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Après neuf mois au pouvoir

Entre promesses et polémiques, l’Alliance du Changement face à un premier bilan

6 septembre 2025

Neuf mois après sa prise de pouvoir, le bilan de l’Alliance du Changement semble mitigé. Entre promesses électorales non tenues, tensions internes et polémiques à Air Mauritius ou à la Banque de Maurice, le gouvernement peine à convaincre et à regagner la confiance des Mauriciens.

Neuf mois. Le temps d’une grossesse. Il y a d’abord eu l’attente, l’excitation et l’espoir d’enfin pouvoir tourner une page et d’ouvrir un nouveau chapitre plus radieux. Après le ras-le-bol qu’a suscité la gouvernance à la Jugnauth, les Mauriciens avaient hâte de voir éclore une gouvernance différente. Surfant sur cette vague de mécontentement populaire, l’Alliance du Changement misait sur le début d’une nouvelle ère pour le pays. Mais la gestation a été plutôt compliquée et l’Alliance du Changement semble avoir accouché trop tôt d’une série de crises au lieu de donner vie à ses promesses et à ce vent de renouveau tant espéré.

En effet, jusqu’ici, chaque trimestre semble avoir apporté son lot de secousses. Entre premières tensions internes, nominations controversées et polémiques, ces neuf mois au pouvoir ont, pour de nombreux Mauriciens, davantage ressemblé à une gestation difficile qu’à une période joyeuse. Cependant, si certains estiment que l’Alliance du Changement peine à offrir au peuple mauricien le souffle attendu, d’autres sont plus indulgents et voient dans les tensions une preuve de vitalité démocratique. Pour eux, les divergences au sein du gouvernement montrent simplement que la démocratie fonctionne et qu’il peut y avoir plusieurs façons de voir les choses.

Les deux observateurs livrent leur analyse de la performance du gouvernement jusqu'ici.

Pour l’observateur Faizal Jeeroburkhan, le tableau n’est donc pas entièrement sombre. «Il semble que le bilan soit globalement positif, compte tenu des contraintes macroéconomiques, sociales, environnementales et administratives laissées par le précédent gouvernement. Des avancées notables ont été réalisées sur plusieurs plans, notamment en matière de gouvernance, de démocratie, d’économie et de finances publiques, de lutte contre la criminalité financière et le trafic de drogue, ainsi que dans le renforcement de l’indépendance et du fonctionnement des institutions, y compris du Parlement.»

En revanche, dit-il, dans d’autres domaines, le bilan reste mitigé, voire négatif. «On peut citer à titre d’exemple les nominations à caractère politique, le népotisme, les promesses électorales non tenues, la lenteur dans la prise de décisions et dans l’administration, ainsi qu’un manque évident de consultation, de dialogue et de communication.» D’ailleurs, en ce qui concerne les promesses électorales non respectées, Maurice a été, il y a quelques jours, citée en exemple aux Seychelles par le président Wavel Ramkalawan. Une remarque qui est loin de faire honneur au pays, estime pour sa part Parvèz Dookhy, alors que pour Faizal Jeeroburkhan, bien que cela constitue un faux pas diplomatique, cette remarque traduit une réalité qu’il est impossible d’ignorer et qu’il convient de combattre avec fermeté. «L’image de la nation sur la scène internationale s’en trouve ternie, et la crédibilité du gouvernement a été sérieusement entamée. Les conséquences sur les investissements étrangers restent difficiles à mesurer à court terme. Espérons néanmoins que le gouvernement saura tirer les leçons nécessaires de cet épisode et qu’il mettra en place un mécanisme de régulation afin de prévenir les excès liés aux fausses promesses électorales lors des prochaines campagnes.»

Constat mitigé

Cette remarque à l’international illustre, selon certains, les conséquences concrètes des manquements du gouvernement, mais pour d’autres, elle n’est que la partie émergée de problèmes plus profonds et structurels. C’est dans ce contexte que Parvèz Dookhy se montre particulièrement sévère. Pour lui, l’Alliance du Changement n’a, pour l’instant, rien à présenter comme bilan. «Je dis absence de bilan pour dire que c’est encore plus mauvais qu’un bilan négatif. Dans le sens où l’Alliance du Changement a été, à tort ou à raison, porteuse d’un espoir. Au lieu de ça, qu’a-t-on eu ?La renonciation aux promesses électorales, le copinage au carré, le népotisme pro max comme on dit, l’opacité administrative, la manipulation des institutions.»

Il faut dire que ces derniers mois ont été marqués par plusieurs polémiques : nominations controversées à la NEF, à Airport Holdings et à la Competition Commission où, face à la pression publique, les personnes citées ont fini par se dédire. Il y a eu aussi le transfert de la Junior Minister Anishta Babooram au ministère de la Santé après qu'elle a étalé au grand jour ses problèmes relationnels avec la ministre Arianne Navarre-Marie ; le dossier brûlant d’Air Mauritius ; la crise à la Banque de Maurice avec le bras de fer impliquant Rama Sithanen, Gérard Sanspeur et Paul Bérenger, entre autres.

Si, dans une alliance politique, souligne Faizal Jeeroburkhan, les tensions entre partenaires sont presque inévitables, ces récents événements ont néanmoins fragilisé la gestion des affaires publiques ainsi que la solidarité collective au sein de l’alliance, tout en ébranlant la confiance du public. Même s’il paraît, dit-il, que le gouvernement semble avoir réussi, tant bien que mal, à surmonter les menaces de déstabilisation apparues au cours des neuf premiers mois de son mandat, la situation demeure fragile et peut s’embraser à la moindre étincelle. «La cohésion interne de l’Alliance du Changement repose donc sur sa capacité à gérer ces différends. Le risque d’une rupture de l’alliance est réel. La solution réside dans la capacité des dirigeants de l’alliance à travailler en équipe, de manière harmonieuse, en mettant de côté leurs divergences politiques et leur ego personnel.»

Par ailleurs, le fait d’exposer ces divisions sur la place publique n’a fait qu’aggraver la situation et miner davantage la confiance des citoyens dans la capacité de l’alliance à rétablir une gouvernance saine. «L’Alliance du Changement réunit des partis politiques hétérogènes, porteurs de cultures politiques et d’aspirations différentes. Chaque formation cherche à maximiser son influence et à défendre son électorat. Les rivalités découlent de l’entrecroisement entre ambitions personnelles, intérêts partisans, enjeux électoraux, luttes d’influence, mais aussi des pressions d’ordre communal et caséiste. S’ajoute à cela l’impact des réseaux sociaux, des syndicats, des associations socioculturelles et du secteur privé. Ces dynamiques peuvent être interprétées comme des signes d’une démocratie vivante. Toutefois, si elles sont mal gérées, elles risquent de renforcer les tensions internes, voire de provoquer l’éclatement de l’alliance.» Pour l’observateur, les parlementaires doivent encore trouver le juste équilibre entre la liberté d’expression individuelle et la solidarité collective.

De son côté, Parvèz Dookhy avance que l’Alliance du Changement repose sur un partage du pouvoir, et non sur un véritable consensus idéologique. «Cela entraîne des batailles internes pour les nominations, les contrats et l’électorat, renforcées par la compétition communautaire classique à Maurice et les rivalités entre colistiers. Le gouvernement est donc difficile à gérer, mais la coalition tient grâce à l’interdépendance entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger : Ramgoolam cherche à prolonger son pouvoir après 2029 via une réforme constitutionnelle, tandis que Bérenger veut sécuriser l’élection de sa fille Joanna et garantir la représentation proportionnelle pour les dirigeants du MMM.» Pour lui, le gouvernement a été constitué comme un «gâteau» à partager entre le PTr et le MMM, sans réelle réflexion sur les compétences ou la structure. Une absence de préparation, qui se répercute sur l’ensemble de la gouvernance, notamment à la Banque de Maurice, à Air Mauritius et dans les nominations, tandis que les conflits internes entre partenaires de l’alliance aggravent la situation, dit-il.

S’ajoute à cela une communication plutôt décevante, lance Faizal Jeeroburkhan, particulièrement visible dans la gestion du dossier du relèvement de l’âge de la retraite. «Tout a été fait dans la précipitation, sans consultations ni campagne de communication auprès de la population. Le manque de préparation de l’opinion publique a alimenté la méfiance et la colère des citoyens, débouchant sur une fracture avec la population.» Néanmoins, le dialogue, estime-t-il, n’est pas totalement rompu avec la population.* «Le gouvernement peut toujours se rattraper en changeant son fusil d’épaule et en mettant sur pied des cellules de concertation et de communication pour la vulgarisation de ses projets futurs.» *En effet, reste à voir désormais si l’Alliance du Changement saura transformer cet enfant en une gouvernance solide et regagner la confiance des Mauriciens.

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