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15 février 2016 01:13
L’eau est montée vite. Très vite. Il fallait s’échapper, fuir ce torrent qui traverse la maison, les feuilles de tôle qui s’envolent au souffle du vent. Pour se mettre à l’abri, Juana, 22 ans, enceinte de six mois, se décide à quitter sa maison pour retrouver sa sœur qui habite en face. Subitement, dans le noir et la précipitation, elle fait une chute et se prend un coup. Sous le choc, elle se décide à rentrer. Soudain, les douleurs dans le bas du ventre se font de plus en plus persistantes. Ne pouvant plus les soutenir, elle crie à l’aide et sa sœur, sans tarder, l’emmène immédiatement à l’hôpital. Car le 30 mars 2013, alors que le pays était à genoux suite aux inondations, Juana avait vécu une tragédie.
Comme cette fois, elle était tombée alors qu’elle était enceinte et avait perdu son bébé. Pour ne pas prendre de risque, l’ambulance est appelée en renfort. Cependant, un long sentier inondé les sépare de la route. Incapable de marcher, Juana est portée par son beau-frère dans le noir car la famille vit sans eau potable et sans électricité dans cette partie de Cité La Cure, là où ils ont construit leur domicile il y a dix ans. «On a vécu un véritable cauchemar. Il y avait de l’eau partout et de la boue. On a demandé plusieurs fois qu’on nous donne de l’eau et de l’électricité. Nous avons fait toutes les démarches possibles et nos papiers sont tous en règle. Nous avons dû la prendre et la transporter jusqu’à la route»,fait ressortir Joelle, sa sœur.
Une fois à l’hôpital, la jeune femme apprend que le travail est enclenché et qu’elle va devoir accoucher. Lorsque les médecins lui annoncent que sa petite fille, une grande prématurée, a peu de chance de survivre, Juana sent le sol se dérober sous ses pieds. Mais elle tient bon. Malgré le danger, elle garde espoir. «J’étais tellement heureuse d’avoir ce bébé. Après ma première fausse couche, j’ai fait deux tentatives de suicide tellement je souffrais. Cette nouvelle grossesse était très risquée pour ma santé mais je voulais tellement cet enfant que je n’ai pas baissé les bras. Ce bébé allait changer ma vie. Je voyais toutes les femmes avec leur bébé dans les bras et moi j’étais seule. Je n’arrêtais pas de me demander quand ce serait mon tour»,confie Juana qui fond en larmes.
Si cette dernière va si mal, c’est parce que son bébé est décédé après avoir lutté pendant deux jours à l’unité des grands prématurés pour vivre. Jeudi matin, Juana a appris que son bébé n’a pas survécu. Un drame qui la secoue de plein fouet. Surmonter ce terrible coup du sort lui semble aujourd’hui insurmontable, au grand désespoir de sa famille qui se sent impuissante devant le chagrin de la jeune femme : «Elle m’a dit, à l’hôpital, qu’elle n’arrivait pas à continuer à vivre après avoir perdu sa fille. J’ai peur de ce qu’elle peut faire. Nous sommes en colère. On se dit que si on avait l’électricité, elle ne serait peut-être pas tombée et peut-être que tout ça ne se serait jamais produit. J’espère que maintenant, les autorités feront le nécessaire»,confie sa sœur.
Juana doit aujourd’hui faire face à la perte de son bébé, survenue dans de terribles conditions. Et comme elle, d’autres personnes se trouvent dans la détresse à cause des inondations causées par les fortes pluies qui se sont abattues sur le pays en début de semaine. Ce jour-là, devant leur maison qui prend l’eau, Venesie Jolicoeur et sa fille ne sont plus vraiment capables de réfléchir. La rivière qui se trouve un peu plus loin est sortie de son lit et traverse violemment la maison. Elles essaient de sauver le maximum de choses – les papiers, des vêtements, des chaussures –mais l’eau emporte tout sur son passage. Face à la situation qui s’aggrave, elles n’ont plus le temps de penser au matériel, il n’y a plus que leur sécurité qui compte. «Nous avons dû tout quitter sur place et partir nous réfugier. Cette maison, je l’ai construite il y a un peu plus d’un an. Avant, j’étais locataire. Puis j’ai économisé sou par sou pour acheter quelques feuilles de tôle et monter cette petite maison pour mes enfants et moi. Mais aujourd’hui, je dois tout recommencer à zéro», explique cette mère de famille qui a élu domicile à Cité La Cure, parmi les squatters.
Le lendemain, le retour à la maison est difficile. Après cette nuit sous les eaux, Venesie ne peut que constater les dégâts. Une épaisse couche de boue s’est entassée dans sa petite bicoque. Les meubles sont tous abîmés. Plusieurs produits alimentaires, comme le riz, le lait et la farine qu’elle venait d’acheter, ont pris l’eau. Elle ne peut freiner les larmes qui lui montent aux yeux. Mais face au désastre, la jeune femme ne reste pas les bras croisés. Comme ses voisins, ce matin, elle met la main à la pâte. Le nettoyage prendra des heures mais c’est tout ce qu’elle peut faire pour retrouver une maison où l’air est respirable.
Comme Venesie, ils sont plusieurs squatters de la région à vivre la même souffrance. Dehors, ils sont nombreux à partager leur peine. Florina Félicité se fait un sang d’encre à chaque fois qu’il pleut. Pour elle comme pour beaucoup d’autres dans la même situation, la pluie n’augure jamais rien de bon. En quelques secondes, se souvient-elle, l’eau a commencé à envahir sa maison. «C’était incroyable. L’eau est arrivée à la hauteur de mes genoux en quelques secondes. J’ai paniqué. La seule chose à faire était de prendre la fuite», dit-elle.
Outre la peur de perdre tout ce qu’elle possédait, Florina a surtout eu peur pour sa vie. Car, confie-t-elle, l’eau coulait avec force comme dans une rivière. Jean-Claude Gaspard, lui, reste ébahi devant la situation. À chaque fois qu’il pleut, il ressent une peur qu’il a du mal à réprimer : «Cela fait trois années de suite qu’on est inondés et cela, à la même date. Sauf que cette fois, le niveau d’eau était bien plus élevé que les fois précédentes. Les dégâts sont à chaque fois importants.»
Installés dans la nouvelle cité de Terre-Rouge, Jayen Condasamy et son épouse ont vu le fruit de leur travail et de leur sacrifice disparaître en quelques heures seulement dans le flot boueux qui a traversé leur maison dans la nuit de mardi à mercredi. «À chaque fois qu’il pleut, ma vie est une catastrophe»,déclare Jayen. Si son désarroi est aussi grand, c’est parce que la pluie les laisse toujours anéantis devant les ravages qu’elle fait sur son passage. En quelques minutes seulement, se souvient ce père de famille, l’eau a commencé à envahir sa maison, s’infiltrant dans ses meubles et transperçant les placards pour s’attaquer aux provisions. «Il m’a fallu installer mes meubles et mes électroménagers sur des blocs pour qu’ils ne prennent pas l’eau. Mais je n’ai pu tout sauver. Le pire, c’est que cette eau qui vient des drains est sale et infectée. Ma petite fille a développé une infection et nous avons été obligés de l’emmener chez le médecin»,souligne-t-il.
Partout où on passe, l’heure est au nettoyage. Cela a pris deux jours pour tout remettre en ordre chez Daniela Andiana qui a vu sa maison et son atelier de couture inondés. Et encore, l’odeur nauséabonde et l’humidité qui rendent l’air difficilement respirable prendront des jours avant de s’en aller. Sa cour, dit-elle, ressemblait à une piscine boueuse. Irlande Casimir, de son côté, ne sait plus à quel saint se vouer pour retrouver la tranquillité. Car à chaque fois qu’il pleut, c’est le même scénario qui se joue chez elle et ses voisins. «Je suis fatiguée. Vous savez combien de sacrifices nous avons dû faire pour qu’on puisse avoir un toit bien à nous ? Aujourd’hui, c’est le martyre à chaque fois qu’il pleut»,s’insurge-t-elle en éclatant en sanglots.
Les lits, les sofas, l’armoire, les vêtements et les uniformes d’école de ses petits-enfants ont tous été la proie des eaux : «Vous croyez qu’on peut laisser les enfants mettre ces vêtements qui ont été trempés dans cette eau infectée ? Nous avons tout jeté. Ce n’est plus possible de continuer comme ça. Tout ce qu’on demande, c’est qu’on trouve une solution pour que les drains ne débordent pas et que nos maisons ne soient plus inondées.»Pour Irlande Casimir comme pour toutes les familles qui ont été touchées par les inondations causées par les fortes pluies, la reconstruction ne se fera pas du jour au lendemain. Beaucoup devront recommencer à zéro, avec une peur viscérale que tout bascule de nouveau.
Les fortes pluies dues à des masses nuageuses associées à une perturbation tropicale ont tenu le pays en haleine pendant trois jours. Alors que l’alerte de fortes pluies est lancée dans la matinée de mardi, les autorités prennent la décision d’annuler un jour d’école. Copieusement arrosée, la terre sature et des risques d’accumulation d’eau un peu partout sur l’île sont plus que jamais réels. Les heures qui suivent voient une intensification du mauvais temps et Maurice passe en alerte de pluies torrentielles. La nuit de mardi à mercredi est difficile. De nombreuses maisons sont inondées. Les pompiers appelés en renfort croulent sous les appels à l’aide. Le lendemain, Maurice se réveille difficilement après une nuit agitée. La pluie est toujours au rendez-vous. Devant la dégradation de la situation, les écoliers et les collégiens reçoivent, mercredi, un nouveau jour de congé forcé.
Les régions comme Nouvelle-Découverte, Mont-Bois et Mare-aux-Vacoas enregistrent plus de 200 mm de pluie. Le Nord, affecté par des masses nuageuses actives, est copieusement arrosé avec 200 mm de pluie pour Pointe-aux-Canonniers en 24 heures. Port-Louis et ses faubourgs sont aussi la proie des accumulations d’eau. Celles-ci paralysent plusieurs endroits du pays et c’est le déluge dans des endroits comme Fond-du-Sac, Triolet, Grand-Baie, Cité La Cure, entre autres. Plusieurs routes deviennent impraticables, les ronds-points sont un casse-tête pour les automobilistes.
Dans la capitale où les rivières sont en crue, les tunnels du Caudan sont fermés au public, le Ruisseau du Pouce et la rue Poudrière présentent de graves menaces de débordement, le Saint James Court est sous les eaux avec des employés bloqués dans les bureaux. À 11 heures, décision est prise de laisser partir tous les employés. Les bus rouleront jusqu’à 17 heures. Les services essentiels continuent de tourner. Plusieurs familles doivent évacuer leur maison totalement inondée et sont dirigées vers les centres de refuge. Mais plusieurs de celles venant principalement de Ste-Croix, Cité La Cure et Chitrakoot, qui présentent des risques de glissement de terrain, refusent de quitter leur maison. La tension est palpable.
À Chitrakoot, une centaine de personnes investissent les rues pour signaler leur colère, d’autres manifestent devant les stations de police. Le ministère de la Sécurité sociale dénombre 1 642 familles dans les centres de refuge. Ces personnes ont droit à une allocation de Rs 165 par personne pendant trois jours, après enquête policière. Dans la journée de mercredi, l’alerte est levée. Plusieurs endroits offrent un spectacle de désespoir, alors que les critiques et les observations sur les raisons de ces accumulations d’eau dans les régions urbanisées montent au créneau.
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