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Suite au décès d'une Health Care Assistant de 44 ans : les conditions de travail du personnel de la santé publique sont remises en question

6 juillet 2023

Les membres dr la MHEU ont tenu une manifestation pacifique à l'hôpital de Moka ce mercredi 28 juin pour dénoncer «l'inaction» des autorités face à leurs conditions de travail difficiles.

Manque d’effectifs, harcèlement, conditions de travail déplorables, burn-out ; ce sont tant de problèmes auxquels fait face le personnel de la santé publique. A plusieurs reprises, au cours de ces dernières années, ils ont fait part de leurs doléances au ministère de la Santé dans des correspondances mais celles-ci sont toujours restées sans réponse. Ce mercredi 28 juin, des travailleurs du secteur de la santé publique, également membres du Ministry of Health Employees Union (MHEU), ont tenu une manifestation pacifique au Subramania Bharat Eye Hospital de Moka. Leur objectif n’était pas seulement de dénoncer les nombreux manquements dans le système de la santé publique avec des pancartes, mais aussi de rendre hommage à leur collègue – une Health Care Assistant (HCA) âgée de 44 ans –, décédée le 21 juin dernier. La quadragénaire, qui avait été hospitalisée après avoir fait un accident vasculaire cérébral (AVC) à son domicile après son service, avait passé huit jours au département des soins intensifs de l’hôpital Dr A. G. Jeetoo avant de rendre l’âme. Quelque temps avant son décès, elle s’était plainte de surmenages auprès de ses collègues car son volume de travail avait considérablement augmenté à cause du manque de personnel.

 

Mariée et mère de deux enfants, la défunte comptait plus de 20 ans de service dans le secteur médical. Affectée à l’hôpital ophtalmologique de Moka depuis plusieurs années, après avoir travaillé notamment à l’hôpital civil et dans plusieurs dispensaires, cette HCA était membre de la MHEU. Son collègue Amarjeet Seetohul, président du syndicat, raconte qu’il y a six mois, la quadragénaire avait été transférée à un autre département. Elle était chargée d’effectuer le screening, le Random Blood Sugar test (RBS) et l’électrocardiogramme des patients admis. «Dan koumansman, li ti pe travay korek. Li ti ena 25-30 pasian par zour. Cependant, depuis avril dernier, une décision a été prise au niveau du management et plus de patients ont été référés à ce département. Sa charge de travail a augmenté de manière conséquente. Elle s’est vite retrouvée avec trois fois plus de patients.» Il poursuit : «Elle m’avait dit qu’elle avait trop de travail, qu’elle se sentait fatiguée. Elle m’avait confié qu’elle avait demandé à l’administration de la transférer vers un autre département.» Sa famille était également au courant des difficultés qu’elle rencontrait au travail. Son neveu, présent à la manifestation pacifique, explique que «bannla ti refiz so transfer. Kan li ti pe explik so problem, zot ti pe fer santaz, ti pe dir pou avoy li lopital sivil». Plus récemment, dit-il, «li ti demann pou transfer li pli pre avek so lakaz parski li ti ena bann vye dimounn ki li ti pe bizin okipe kot li. Li ti deza avoy enn let me zame pa finn donn li oken repons. Zot ti bizin rod enn solisyon pou li.»

 

Ses démarches n’ayant pas abouti, elle avait ainsi demandé l’aide de son syndicat. Amarjeet Seetohul explique avoir, à son tour, entamé des démarches et demandé à l’administration de pallier le manque d’effectifs. «Zot ti dir mwa zot pa kapav desid nanye pou staffing ek inn refer mwa a Medical Superintendant.» Néanmoins, ce dernier aurait, pour sa part, simplement avancé que les heures de travail étaient de 9h à 16h, que le nombre de patients lui importait peu, et qu’il ne comptait pas augmenter le personnel. Le président du MHEU avance que «notre collègue, qui avait déjà des problèmes personnels chez elle, a continué de travailler et était constamment sous pression. Jusqu’au jour où elle a fait un AVC après ses heures de travail, avant de décéder une semaine plus tard.» Est-ce que la fatigue, l’épuisement et le burnout ont contribué à son décès ? Le MHEU réclame une enquête indépendante pour le déterminer. Quant au neveu de la victime, il avance que «nous prévoyons d’entamer des actions légales après avoir consulté un homme de loi».

 

«Victimes d'une dictature...»

 

Le sort de cette HCA n’a pas laissé les autres membres du secteur de marbre. L’une d’elles, qui compte aussi plusieurs années de service en tant que HCA, raconte que «plusieurs fois, auparavant, notre collègue rencontrait la matrone pour se plaindre mais rien n’a été fait. Ils ont fait la sourde oreille. D’autant qu’elle s’était retrouvée dans l’obligation de faire un travail qui n’était pas dans son scheme of duty. Kouma ou koze, zot menas pou avoy ou lopital sivil». D’ailleurs, après la manifestation pacifique de ce mercredi, dit-elle, «ils ont menacé de prendre des sanctions contre tous ceux y ayant participé. Mazine dan ki kalite stress nou travay», déplore notre interlocutrice. Elle poursuit : «Mo kamarad plizier fwa inn al get ladministrasion, inn demann pou sanz so posting, inn demann pou sanz departman, me zot pann ekout li.» Avant son AVC, dit-elle, «so la vey li ti pe dir li nepli kapav, ki linn tro fatige. Li ti mem dir enn kamarad ki enn zour li pou fer enn infarctus, ki li pou mor dan travay. Se samem ki finn arive.» Elle se désole que «travay inn ogmante me personel finn res parey. Kouma ou koze, zot fer santaz. Kan ou dir ki problem ou gagne, ou al get sindika, ou fini black-listed. Au final, nous ne savons même plus vers qui nous tourner ou quelle porte frapper. Nous sommes morally harassed, nous travaillons dans la terreur. C’est une culture à l’hôpital de Moka. Nous avons l’impression d’être victimes d’une dictature ; nous sommes démotivés. Si cela continue, il y aura d’autres victimes.» Elle estime que «c’est une situation qui aurait pu être évitée. Si mo kamarad inn perdi so lavi, se parski pann pran aksyon».

 

Ces conditions de travail «déplorables» n’existeraient pas seulement à l’hôpital ophtalmologique de Moka. D’après un HCA de l’hôpital Victoria, à Candos, «notre plus grande difficulté ici est le shifting of responsibilities. Ceux qui sont hiérarchiquement au-dessus ont souvent tendance à relayer leur tâche vers les HCAs alors que c’est tout à fait illégal. Enn dimounn ki pa resevwar enn training pou enn travay, ou pa gagn drwa dir li fer li. Enn pasian sipoze gagn so tretman avek enn "well-trained and recognised staff". Li pa posib ki ou harsel enn travayer, ou menas pou transfer li si li refiz enn travay pou ki li pena formasyon.» Selon lui, «ce qui est dangereux dans cette façon de faire, c’est qu’après que l’employé a refusé, on cherche à le faire passer pour le coupable, à faire croire qu’il refuse de travailler. Zot mett tou kalite piez pou transfer li. Il y a beaucoup de harcèlement dans le milieu. Monn resi dir "non" me mo ena boukou koleg kinn sede parski li pli fasil.» Il s’interroge : «Tant qu’il n’y a pas mort d’homme, tout le monde se tait. Et si un patient perd la vie à cause de la négligence de nos supérieurs, est-ce que le HCA devra encaisser toute la responsabilité ? Zour pou ariv enn problem, minister pou zis lav lame li. C’est le HCA qui risquera de perdre son métier et c’est aussi le patient qui sera perdant. On ne peut pas plaisanter avec la santé.»

 

Durant la manifestation pacifique, d’ailleurs, Amarjeet Seetohul a fait état de tous les manquements qui existent dans la santé publique. Il avance avoir, il y a plusieurs années, envoyé une correspondance au ministère de la Santé et au Premier ministre pour leur faire part du «harcèlement» dont étaient souvent victimes les HCAs mais déclare n’avoir obtenu «aucune réponse concrète». «Il aura fallu que je réfère le cas au Bureau International du Travail, à Genève, et qu’un rapport soit publié pour que nous soyons pris en considération. Malheureusement, si cette situation s’était calmée pendant quelque temps, nous avons l’impression que le cas se répète aujourd’hui.» Pour pallier le manque d’effectifs, il dit avoir suggéré une formation de deux ans pour les HCAs pour qu’ils deviennent des licensed practical nurse «de sorte à ce qu’ils puissent apporter leur aide aux infirmiers et les libérer de certaines tâches. En 2020, nous avions même eu une rencontre avec le ministre Jagutpal pour en parler et cela est mentionné dans le procès-verbal. Bien que le Pay Research Bureau ait accepté que nous suivions ce cours, nous sommes toujours dans l’attente du feu vert du ministère. Le ministère procède à la construction de nouveaux hôpitaux et dispensaires mais il n’y a pas de recrutement en parallèle». Sans compter qu’il avait aussi réclamé un carnet de santé pour le personnel.

 

En avril dernier, dans une autre correspondance, il a aussi fait état des conditions dans lesquelles travaille le personnel du Subramania Bharat Eye Hospital de Moka. «Notre mess room est dans un état déplorable. Le bâtiment tombe en ruine, le toit fuit. Il n’y a aucun confort pour le personnel. L’aire de stationnement n’est pas sécurisée. Nous sommes dépourvus des ressources basiques auxquelles nous avons droit.» Cette fois encore, sa correspondance est restée sans réponse. Pour une meilleure gestion des hôpitaux publics, il estime qu’ «il faudrait que des professionnels avec des qualifications en management soient choisis pour les diriger, et non pas des professionnels de la santé». Il parle aussi des lacunes dans la loi vu que «le gouvernement ne peut pas poursuivre le gouvernement. Il faudrait que le directeur d’un hôpital puisse être accountable en cas de manquement quelconque dans un hôpital.» Sollicité, le ministère de la Santé indique que son département des ressources humaines a pris connaissance des complaintes formulées et promet de prendre des mesures, si besoin, pour pallier au manque d’effectifs dans le secteur. Néanmoins, il n’a pas encore été décidé, à ce stade, si une rencontre avec le président de la MHEU est prévue.

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