendication est mise en sourdine pendant toute la législature, donc, pendant cinq ans. Ce qu’il nous faut, c’est la possibilité pour l’électeur de pouvoir s’inscrire sur la liste électorale tout au long de l’année et non pas comme c’est le cas maintenant, soit à des dates spécifiques. Mais en matière d’affermissement de notre démocratie, il y a tant à faire : financement des partis/candidats, plafond réel des dépenses et contrôle, statut des partis, entre autres.

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