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Dans l’enfer des victimes de la vente à la barre

1 juillet 2016

Comme Mawtee Sohawon, Manoj Sohawon et Bindabun Samlall, de nombreux Mauriciens ont du mal à honorer leur prêt de logement.

Chaque jeudi, des drames humains se jouent en Cour suprême à Port-Louis. Les visages crispés et en larmes, des familles entières se retrouvent à la rue en une fraction de seconde et assistent, impuissantes, à la vente de leur maison à la barre. Souvent vendue à un prix très inférieur à la valeur réelle de la propriété en question. Toutefois, la vente à la barre, qui concerne les biens immobiliers hypothéqués saisis à la suite d’emprunts non-remboursés, est depuis longtemps considérée comme une pratique injuste et est décriée notamment par Salim Muthy, représentant des victimes de la Sale by Levydans l’île. Pour mettre fin à ce système, il réclame la mise en œuvre des recommandations faites par la magistrate Wendy Runghen.

 

Cette dernière avait présidé une commission d’enquête sur les implications du système de vente à la barre dans l’île, qui avait entendu environ 170 personnes lors des 41 sessions organisées. «Le rapport a été soumis au président de la République en août 2014 et rendu public le 6 mai 2015 par le Conseil des ministres. Mais à ce stade, rien n’a été fait. Alors que le rapport de la magistrate contient de bonnes recommandations qui permettront de mettre fin à ce système injuste qui plonge plusieurs familles dans le désespoir», souligne Salim Muthy.

 

Et parmi les victimes, Manoj Sohawon, un célibataire de 41 ans, qui se bat toujours pour récupérer sa maison familiale située à Roche-Terre. Les larmes aux yeux, il raconte son calvaire. «Tout a commencé en 1991. Mon frère avait pris un emprunt de Rs 350 000 auprès de créanciers pour l’agrandissement de notre maison familiale que notre défunt père nous avait léguée. Mais quelques mois après avoir contracté cet emprunt, il est tombé gravement malade et l’argent en question a servi à payer ses soins médicaux. Il avait subi une transplantation du rein», explique ce célibataire, complètement désespéré.

 

De fil en aiguille, les dettes ont commencé à s’accumuler. «Mais la famille à l’étranger nous aidait au mieux de ses capacités. L’un de nos frères avait même envoyé de l’argent pour la construction d’un autre étage sur la maison familiale. Entre-temps, il y avait les intérêts qui grimpaient sur le prêt de Rs 350 000 qui est arrivé à Rs 1,2 m. C’est ainsi qu’en 2009, la maison a été saisie et vendue à la barre à environ Rs 1,7 m. Alors qu’elle en valait bien plus.»

 

Mais s’il veut récupérer sa maison, il lui faut trouver la somme de Rs 3,5 m. «Je me bats pour récupérer notre maison. C’est notre héritage. Avant, on vivait à 19 personnes dans cette grande maison. Mais lorsqu’elle a été vendue à la barre, notre famille s’est retrouvée à la rue, du jour au lendemain, avec toutes nos affaires. Aujourd’hui, je vis chez un ami. Alors que mamère, atteinte d’un cancer du sein, loue une maison à Rs 8 000 avec d’autres proches. Depuis, j’essaie de récupérer la maison. J’aimême emprunté de l’argent auprès d’une personne. Mais je me suis retrouvé dans l’incapacité de le rembourser. L’affaire a été portée en cour et j’ai écopé d’une peine de prison. On m’a relâché il y a peu pour bonne conduite», lâche-t-il, désolé.

 

Qui dit vente à la barre, dit aussi pratiques douteuses. Samlall Bindabun, un habitant de La Louise, Quatre-Bornes, en sait quelque chose. En 2005, il fait une demande de Rs 950 000 auprès d’une institution bancaire pour l’achat d’une maison. Mais le montant est revu à la baisse et il obtient un prêt de Rs 650 000. «J’ai dû trouver l’argent manquant pour compléter l’achat. Ensuite, l’institution en question s’est chargée d’envoyer tous les documents chez un notaire pour que je puisse avoir mon contrat de vente. Entretemps, je m’acquittais de mon remboursement mensuel qui s’élevait à Rs 7 660. Les mois passaient et je n’étais toujours pas en possession de mon contrat. Je suis allé voir l’institution en question pour lui faire part de mon problème et pour qu’à son tour, il s’enquiert de ce qui se passe concernant mon dossier auprès du notaire. On m’a fait comprendre que ce n’était pas le problème de la banque.»

 

Entre-temps, dit-il, le notaire en question est décédé, rendant encore plus difficiles ses démarches administratives en vue d’obtenir son contrat. «Au final, j’ai arrêté de rembourser le prêt au bout de deux ans. Car je payais pour une maison qui n’était toujours pas à mon nom. Et le propriétaire de la maison refuse lui aussi de faire le nécessaire. Au moment de l’achat, il devait Rs 200 000 à la banque. Et aujourd’hui, même si la maison n’est pas à mon nom, on m’a envoyé une lettre, me demandant de payer les arriérages accumulés sur mon compte. Sinon, la maison sera vendue à la barre le 30 juin. Comment puis-je me présenter en cour ou trouver un arrangement pour régler les arriérages quand le bien en question n’est même pas à mon nom ?»se demande Samlall Bindabun, en colère devant la complexité de son cas.

 

Comme un malheur ne vient jamais seul, ce père de famille doit conjuguer avec la maladie qui frappe sa femme. Cette dernière, atteinte d’une tumeur, tient difficilement le coup, dit-il. «Je suis commerçant et les affaires ne marchent pas vraiment en ce moment. Je dois m’occuper de mon épouse qui vient de subir une opération. Mon fils de 20 ans fait un petit boulot et on risque de se retrouver à la rue à tout moment. Je ne sais plus quoi faire. Je ne dors plus.»

 

Gérard Coutee, 64 ans, vit, lui, chez son fils depuis plusieurs années. Policier à la retraite, il s’est reconverti dans la sécurité afin de joindre les deux bouts. Sa descente aux enfers a commencé au moment où il a voulu se mettre à son compte. «J’avais fait une pause au sein de la police pour me mettre à mon compte. Mais cela a mal tourné pour moi. J’ai commencé à accumuler les dettes que je n’arrivais plus à rembourser. Au final, ma maison a été vendue à la barre. Depuis, je vis chez mon fils. À mon âge, je n’aurais pas de prêt avec les institutions. C’est difficile de retourner à zéro», déclare-t-il, impuissant.

 

La maison dans laquelle il a vécu durant plus de 15 ans, située à Camp-Levieux, a été vendue en 2013. Une expérience traumatisante que Gérard Coutee n’oubliera jamais. Ainsi que toutes les personnes qui se retrouvent dans de telles situations.

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