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Drogues synthétiques : réveillez-vous !

14 juillet 2016

Il y a eu Alexandre Cotte, un jeune de 21 ans qui est mort le 26 mars d’un œdème pulmonaire après avoir consommé de la drogue de synthèse. Un ancien élève du collège St-Esprit, décrit comme étant brillant. Trois mois plus tôt, c’est son cousin Brian Cotte, 23 ans, qui a été retrouvé inconscient chez lui. À l’hôpital, son décès n’a pu qu’être constaté. Un décès attribué, selon l’autopsie, à la consommation d’un mélange de méthadone, de Rivotril et de Brown Sugar

 

Il y a aussi eu Varun Jagganadum, 20 ans, qui s’apprêtait à s’envoler pour la Malaisie afin d’y mener ses études supérieures. Cet ancien élève du collège SSS Bissoondoyal à Rose-Belle, qui a brillé pendant ses études secondaires, a été retrouvé sans vie dans une maison abandonnée à Curepipe, le 2 mai. L’autopsie a révélé qu’il est mort d’un œdème pulmonaire causé par une overdose. Le 1er juillet, c’est Bryan Juste, 19 ans, qui a été retrouvé mort dans les toilettes de l’ancien bureau de la Sécurité sociale à Bambous. Lui aussi est décédé des suites d’un œdème pulmonaire causé par une overdose. Si la police attend désormais les résultats des analyses pour déterminer s’il s’agit bien de drogue synthétique, ses amis ont affirmé que Bryan Juste en consommait.

 

Comme eux, d’autres jeunes ont perdu la vie depuis l’apparition des drogues synthétiques, confirmant la montée en puissance de ces produits illicites. Ils portent plusieurs noms, se présentent sous différentes formes, différentes couleurs, mais sont tous indistinctement des drogues synthétiques. On les appelle C’est pas bien, Black Mamba, White Widow, AK 47, Blue Magic, Mushroom, Fraise, Spice, Amsterdam, La Veuve Noireou encore Ben Laden, Salvia, Krokodilet Batte dan latet. On les trouve assez facilement – certains en fabriqueraient même dans les laboratoires de leur collège et une dose coûterait à partir de Rs 50. Pourtant, les effets de ces drogues sont d’une extrême dangerosité.

 

Si nombreux de ces consommateurs ont eu plus de chance qu’Alexandre Cotte et Bryan Juste, il n’empêche qu’ils ont vu la mort de près. Ces drogues, fabriquées à partir de substances inconnues, ont des symptômes qui peuvent s’avérer très dangereux sur la santé de ceux qui en consomment. Contrairement au traditionnel cannabis, l’effet du «nisa»est immédiat et beaucoup plus violent : crise d’anxiété, hallucinations, paranoïa, vomissements, perte de connaissance, entre autres. À la première bouffée de certaines de ces drogues, le consommateur perd toute notion de ce qui l’entoure et s’engouffre dans un «bad trip»qui peut durer plusieurs heures et s’avérer aussi dangereux que mortel. Dans certains cas, les effets sur le cerveau seraient même irréversibles. Face à la hausse du nombre de consommateurs, de leur jeune âge, de l’infiltration de ces drogues partout dans le pays et au sein de toutes les couches sociales, les travailleurs sociaux ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. L’heure est grave, martèlent-ils.

 

En face, le ministre de la Santé, Anil Gayan, ne l’entend pas de cette oreille. Sa déclaration selon laquelle la situation des drogues de synthèse à Maurice ne serait pas alarmante a choqué plus d’un et a soulevé un tollé chez les travailleurs sociaux qui constatent tous les jours une autre réalité dans les villes, les villages, les quartiers, les collèges, les familles. Pour eux, il n’y a pas de doute. La situation est critique. Et si un plan d’action n’est pas vite mis sur pied, on ne contrôlera plus rien.

 

Pour Danny Philippe, coordinateur de LEAD, le constat est alarmant et les dégâts sont plus que jamais visibles. «Avec les autres ONG, nous n’arrêtons pas de faire des visites dans les quartiers et collèges. Nous faisons de la prévention autant que nous le pouvons, mais nous ne savons pas ce que contiennent ces drogues. Donc, on ne peut proposer aucun traitement. Tout ce que nous pouvons faire pour le moment, c’est de les écouter, de leur parler et de leur dire encore et encore de ne pas y toucher»,dit-il.

 

Pour le travailleur social, on ne peut pas parler des victimes comme étant des cas isolés car c’est tout le pays qui est touché aujourd’hui. Depuis le Black Mamba, le cannabis synthétique, qui est apparu il y a trois ans, précise-t-il,les drogues synthétiques ont progressé à une vitesse folle et ne cessent de prendre dans ses filets de plus en plus de jeunes : «Pour eux, c’est comme un défi. Ils ont envie de toucher à ce qui est dangereux, de ressentir des sensations fortes. Ils ne voient pas que ça pourrait les tuer. Lorsqu’ils en consomment, ils passent par des crises de paranoïa, des hallucinations pendant plusieurs heures, ont le rythme cardiaque qui s’accélère. Ils tombent dans un état second, laissant leur famille démunie et dans la peur.»

 

Tirer la sonnette d’alarme

 

Cadress Rungen, coordinateur du Groupe A de Cassis, se souvient encore de cette maman en pleurs qui est venue il y a quelques jours chercher de l’aide à Lakaz A pour son fils de 15 ans accro à ces substances. Une triste réalité qui touche malheureusement de plus en plus de familles. «Ce constat, nous le faisons quotidiennement lorsque nous sommes sur le terrain pour les programmes de prévention que nous menons dans la communauté. Les témoignages des jeunes et des parents nous donnent une indication que la drogue synthétique a pris une ampleur importante à Maurice»souligne le travailleur social. Des signes comme ça, il en a plusieurs, dit-il. Il vient d’un prêtre qui déclare qu’il vient d’officier l’enterrement de deux jeunes entre 20 et 25 ans morts de la drogue. Il vient des mineurs qui se rendent à Lakaz A pour demander de l’aide. Il vient aussi des recteurs qui appellent pour que son équipe et lui viennent faire des causeries dans son collège parce que les risques sont trop importants. C’est tout cela et bien plus encore qui poussent les travailleurs sociaux à tirer la sonnette d’alarme.

 

Voir un ministre qui les traite d’alarmistes, souligne Cadress Rungen, le rappelle la situation qui prévalait dans les années 80 lorsque le Brown Sugarcommençait à faire son entrée dans les quartiers. «À cette époque, il n’y a avait que quelques jeunes qui en prenait et petit à petit le nombre de consommateurs augmentait. Une dose se vendait à Rs 15 ou Rs 20. Regardez aujourd’hui la calamité que cette drogue a causée. Aujourd’hui, on parle d’échanges de seringues, de méthadone» raconte t-il. Sida et diverses maladies, problèmes économiques et sociales, les répercussions ont été désastreuses. C’est pourquoi, ajoute le travailleur social, qu’il est important de mettre sur pied un plan d’action, de prévention, de sensibilisation à trois niveaux : famille, école et la communauté : «On doit tous travailler ensemble. C’est tout ce qu’on demande. Nous n’avons pas de gros moyens mais si nous unissons nos forces, nous pourrons sillonner le pays et toucher bien plus de monde.»Pour Cadress Rungen, il est plus que jamais important d’en parler. Ne pas se mobiliser contre les drogues synthétiques, dit-il, serait un crime contre notre pays.

 

Même son de cloche du côté de l’association A.I.L.E.S à Mangalkhan. Chaque jour, souligne Brigitte Michel, la coordinatrice, les jeunes, accompagnés de leurs parents, viennent chercher de l’aide pour se faire soigner. Mais «on n’a rien à leur proposer, sinon de les emmener voir un psychiatre et un médecin afin de soigner les symptômes comme les maux de ventre, les vomissements, les hallucinations causés par la prise des drogues synthétiques». Le traitement de ces personnes, dit-elle, est difficile car il y a peu d’informations qui circulent sur les composants de ces produits. «Nous avons beaucoup d’expérience dans l’aide aux patients, mais nous n’avons aucun programme de détoxification concernant cette addiction. Nous sommes dépourvus face à cette situation»,confie-t-elle.

 

Les ONG se serrent les coudes pour toucher un maximum de jeunes afin de les mettre en garde contre les drogues synthétiques. «Nous avons une approche friendly. Ils nous parlent, mais nous leur promettons en retour qu’il n’y aura pas de dénonciation de notre part. Nous discutons avec eux, établissons un rapport de confiance avant de les mettre en garde»,souligne Danny Philippe. Aujourd’hui, c’est toute l’île Maurice qui doit se sentir concernée par ce fléau : «Nous sommes tous des partenaires : la société civile, le secteur privé et le gouvernement. Nous devons tous réfléchir ensemble pour établir un plan.»Après les propos d’Anil Gayan, le travailleur social pense que la société civile s’adressera dorénavant directement au Premier ministre et à la population. «Je dois cependant dénoncer le silence de l’opposition qui, à mes yeux, n’ont semble-t-il rien à signaler sur ce sujet. C’est aberrant !»ajoute notre interlocuteur.

 

La déception et l’amertume du côté de Brigitte Michel ne font pas de doute : «C’est la première fois que la société civile se sent acculée face à ce genre de dangers. Un ministre de la Santé qui trouve qu’on exagère quand on parle de jeunes qui consomment des drogues de synthèse et qui en meurent, qui essaie de nous discréditer quand nous essayons d’agir comme des whistle blowers,n’est pas digne d’être à la tête de ce ministère. Nous sommes des partenaires et des experts sur le terrain. Depuis qu’il est au gouvernement, il n’a pas arrêté de rabaisser et d’ignorer la société civile. Nous traiter en adversaire ne sera jamais productif.»Les travailleurs sociaux, dit-elle, n’ont pas cessé d’alerter les autorités sur la situation.

 

Aujourd’hui, souligne Brigitte Michel, c’est ensemble qu’il faut trouver de nouvelles approches pour protéger nos jeunes.

 


 

Des chiffres qui inquiètent 

 

Il y a quelques semaines, trois travailleurs sociaux, Cadress Rungen, Danny Philippe et Imran Dhunnoo, se sont réunis pour dénoncer ouvertement la montée en puissance des drogues synthétiques dans le pays et les ravages causés chez les jeunes. Les chiffres avancés par ces hommes de terrain en disent long sur la situation à Maurice. Les trafiquants des drogues de synthèses s’agglutineraient particulièrement autour des jeunes de 11 à 25 ans. Si l’année dernière, le Premier ministre sir Anerood Jugnauth confirmait lui-même, lors d’une séance parlementaire, le décès de 21 Mauriciens par overdose lié à la consommation des Nouvelles Drogues Synthétiques (NDS) de janvier 2014 à juin 2015, les chiffres semblent aujourd’hui prendre l’ascenseur.

 

Au Centre Idrice Goomany, 242 personnes ont été reçues pour recevoir de l’aide de janvier à mai 2016. De ses 242 personnes, la majorité est âgée entre 21 et 30 ans et 65 % d’entre elles ont déjà consommé du synthétique. Dans notre édition de dimanche dernier, vous avez pu découvrir l’entretien du Dr Anju Ramdinny-Purryag, psychiatre à Brown-Séquard, dont les chiffres ne laissent aucun doute sur les ravages de ces drogues. En 2015, a-t-elle expliqué, 47 % des admissions à Brown-Séquard étaient liées aux drogues synthétiques. 54 cas, dont une seule femme, ont été répertoriés. De ces 54 cas, 21 patients ont moins de 18 ans, 23 hommes sont âgés entre 18 et 30 ans, et 8 hommes ont entre 30 et 40 ans. Seulement trois hommes ont plus de 40 ans.

 

Depuis le début de cette année, de janvier à avril 2016, 18 garçons et une fille ont été admis à l’hôpital Brown-Séquard. Parmi eux, 8 jeunes ont moins de 18 ans, 6 sont âgés entre 18 et 30 ans, et 5 hommes ont entre 30 et 40 ans.

 


 

Ally Lazer–Anil Gayan: Le duel 

 

Entre les deux, l’affrontement est lancé. Tout a commencé il y a plus d’une semaine après que le ministre de la Santé Anil Gayan est allé déposer devant la commission d’enquête sur la drogue. Lorsque ce dernier a déclaré ensuite à la presse que la situation de la drogue synthétique à Maurice n’était pas alarmante, le travailleur social n’a pas pu s’empêcher de monter au créneau. Selon lui, Anil Gayan a induit la commission en erreur, en déclarant que la situation n’est pas alarmante alors qu’il a déposé comme légiste et sous serment. «Nous ne cessons de dire le contraire depuis des mois et des mois. Aujourd’hui, il n’y a plus de place au Brown-Séquard parce que tous ceux ayant consommé cette drogue y sont admis pour tendance suicidaire ou problèmes psychiatriques. D’autres ont même dû être transférés dans d’autres hôpitaux pour recevoir des soins», souligne le travailleur social.

 

 

C’est cette déclaration du ministre de la Santé qui a poussé les membres de l’Association des travailleurs sociaux de l’île Maurice (ATSM), dont il est le président, à se rencontrer pour dénoncer cette répression. Répondant au défi du ministre Gayan qui l’accusait de faire semblant de connaître les trafiquants, Ally Lazer s’est rendu le lundi 4 juillet à la police pour déposer une liste de douze noms de trafiquants de drogues synthétiques. Le lendemain, il s’est rendu au bureau du ministère de la Santé pour y déposer une lettre réclamant un débat public avec Anil Gayan :«Le lendemain de la déposition de Gayan devant la commission, un trafiquant a été arrêté à Trou-d’Eau-Douce avec 500 grammes de drogues synthétiques. Pourquoi n’en a-t-on pas entendu parler ?Je reste perplexe. Gayan est comme une autruche qui se cache la tête dans le sable pour ne pas voir la réalité en face.» En attendant la réponse du ministre de la Santé sur leur face à face public, Ally Lazer animera une conférence de presse jeudi prochain au cours de laquelle il lui lancera un deuxième défi.

 

Il y a quelques jours, le ministre de la Santé est revenu sur sa déclaration et a affirmé qu’il maintient son opinion sur la situation de la drogue synthétique à Maurice. Il soutient qu’il n’y a rien d’alarmant et qu’il se base sur les chiffres pour l’affirmer.

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